Peaux de banal
L’accession de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis détient assurément une portée symbolique particulière. On comprend l’émotion et la fierté par procuration que peut ressentir une personne noire ou métis, on salue la revanche historique paisible, l’espoir d’une avancée vers la dissolution de toute discrimination latente, qu’elle représente ; impressions susceptibles évidemment d’être partagées par tout citoyen possédant une conscience politique et morale, quelle que soit la couleur de son épiderme. Cette élection, comme les sentiments et réactions qu’elle suscite, ne constituent cependant qu’une étape sur l’échelle de l’amenuisement des sots préjugés et de la simple paresse intellectuelle.
S’extasier autant, comme s’y livre la planète médiatique, sur le fait que le nouveau président soit noir constitue déjà en effet une approximation langagière significative. Selon ses origines familiales, Obama est à parts égales blanc et noir ; une utilisation correcte du vocabulaire le désignerait donc, s’il fallait vraiment gloser sur sa couleur de peau, comme métis. Le définir couramment comme noir (de même par exemple que le bien peu hâlé Colin Powell) trahit l’idée souterraine, enracinée dans une nuisible habituation, selon laquelle la caractérisation principale est le noir, et le blanc l’absence de détermination. Combien de générations à partir d’un ancêtre noir est-on supposé descendre pour être nommé autrement, comme si l’ascendance blanche, aussi importante puisse-t-elle être dans un patrimoine génétique, était neutre, par conséquent plus normale que l’autre ?
Il n’y a pas de connotation discriminatoire et négative dans les propos des commentateurs de l’élection d’Obama, mais une admiration à laquelle colle encore de l’étonnement. Quand donc, cependant, être noir ou métis ne sera-t-il pas plus une qualité qu’un inconvénient, à l’instar d’une voix grave ou de grands pieds ?!... Quand donc, lorsqu’il s’agira d’annoncer qu’untel a été nommé préfet, personne ne se sentira plus obligé d’ajouter, comme s’il s’agissait d’une information intéressante, « préfet noir » ? Peut-être au moment où il deviendra totalement indifférent, par exemple, qu’une femme ou un homme dirige un parti politique important, une grande entreprise, un gouvernement, un Etat. L’indifférence généralisée à l’égard des caractéristiques biologiques ou accidentelles d’un individu sera en effet le signe que nous avons grandi en pensée et en civilisation.
L’indifférence n’est pas synonyme d’indifférenciation. Mais en ces temps où tel faquin médiatique de droite prétend réhabiliter en pleine lumière l’idéologie pouacre de l’existence de races humaines voire d’une hiérarchisation entre elles, il est inouï mais hélas non superflu d’avoir à rappeler que si l’humanité est composée de morphotypes différents, la race est un concept scientifique qui ne peut s’appliquer qu’aux sous-espèces d’animaux domestiques créées par sélection. Une race est en effet un isolat génétique, une population dont la reproduction est totalement séparée de celle des autres dans le but de fixer certaines caractéristiques héréditaires, ce qui n’est évidemment le cas d’aucun échantillon de l’humanité.
Il est donc stupide, illégitime et grossier de délimiter et donc réduire autrui à sa biologie, que ce soit pour le stigmatiser ou pour le louer. Seule notre différenciation dans la très vaste dimension du fait culturel (traditions, coutumes, mentalités, philosophies, croyances, structures sociales, art, personnalités individuelles…) est digne d’intérêt. Parmi ces multiples spécificités, certaines sont insignifiantes pour qui n’y adhère pas, mais d’autres mortifères, et que l’on ne vienne pas dire que chacun peut et doit se débrouiller avec ses tropismes sanglants ! Sans pourtant niveler arbitrairement le tout, notre sauvegarde et notre dignité commune reposent fortement sur un socle de valeurs universelles - qui nous apparaissent telles parce que nous le décidons et non parce qu’elles nous sont préalables et suréminentes ; nous devons pouvoir nous y reposer un peu de se démener pour vivre.
La mort est antiraciste. Tous nos os d’ivoire s’en vont brunir ou cendrer, et les cris de rage ou de détresse déchirent pareillement nos gorges. Mélanger du noir et du blanc fait du gris nuage, bien joli dans le ciel et sur la toile, mais salutairement et obligatoirement banal sur nos cellules de peaux ; pas de quoi baisser la tête ni hausser le col. Notre importance humaine n’en est pas pétrie, mais dans la tendresse, le sourire, l’intelligence, la sagesse, la révolte. La vie.
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