Passions et compassions, modes de gouvernance « UMPS »
Les politiques usent et abusent de la compassion, déclare à Ouest-France la philosophe Myriam Revault d’Allonnes. Le "Souffrir avec" serait la forme moderne de la compassion. Elle est néfaste à l’esprit de responsabilité du citoyen. Au-delà de ce constat philosophique, l’actualité nous montre que les passions entre les deux clans rivaux, droite et gauche, sont savamment et bruyamment entretenues pour maintenir les guerres idéologiques que nos voisins diraient "d’un autre temps"...
La compassion comme mode de gouvernance, voilà ce qui fait le succès des deux camps lors des campagnes électorales. Comme il faut faire carton plein, tous les moyens sont permis. Bien sûr, chaque clan a sa clientèle. La gauche a ses SDF, ses handicapés, ses pauvres, ses immigrés... La droite a ses retraités, ses victimes de faits-divers... Chacun verse une larme compassionnelle sur ses clients. La gauche exprime sa colère pour les miséreux ou les handicapés (on se souvient du coup de gueule de Ségolène Royal lors du tête-à-tête du second tour 2007), la droite vole sans délai au secours des victimes et des otages pour se montrer en photos et à la télé.
Si la compassion joue un rôle moteur, c’est uniquement pour "booster" tel ou tel candidat à un instant "T" d’une campagne. Il s’agit de toucher l’opinion à tout prix : se lever telle une sainte ou un démiurge pour aller poser sa main sur l’épaule d’une personne handicapée, comme l’a fait Ségolène Royal devant des millions de téléspectateurs.
Inversement, chaque camp tire à boulets rouges sur les clients de l’autre camp. La droite s’en prend aux assistés et aux sans-papiers, la gauche dénonce l’exploitation éhontée des faits-divers. Comme on est dans le compassionnel, on fait dans la surenchère et dans le jugement moralisateur péremptoire et stigmatisant. Et le citoyen là-dedans ? Eh bien, il n’en sort pas grandi forcément puisque c’est à la part la plus vile, la plus idiote de sa conscience que ces discours, que ces postures s’adressent !
Ainsi, chaque camp a son filon bien à lui de populisme bien huilé. Mais les limites n’ont pas toujours cette précision : Jacques Chirac, par exemple, s’intéressa de près aux personnes handicapées et fit voter en 2005 la réforme audacieuse de la fameuse loi de 1975. Le même Jacques Chirac s’adressait davantage à l’esprit de réconciliation des Français que Nicolas Sarkozy qui joue plutôt, lui, sur les divisions : "diviser plus pour gagner plus."
En revanche, puisque l’on parle d’huile, chaque camp aime en jeter beaucoup sur les braises encore chaudes pour relancer la chaudière, voire l’incendie. Il ne serait pas rentable de laisser ces feux s’éteindre. Une bande de casseurs sévit dans un quartier, mais plus spectaculairement encore dans un lieu de grande fréquentation ou à un endroit inhabituel (un village paisible), et c’est le jackpot assuré. On se souvient de Devedjian se réjouissant des incidents de la gare du Nord qui ont pourtant failli coûter la vie à des personnes. Encore un coup comme ça, dit-il, et c’est gagné pour nous ! On ne compte plus le nombre de fois où Ségolène Royal, outrée, s’indigne dans tous les médias de ses "cambriolages" ni le nombre de plaintes déposées par la famille Sarkozy, la dernière en date par le fils Jean pour antisémitisme, ou les prises à partie violentes de fonctionnaires civils (juges, par exemple) ou militaires (affaire de Carcassonne). Nous sommes, pour parodier Mitterrand, dans le coup d’éclat permanent.
Pour revenir à Myriam Revault d’Allonnes, philosophe et enseignante à l’École pratique des hautes études, elle déclare à Ouest-France : "On est dans le temps de l’émotion, du coup par coup et donc de la confusion. Nous sommes dans la réaction immédiate, à court terme, alors que l’action politique utile exige du temps. La politique compassionnelle est, selon moi, une contradiction dans les termes. La politique exige de la mise à distance, de la réflexion, du sang-froid, de la médiation, des institutions fortes. L’émotion, au contraire, inhibe la raison."
Myriam Revault d’Allonnes a publié L’Homme compassionnel, au Seuil.
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