Pauvre Rutebeuf... pauvre Web
"Que sont mes amis - et ennemis - devenus..." On peut venir sur le Web en juillet comme en septembre, mais le 10 aout on s'adresse à qui et 11 août à quoi ? De plus en plus, sur le web on joue à se faire peur. Or comment avoir vraiment peur en été d'un péril qui n'est pas en la demeure, mais perçu, comme d'habitude, loin, en Grèce ou en Espagne ? Un danger, ce qui plus est, annoncé désormais par des types en maillot sur une plage et dont la première préoccupation est de manger ou de ne pas manger des moules quand il fait 35 à l'ombre ?

Je n'ai jamais compris qu'on ait pris la Bastille en juillet au lieu d'attendre la rentrée... Sans doute une urgence.
Aujourd'hui, y-a-t-il une urgence dans la "sérendipity" du Web, durant ces jours d'août où l'on ne pense pas à se positionner gauche-droite, mais dans le bon angle au soleil et en fonction des nuages ? OUI, il y a une urgence : stopper la montée de l'insignifiance.
Je me souviens avec nostalgie d'un Web d'il y'a à peine 5 ans, qui semblait la double promesse, d'abord de passer le micro a Quidam Lambda, puis de gagner une guerre pour libérer la sagesse populaire. Le micro a passé.... Quant à cette guerre de libération, elle a eu son Valmy qui a été la création d'Agoravox, puis on a vu des roturiers de la plume sortir du rang pour devenir généraux, adoubés par l'opinion publique sur le champ de bataille sans qu'aient été consultés le Monde, le Figaro ni le Point. Honneur au mérite.
Ce fut une belle époque - disons de 2005 a 2009, mais ça se discute - durant laquelle c'est vraiment sur les blogues et les journaux citoyens comme Agoravox que "ça se passait". Revelli et de Rosnay ont commencé, bien sûr, mais tout de suite a suivi toute une phalange d'auteurs à l'oeil vif, au verbe haut, à la plume parfois acerbe et à la patience souvent courte. Ce sont ces gens qui ont mis la presse traditionnelle sur la défensive et ont ainsi donné aux blogues une importance énorme.
Enorme, car les Aphatie, BHL et autres tenors des médias traditionnels pouvaient feindre de le prendre de haut, mais les rieurs étaient avec les blogueurs dont ils se sentaient plus près et, sur bien des dossiers, c'est le Web qui partait avec les oreilles du toro... C'était l' Âge d'Or où Revelli pouvait faire 500 000 visites en parlant du 911.
Une époque où ce sont donc les blogues qui déterminaient ce que les Français allaient penser de cette histoire du 911, de Bayrou, du comportement de ce ministre de la culture qui aimait trop les lupanars de Bangkok... et du reste aussi.
Gênant cette influence pour le Syteme et il va donc réagir. La contre-attaque du système est venue via Facebook. À tant médiocriser l'expression citoyenne, on a rendu tellement évident qu'il n'était pas nécessaire de penser pour s'exprimer, ni d'avoir des idées pour en parler, qu'il est devenu sournoisement suspect d'écrire sur le Web. Simultanément, poussant à sa logique extrême le thèse de Chomsky - que le discours politique sérieux avait été éliminé des ondes en réduisant les intervention à des "40 secondes" qui excluent tout développement - Twitter en a fait autant pour le Web en popularisant la mode de la boutade à 140 caractères.
Puis on est allé plus loin. On a parlé de conspirationnistes... Il a fallu bientôt l'âme d'un résistant têtu, pour s'obstiner à mettre en ligne pour un auditoire qui s'amenuise des articles qui font réfléchir. Surtout, quand ils deviennent de plus en plus nombreux, parmi les lecteurs et contributeurs, à vouloir se conforter dans leur vision plutôt que d'en débattre ...
Beaucoup des grands de la belle époque ont alors quitté. On revoit encore aujourd'hui avec plaisir Cabanel, Fergus, Dugué, mais non seulement le regretté Paul Villach n'est plus là, mais Imhotep semble disparu, Monolecte se fait rarissime. Morice - qui a fait pourtant des enquêtes plus étoffées sur les basses oeuvres du CIA et sur les réseaux de la drogue que quelque media traditionnel que ce soit - semble devoir se faufiler entre de obstacles pour être publié au compte gouttes. Demian West, le contestataire emblématique et grande vedette de cette époque, a été totalement ostracisé !
Ceux qui parlaient fort se sont tus. ll semble qu'on ait mis la lampe sous le boisseau. Et cela dit, Agoravox demeure malgré tout le site-citoyen de référence. Rue89, après un départ en trombe, n'est plus que la version électronique d'un media traditionnel, avec des positions qui sont souvent si simplistes qu'on baisse les yeux pour ne pas gêner les auteurs, trop évidemment mis en service commandé sur le front de la pensée correcte. L'affaire Meric en a été une illustration troublante. Devrions nous dire un mot du site du Monde, à mi-chemin en pertinence et panache entre Facebook et Rue 89 ? Je ne le crois pas.
Si on regarde la situation avec lucidité, on a l'impression que le journalisme citoyen, sans renoncer formellement à sa mission, a néanmoins accepté quelle ne soit plus en pointe du changement social. Juste un de ses volets.... L'impression, aussi, que ceux qui ont beaucoup donné en utilisant ce media s'interrogent maintenant sur sa pertinence pour l'avenir, quant tout ce qui s'y dit se retrouvera sciemment mêlé aux trivialités de Facebook.
Comme si une masse de dossiers sérieux avaient été ouverts, traités puis posés sur le bureau du chef - qui est le peuple - et que dernier n'en lise ni n'en signe aucun pour exécution, rendant superflu que l'on se tue à lui en apporter d'autres pendant qu'il semble tout entier occupé à feuilleter des albums de famille, des carnets mondains et des revues porno...
Que sont devenus mes amis, les blogueurs de combat de l'Age d'Or du Web ? Je pense que les tergiversations d'une population velléitaire les a menés à parler moins souvent et avec moins de fougue. Avec tout ce discours sur le web, discours qui ne conduit pas à l'action, le journalisme citoyen n'est-il pas à glisser vers la non-signifiance ? Nous tous qui écrivons ici, ne devrions nous pas bientôt choisir entre prendre le maquis ou prendre notre retraite ? Faire le choix de devenir kamikaze ou de se taire ?
Pierre JC Allard
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