Paul Barril, l’homme à la baraka à qui il est arrivé de « charger la mule »
Maintenu en garde à vue depuis jeudi 21 décembre 2007, selon la loi Perben II, au Service régional de police judiciaire de Marseille, l’ex-capitaine de gendarmerie Paul Barril a été présenté, lundi 24 décembre 2007, au juge Serge Tournaire chargé de l’information judiciaire relative aux anomalies de gestion et aux règlements de comptes autour du cercle de jeu parisien « Concorde ». Il a été peu après mis en examen pour association de malfaiteurs « en vue de la commission d’extorsion en bande organisée, en vue de la commission d’assassinat et en vue de la commission de corruption » et placé sous mandat de dépôt.
Ce n’est pas la première fois que P. Barril défraie ainsi la chronique depuis plus de 26 ans. Sa première mise en cause judiciaire remonte à octobre 1981 quand, adjoint du célèbre commandant Prouteau au GIGN, il est mis en cause, au cours d’une enquête de police, dans une affaire de trafic d’armes et d’explosifs. On lui reprochait d’avoir offert des détonateurs à un vieux copain de régiment, fils d’un célèbre parfumeur, et collectionneur d’armes.
L’affaire des Irlandais de Vincennes
Sa seconde aventure publique, sans doute la plus connue, sera « l’affaire des Irlandais de Vincennes », le 28 août 1982, initiée à l’Elysée. L’affaire durera... plus de 25 années soit de 1982 à 2007. Au fil des ans, on découvrira avec stupéfaction que P. Barril avait en réalité, ce jour-là, pré-déposé des pièces à conviction au domicile des intéressés avant l’arrivée des officiers de police judiciaire habilités. Dès fin 1985, le doute n’est plus permis puisque les preuves sont là. Il n’y a qu’une difficulté : le juge d’instruction saisi de l’affaire s’abstient d’inculper P. Barril ! En 1991, comble de la farce, c’est comme simple témoin que P. Barril déposera lors d’un procès en « subornation de témoins » intenté... aux enquêteurs qui avaient rédigé la procédure de Vincennes : dans l’ignorance totale du montage de P. Barril, ils avaient cru bon de fermer les yeux sur certaines violations de procédure jugées mineures au regard de la dangerosité prétendue des personnes arrêtées !
On ne prête qu’aux riches
Mais auparavant, dans la foulée de « l’affaire des Irlandais de Vincennes », le nom de Paul Barril a été cité plusieurs fois par la presse, alors qu’il appartient encore à la célèbre cellule anti-terroriste de l’Elysée : il l’a été ainsi à l’occasion d’une affaire de couverture supposée d’un hold-up ! (affaire Engrand-Novimo) ou de négociations rocambolesques, au nom de l’Elysée, avec le groupe terroriste Action directe. On ne prête qu’aux riches. On a parlé encore de lui à propos de la préparation d’un coup d’Etat à Haïti (affaire Sansaricq). Mais de simples auditions judiciaires ont suffi à le mettre hors de cause.
Toutefois, en février 1984, il s’est mis en disponibilité de la gendarmerie pour aller exercer ses talents dans le milieu de la sécurité privée. L’émir du Qatar est un des premiers clients à faire appel à ses services. Ses prestations sont apparemment très appréciées et ses affaires, florissantes. On le signale sur nombre de théâtres d’opération en Afrique et au Moyen-Orient. Il est même fait citoyen centre-africain et décoré par le chef de l’Etat de Centre-Afrique !
« Un brevet d’innocence » contesté lors d’un procès perdu
Toutefois, ayant imprudemment décidé de poursuivre Edwy Plénel et le journal Le Monde pour une prétendue diffamation au sujet de son rôle dans « l’affaire des Irlandais de Vincennes », Paul Barril se fait très sévèrement étriller par la justice, en septembre 1992, dans trois décisions devenues célèbres (TGI, Appel et Cassation) où les magistrats le déboutent et soulignent que « ni l’inertie du parquet ni l’inaction du juge d’instruction ne sauraient lui conférer un brevet d’innocence » pour le montage dont le journaliste a rapporté les preuves. Mais l’affaire pénale le concernant en reste là, jusqu’à la plainte que les Irlandais vont alors déposer contre lui la même année. Une information judiciaire sera alors ouverte à Versailles pour « attentat aux libertés ». L’instruction menée tambour battant... durera plus de dix ans (!) et se terminera en mars 2003 par un non-lieu confirmé par la Cour de cassation, fondé en particulier sur une anomalie de procédure : les Irlandais plaignants s’étaient acquittés d’une caution avec un jour de retard !
« Paul a chargé la mule », avoue M. Prouteau devant la Cour d’appel
Survient, en cette même année 1992, « l’affaire des écoutes téléphoniques » qui découle pour partie de « celle des Irlandais de Vincennes ». Elle aussi mettra plus de dix ans pour venir devant un tribunal. P. Barril, qui paraît régler des comptes avec l’Elysée, y est impliqué en qualité d’organisateur des fuites des écoutes au bénéfice de la presse (Libération) et se trouve mis en examen pour recel. Il se défend bec et ongles, nie tout, mais se fait tout de même condamner à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende tant par le TGI en novembre 2005 que par la Cour d’appel de Paris en mars 2007 : on en a rendu compte dans un article sur Agoravox, le 19 mars dernier.
Or, le 5 décembre 2006 au soir, à peu près vers 20 h 30, au cours du procès en appel sur « les écoutes téléphoniques de l’Élysée », il s’est produit un coup de théâtre. Les journalistes ont quitté le prétoire pour rejoindre leur rédaction ; ils l’ont manqué. Le lieutenant-colonel de gendarmerie Jean-Michel Beau, une des victimes tant de l’affaire du montage de Vincennes que des écoutes téléphoniques, n’en croit pas ses oreilles. La présidente de la Cour tance M. Prouteau qui louvoie à la barre depuis près de deux heures : « Mais enfin, M. Prouteau, s’écrie-t-elle, excédée, vous saviez que Barril avait déposé les armes ?
- Oui Madame ! répond M. Prouteau. Paul a chargé la mule ! »
M. Prouteau, patron à l’époque de la cellule de l’Élysée, avoue enfin ce qu’il a toujours nié devant les juges d’instruction et les tribunaux : il savait que « Paul (Barril avait) chargé la mule ! » ...« Charger la mule » signifie que pour être sûr de trouver des armes et de l’explosif dans l’appartement des Irlandais de Vincennes, le mieux avait été de les y apporter ! Le leurre de l’objet compromettant simulé est une technique éprouvée : même Cal dans le film Titanic réussit à compromettre Jack son rival en faisant glisser dans sa poche de veston le gros diamant « Oceani Cor » offert à Rose sa fiancée, et en le faisant fouiller par la police du bord ! Et à partir de ce constat apparemment évident, un raisonnement vicié conclut à la culpabilité certaine de l’intéressé. On se souvient aussi du bagagiste d’Orly, victime d’une vindicte familiale, en décembre 2002.
Toujours est-il que l’aveu de M. Prouteau confirme que le lieutenant-colonel Beau n’était pour rien dans le montage de Vincennes ! On le lui avait au contraire soigneusement caché. Il avait seulement, en conscience, a-t-on dit plus haut, choisi de couvrir des fautes de procédures jugées mineures, comme l’absence d’uniforme, ou l’absence des propriétaires au moment de la perquisition, parce qu’il était persuadé d’avoir affaire à de dangereux terroristes. Mais, pour se disculper, Paul Barril ne s’était pas privé d’ironiser sur ses connaissances en procédure, que nul pourtant ne contestait.
Entre-temps, en juin 1997, Paul Barril aura été placé vingt-quatre heures en garde à vue, dans le cadre d’une vaste affaire de proxénétisme international. Le journal L’Humanité parlera, le 11 juin, « de diverses perquisitions opérées à Paris dans des locaux appartenant à l’ex-capitaine et notamment au siège de la société de sécurité Secrets, qu’il dirige, et même à l’hôtel de Crillon où réside l’émir du Qatar » : elles se révéleront toutes infructueuses.
Le moins qu’on puisse dire est que Paul Barril a une baraka d’enfer : toutes ses mises en cause se sont révélées parfaitement vaines. Et quand les preuves de sa responsabilité sont apportées, comme dans « l’affaire des Irlandais de Vincennes », la justice fait preuve d’ « inertie » ou d’ « inaction », aux dires des juges eux-mêmes. Il n’y a guère que dans « l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée » où il s’est pris les pieds dans le tapis : il n’a pu échapper à une condamnation pour recel. Mais celle-ci n’est toujours pas définitive dans l’attente de l’arrêt que rendra la Cour de cassation. Sauf erreur, cependant, c’est la première fois que Paul Barril est effectivement placé sous mandat de dépôt. Aurait-il, confiant en son étoile, « chargé la mule » un peu trop cette fois ?
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