Paye ton canon… CAESAR !

« Le canon français CAESAR ridiculise tous les autres canons sur le front de l’est et s’ouvre un avenir commercial glorieux. » Ainsi, titre sur secret-defense.org signé par Guillaume Aigron qui se définit lui-même comme un « très curieux et tourné vers l'économie, la science et les nouvelles technologies […] je vous propose de vous faire profiter de cette passion à travers des articles d'actualité. » Et en l'occurrence, suivant cet article, à une actualité qui tue… Au sens premier du terme, car il n’est jamais mentionné dans son article qu’un canon tue, blesse, estropie, bousille et balance la mort par le haut sur les troupes au sol. Toute une logorrhée adoucissante est employée d’ailleurs :

• Le système d’artillerie mobile CAESAR a révolutionné les opérations militaires en Ukraine.
• Depuis son déploiement à l’été 2022, il a démontré une efficacité sans précédent. 
• En surclassant les anciens systèmes soviétiques par sa mobilité, sa précision et sa portée impressionnante.
• Sa capacité à atteindre des cibles jusqu’à 40 kilomètres avec des obus classiques et plus de 50 kilomètres avec des obus à propulsion additionnée.
•  Sa cadence de tir, sa mobilité exceptionnelle et son système de chargement semiautomatique.
• Le CAESAR, léger et agile, peut rapidement se déplacer et se camoufler, réduisant significativement le risque de repérage par l’ennemi. 
• Le système d’artillerie CAESAR est devenu une référence mondiale grâce à son efficacité démontrée en Ukraine. 
• Le CAESAR s’affirme comme un outil stratégique indispensable pour les forces modernes.
• Avec plus de 600 unités vendues à ce jour, le CAESAR continue de démontrer son attractivité sur le marché international. En combinant efficacité opérationnelle et coût compétitif, il incarne l’excellence française dans le domaine de l’artillerie mobile.[i]

Si après tant de louanges vous n’avez pas envie de vous en payer au moins un, histoire de voir sur le terrain combien le CAESAR tue avec efficacité à une distance de 50 bornes, c’est que vous êtes un rétrograde, mol du g’nou qui ne comprend rien à la guerre moderne et à ses performances explosives ! L’article cité a reçu une note par les lecteurs de 4,6 sur 5, et donc, du 18 sur 20, ce qui prouve bien qu’il y a encore de vrais patriotes qui considèrent que la fabrication de machines de mort est une noble tâche, et que de toute manière si ce n’est pas « nous » qui les fabriquons ce seraient d’autres. Toujours de cet Aigron qui en remet une salve : «  Le canon CAESAR ne cesse plus de surprendre avec un partenariat high-tech qui devrait encore améliorer ses performances exceptionnelles.  » « Performances » voulant dire de tuer encore plus. « Le 6 novembre, lors d'un exercice au camp de Canjuers, le 3ᵉ Régiment d'Artillerie de Marine a testé l'efficacité du système CAESAR en combinaison avec le drone DT46 de Delair, promettant une amélioration de la précision et de la discrétion des frappes. »[ii] C’est sûr qu’avec un drone couplé avec le canon ça va péter des flammes et tomber plus précis et plus discret… Ensuite, on met les corps dans des body-bag, on envoi une tite lettre à la famille à la mémoire du héros mort au champ d’honneur, une marseillaise, des remises de médailles puis, passons à autre chose. En oubliant les enfants sans père, les épouses inconsolables et les parents ayant dû enterrer leur enfant, quand il est possible encore de ramasser sur le terrain des morceaux du défunt. C’est comme ça depuis des siècles et il se trouvera toujours des individus ayant ce talent rare : d’améliorer les machines à tuer afin d’en optimaliser leurs potentialités et leur létalité, ainsi, que de preux guerriers de bureau qui en feront la promo afin de venter le bel objet.

Que se passe-t-il lorsqu'un obus explose ? Les obus sont constitués d'une enveloppe en acier robuste, d'une charge explosive et d'une mèche. La mèche fait exploser la charge explosive qui brise l'enveloppe et disperse à grande vitesse des morceaux brûlants et tranchants de l'enveloppe (fragments, éclats). La plupart des dégâts causés aux cibles molles, comme les personnels au sol, sont causés par les morceaux d'obus plutôt que par l'explosion.[iii] Que fait l’éclat ou le shrapnel sur le corps humain ? Les plaies par éclats d'obus provoquent des entailles à orifices larges où les tissus sont déchirés et les muscles et les os sont broyés. La complication la plus redoutable des plaies de guerre est la gangrène gazeuse : les lésions profondes sont contaminées par des bactéries qui vont produire des gaz.[iv] Il faudra amputer ou pratiquer de nombreuses greffes, des mois, des années seront nécessaires aux blessés pour se rétablir et poursuivre la vie d’un traumatiser dans sa chair. Les dégâts post-traumatiques sont connus et difficiles à soigner. Pour les malheureux touchés par les obus du canon à « l’avenir commercial glorieux », ça leur fait une belle jambe, eux, coincés dans leur esprit et leur corps en miettes… 

Pierre-André Moreau père du Canon CAESAR, témoigne : «  Il ne suffisait pas d’améliorer l’existant, il fallait créer de nouvelles armes. Le canon Caesar a été le plus grand. Conçu comme terminal d’un système d’information et de commandement, très mobile, rapide à mettre en œuvre et très précis, il rompt avec les tactiques de pilonnage de zones de l’artillerie traditionnelle, grande consommatrice de munitions. Il frappe des objectifs de quelques ares jusqu’à 40 kilomètres. Sa furtivité lui permet de sortir d’un abri, se mettre en place, tirer, foutre le camp, en quelques minutes. » Voilà donc la participation à l’avancée de l’humanité de ce polytechnicien, retraité qui « pour une retraite inspirée par la Nature et le service aux autres  »… Tant qu’ils ne sont pas allongés dans la boue en attendant le prochain tir qui viendra les réduire en bouillie de viande hachée… La page est tournée pour lui et, si l’on parle beaucoup des canons cédés à l’Ukraine, le père du Caesar s’intéresse désormais aux sciences naturelles, aux oiseaux et aux papillons.[v] Un heureux homme en quelque sorte.

Que ce soit l’écrivaillions Aigron ou l’ingénieur Moreau, il y aura toujours de ces hommes dont la vision reste focalisée sur un fragment d’une situation vaste et dramatique qui est la guerre. S’ingénier durant des années à améliorer le pouvoir d’une arme, me laisse songeur qu’en à ce qu’il doit bien se passer sous le crane de celui qui s’y colle. Afin de se dédouaner, il est nécessaire de vouloir tordre la dialectique, et se perdre dans une prolixité verbeuse concernant ces machines à tuer, ce qui a pour finalité de nier la destination de ces instruments et est de facto, un déni de réalité morbide : tuer, massacrer, blesser, amputer, mourir, la Mort. Que de vilains mots que voici !

Georges ZETER/décembre 2024

VIDEO/ L’INVENTEUR du canon CAESAR réagit à des vidéos de l’Ukraine