Passé, Présent, Politique : la règle des 3 P
Après un échange avec mon ami allemand Kai Littmann, au cours duquel je l’interrogeais sur la perception allemande de la situation française au sujet des émeutes actuelles, je suis arrivé à la conclusion que les causes profondes de ce genre d’évènements sont toujours politiques.
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Les Allemands ne comprennent pas notre situation, ils la découvrent avec stupeur et ont peur. Pour tenter de comprendre les origines d’un tel phénomène, le parallèle des systèmes politiques entre nos deux pays est très utile.
Le système politique allemand est très largement plus représentatif que le nôtre. Tout mouvement réunissant plus de 5% des voix est représenté, tant au niveau national que régional ou local. Ainsi, chez eux, les citoyens mécontents de leur situation trouvent facilement un forum politique où exprimer leur insatisfaction. Ils sont écoutés. Toute la différence est là. Non parce que les Allemands sont plus démocrates que les Français, mais surtout parce que leur système politique a su tirer les leçons du passé. La paupérisation populaire et la non-représentativité ont conduit l’Allemagne au nazisme. Ils ne l’ont jamais oublié.
Nous devons adopter la même démarche en France, si nous voulons sortir de la crise que traversons. Il serait d’ailleurs plus juste d’écrire les crises parce que les constats sont sévères sur tous les pans de notre société. En effet, la crise est politique, institutionnelle, sociale, économique, mais aussi individuelle, familiale et collective. Dans cette situation, comment adopter la bonne démarche ? C’est là que nous devons adopter la "règle des 3 P" comme méthode d’analyse et de prospective.
Passé :
La France n’a jamais évacué correctement son passé colonial. Cette histoire s’est transformée en un "racisme" institutionnel. La République, une et indivisible, laïque et sur les frontons de laquelle nous pouvons lire "Liberté, Égalité, Fraternité" n’a jamais été fondamentalement respectée, et l’est de moins en moins, y compris et surtout par nos dirigeants économiques et politiques.
Notre pays n’a jamais hésité à faire appel à de la main d’œuvre étrangère, essentiellement africaine après guerre. Il a, par l’emploi, apporté la liberté à ceux qu’il intégrait, mais ne leur a jamais offert l’égalité ni la fraternité. Ils ont été parqués dans des cités, des quartiers, où la seule fraternité qu’ils ont connue a été celle de leur communauté. La seule égalité, ils l’ont vécue lorsqu’il leur fallait payer, leur argent n’ayant pas la couleur de leur peau. Ces dernières décennies ont vu l’aggravation de toutes ces discriminations, malgré l’argent massivement injecté à des fins électorales. Ceux que l’on a appelés pour bâtir, pour reconstruire un pays où ils devaient gagner leur dignité, n’ont gagné que leur survie. Et encore l’ont-ils gagnée alors que cette survie semble inaccessible à la plupart de leurs enfants et petits-enfants. Et le présent, c’est eux. C’est principalement de ces populations que sont issus les émeutiers.
Présent :
La "mixité sociale" n’existe pas. Dans certains quartiers, il n’est pas rare de voir tous les élèves d’une classe être d’une même nationalité étrangère, alors que certaines écoles sont inaccessibles à tout habitant ne présentant ni le bon facies ni la bonne adresse. L’école républicaine, qui devrait leur offrir l’égalité, s’est transformée en formidable machine à exclure dès le plus jeune âge. Entendre aujourd’hui certains prétendus spécialistes prétendre détecter dès la maternelle les délinquants en puissance relève de la ségrégation la plus arbitraire. Seuls les régimes autoritaires, totalitaires et ségrégationnistes appliquent ce genre de méthode. C’est une fuite en avant qui a mené au "déclin de la France". Cette expression, que je ne supporte pas en raison de la connotaion d’auto-flagellation qu’elle dégage, n’a pour moi qu’une seule justification : le déclin français n’existe que dans un domaine, c’est un déclin politique.
Comment faire accepter l’idée de l’égalité des chances, lorsqu’il suffit de se référer au pouvoir de l’image pour la voir contestée ? Combien d’animateurs arabes, noirs ou chinois, sur nos écrans de télévision publique ? Combien de députés ? Combien de ministres ? Quelle perspective offre l’école, en théorie accessible à tous, lorsqu’aucune manifestation d’une hypothétique réussite professionnelle ne se présente ? Les employeurs se sont installés en zone franche et ont bénéficié d’exonérations de charges, mais combien d’habitants locaux ont-ils embauché ?
Le pouvoir de l’image, ce qu’elle montre, et surtout ce qu’elle ne montre pas, est d’autant plus important pour cette catégorie désœuvrée de notre population qu’elle a plus de temps pour la consulter. Les inégalités sont criantes pour peu que l’on ne soit pas formaté. Lorsque les politiques menées s’attachent à montrer, à attirer les caméras sur ce qui doit être vu, mais qu’elles ignorent totalement ce qui ne l’est pas, les résultats sont dramatiques. Tous les exclus de notre société sont par définition ceux qu’on ne voit pas. Ils décryptent l’image par ce qui n’y est pas montré, se sachant invisibles eux-mêmes. Ils ont constaté que le seul moyen d’apparaître à l’image était le fait divers. Nous voyons tous aujourd’hui où cette attitude a conduit. Le chômage, qui constitue le plus grand drame de la société française actuelle, n’existe qu’en statistiques. Aucune représentation dans des instances décisionnaires des chômeurs n’existe. Pour ceux qui cumulent les handicaps, les exclusions sont multiples : sociale, professionnelle, et aussi politique. Pour éviter de le voir, le système politique français a été modifié de façon à être encore plus inique en relevant le seuil de représentation. De l’exclusion qui était subie, on est passé à une ignorance constitutionnelle délibérée. La situation a été interprétée par les populations concernées comme une évolution de leur traitement, un glissement de l’exclusion vers la ségrégation. Le terme est fort mais approprié. Non seulement on n’intègre plus, on n’assimile plus, mais, de surcroît, on condamne au silence avant de condamner pénalement pour des actes de révolte ou de survie. L’accumulation de ces attitudes discriminantes a fait imploser un système que personne ne voulait plus voir. Le défaut d’image a conduit à briser un miroir qui ne renvoyait plus de reflet. Pour reprendre un lieu commun, on a cassé le thermomètre pour ne plus voir la fièvre.
Comment sortir de cette impasse ? Par la Politique.
Politique :
J’entends par la Politique, avec l’emploi volontaire de la majuscule, non pas le jeu qui consiste à gagner un trône en éliminant ses adversaires, mais le respect de l’opinion et de la population.
L’économie française, contrairement à ce que certains prétendent, n’est pas en panne. Jamais autant de richesses n’ont été produites, jamais autant de bénéfices n’ont été réalisés, et pourtant jamais il n’y a eu autant d’exclusion. Il n’est pas ici question de pénaliser ces réussites, mais d’en appeler à la responsabilité collective. Faut-il admettre qu’une entreprise puisse licencier massivement lorsque ses résultats lui permettraient au contraire d’embaucher ? Il n’est pas ici non plus question de l’empêcher, mais de faire en sorte qu’une représentation de toutes les catégories, de toutes les personnes concernées, existe, afin de déterminer au niveau national si de tels évènements sont favorables à l’intérêt général ou non.
La solidarité française n’est pas en panne non plus. Les Français n’ont jamais été autant solidaires, à chaque fois qu’on les sollicite. Tous les ans, lors du Téléthon par exemple, les records sont battus. Chaque fois qu’une cause internationale l’impose (souvenons-nous du tsunami du sud-est asiatique), les Français montrent leur générosité, et cette générosité n’est pas sélective. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne relèvent donc pas d’un défaut de solidarité, mais d’une inégale répartition catégorielle du bien public et des richesses nationales.
Comment désamorcer la situation ?
Le reflet politique n’existe plus. Le Parlement ne représente plus la population, et les institutions, qu’elles soient politiques ou médiatiques, n’expriment plus la réalité ni les besoins des citoyens. Si tel avait été le cas, il aurait été tenu compte des nombreux avertissements qui ont été adressés : 21 avril 2002, 29 mai 2005, etc. Pour ma part, je préviens, depuis longtemps, qu’une partie de plus en plus grande de notre population, représentée nulle part, n’a plus rien à perdre, et que la colère gronde. Aujourd’hui, il est déjà trop tard, tant l’enfermement de nos dirigeants les a conduits à l’arrogance et au mépris.
Les émeutes sont intolérables, il faudra bien que l’ordre revienne si nous voulons construire quelque chose sur les cendres de notre système actuel. L’emploi de la force, s’il n’est pas souhaitable, va devenir nécessaire si aucun message fort de compréhension n’est envoyé. Notre République ne peut continuer à se voir bafouée, nos concitoyens, qui ont déjà bien de la peine à envisager un avenir, ne peuvent voir détruire leur présent impunément. La compréhension du phénomène ne peut s’accompagner de sa tolérance.
Toutefois, il serait inconscient et dangereux que ce mouvement de révolte ne se transforme pas en mouvement politique. Évacuer une fois de plus la poussière sous le tapis conduirait à l’implosion civile. La révolte contre les pouvoirs publics évoluerait en affrontements entre citoyens. Le maintien de l’ordre doit avoir lieu, pour éviter cette escalade. Aujourd’hui, il faut être suffisamment conscient pour admettre que notre pays se trouve au bord d’une guerre civile, entre ceux qui ont, et ceux qui n’ont rien. Mai 68 avait donné lieu à une formidable ouverture politique, trop vite oubliée par ceux qui ont obtenu le pouvoir après l’avoir renversé. Ce sont eux qui aujourd’hui sont en passe de l’être.
La solution n’existe pas, du moins je n’ai pas la prétention de l’avoir, mais les moyens d’y arriver, si : remettre à plat tout notre système institutionnel. Les tables rondes, les multitudes de commissions uniquement créées pour recaser les refoulés du suffrage universel, tout cela n’a rien produit. La concentration des pouvoirs a conduit à l’aveuglement et à la poursuite effrénée de la course au poste suprême. L’accélération du calendrier électoral n’a conduit qu’à la multitude de phrases assassines, de coups bas médiatiques, et la presse, concentrée et unanime dans sa médiocrité, ne reflète plus le quotidien des citoyens, mais celui du ménage de tel ou tel présidentiable potentiel.
Il faut rendre le pouvoir au Peuple.
L’heure est grave, et cette nécessité n’est pas accessible dans l’immédiat, puisqu’il faut commencer par maintenir l’ordre public, mais il faut l’imposer comme prochaine. Il faut rendre la perspective d’une représentation réelle de notre population, afin que l’état catastrophique de notre société soit constaté et analysé au plus haut pouvoir de décision. Il ne suffit pas de cumuler des lois, il faut permettre leur application pour et par tous.
Annoncer la dissolution prochaine de l’Assemblée , un gouvernement d’union nationale de type grande coalition, redescendre le seuil de représentativité à 5% des voix comme en Allemagne, abroger le 49-3 permettant au gouvernement d’outrepasser le vote des députés, et ainsi garantir que tous les citoyens auront leur mot à dire pour toutes les décisions qui les concernent, ce serait un bon début.
Politiquement, ces premières annonces auraient pour effet de redonner l’espoir à la population d’intervenir sur son avenir. C’est ce manque cruel qui conditionne un nombre d’entre nous de plus en plus important : le manque de perspective d’avenir.
Il faut rendre la Politique au Peuple. Il faut lui rendre effectivement le pouvoir, pour éviter qu’il ne s’en saisisse par la force, ou qu’un "chef" ne le conduise à un fascisme qui ne serait que l’évolution du régime actuel.
Le prix à payer n’est pas si lourd : c’est celui de la fin de la monarchie républicaine que nous connaissons.
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