Pékin 2008 : Les meilleurs jeux de l’Histoire ?
Les JO qui s’annoncent à grand bruit seront-ils la réussite historique que prédisent et souhaitent tant les pontes du CIO que les organisateurs ? Quelques raisons de rester réaliste, voire d’être un tantinet pessimiste.

Si Flaubert était encore parmi nous et pouvait ré-écrire son fameux dictionnaire des idées reçues, il ne fait pas de doute qu’on y trouverait en bonne place la mention « jeux Olympiques de Pékin » avec le commentaire : « Les meilleurs de l’Histoire ».
« Les jeux Olympiques de Pékin seront les meilleurs de l’Histoire » est une sorte d’incantation —ou est-ce un exorcisme préventif ?— que toutes les grosses huiles de l’Etablissement sportif, du chef du Comité olympique américain au président d’honneur du CIO Antonio Samaranch, aiment à réciter régulièrement. Les Chinois eux-mêmes, qui ont depuis longtemps troqué la vertu traditionnelle de modestie pour la vantardise américaine, ne craignent pas de le répéter sur tous les tons. Or la fête n’a pas encore commencé.
Bien sûr, si tout devait se résumer à la vitesse d’exécution des grands chantiers olympiques, Pékin—pourquoi dire « Beijing » quand ces messieurs ne se gênent pas pour siniser les noms de villes étrangers ?—mériterait cent fois la palme d’or, d’autant que le fiasco d’Athènes fournit un commode repoussoir aux performances des fourmis chinoises.
Reste que contrairement à ce que semble penser tout le gratin, les Jeux, ce ne sont pas que des stades nickel et des prouesses numérisées. On peut donc penser que les jeux Olympiques de Pékin ne seront pas, tant s’en faut, les meilleurs de l’Histoire.
D’abord, même si elles parviennent à contrôler tout ce qui se passe à terre, les autorités chinoises ne pourront pas aussi facilement dompter le Ciel pour qu’il se prête à leur entreprise d’auto-célébration.
Aujourd’hui, 4 août, la ville hôtesse est recouverte d’un épais et chaud linceul de brouillard ; hier, les températures oscillaient aux alentours de 35 degrés sous un ciel déjà légèrement voilé après le soleil superbe de samedi. Une série de gros orages la semaine dernière a mis fin à une période de sécheresse exceptionnelle, laquelle avait plongé la ville dans une touffeur insupportable. Ces ondées ont provoqué l’embellie de la fin de semaine, que les organisateurs se sont empressés de saluer, le premier ministre Wen Jiabao, hilare, allant jusqu’à promettre une ville « propre, verte et belle » pour les JO.
La météo chinoise, qui prend décidément les gens pour des imbéciles, veut faire croire que, d’ici trois jours, eh bien, ce sera l’automne ! Au nom du calendrier millénaire chinois et de ses « jieqi (prononcer djié-tchi) », selon lesquels le 7 août est le premier jour de la chute des feuilles. Comme par hasard, la cérémonie d’ouverture tombe, elle, le lendemain.
Pour convaincre, le monsieur Météo local a sorti les statistiques –équivalent de la parole de Dieu en paradis communiste : si l’on fait la moyenne des fluctuations aoutiennes du mercure de ces trente dernières années, la température moyenne durant les Jeux devrait se situer aux environs de 24 degrés Celsius. A ce compte-là, Athènes, Atlanta et Los Angeles sont battus ! On oublie cependant de mentionner le fait qu’en trente ans, non seulement la ville de Pékin, mais tout le climat mondial ont changé...
Le mois d’août local depuis une dizaine d’années, c’est, pour le dire simplement, un enfer immonde. L’humidité et la chaleur sont intolérables, la visibilité exécrable, l’air irrespirable. Certes, on a fermé des usines, arrêté les chantiers hystériques qui tournent jour et nuit, interdit la circulation d’une voiture sur deux. La qualité de l’air est meilleure. Mais comme l’a dit un météorologue de l’université de San Diego qui suit l évolution de la pollution à Pékin, sans vent et sans pluie, ce type de mesures ne peut avoir que des effets limités. Or les organisateurs veulent empêcher les précipitations pour ne pas gêner les cérémonies et les compétitions ! Bref, le temps, qui avait tant contribué au succès –mérité—des jeux de Sydney, ne sourira pas aux organisateurs des Jeux. Voilà une quasi-certitude.
Si le ciel ne jouera pas en faveur des JO de Pékin, l’architecture et l’aspect de la ville ne feront pas non plus de cette olympiade une réussite historique. Commençons par le ghetto Olympique, pardon le parc Olympique. Qu’y voit-on ?
Loin de se dresser dans un cadre qui évoque même vaguement les splendeurs, certes austères mais non dépourvues d’un certain charme barbare et exotique, de la capitale impériale, le stade et la piscine olympiques sont entourés de toutes parts d’un amoncellement de gratte-ciel d’une laideur incommensurable : à l’ouest une tour qui ressemble à une mouche posée sur le buste plantureux d’une femme décapitée domine une rangée d’immeubles dont le style rappelle à la fois les statues de l’île de Pâques et les temples égyptiens ; à l’est et au nord s’élève un fouillis d’immeuble aux formes surréalistes ; au sud un lacis d’autoroutes et de tunnels donne à l’ensemble un air de banlieue américaine.
Quant au stade National et à la piscine Olympique, que la presse s’évertue à affubler de surnoms faussement sympathiques tels que « Nid d’Oiseau et « Cube d’Eau », ils ne sont que de purs produits de Disneyland. Au tas de ferraille oppressant du stade —de forme ronde pour évoquer le Ciel, prétendent les organisateurs !-répond la dalle lourde et anguleuse du bassin olympique à la façade couverte de boursouflures—cela représente la Terre, nous dit-on. La nuit tombée, l’ensemble se transporte par la magie de son éclairage yankee—criard et immature—dans l’ambiance électrique de Las Vegas. On chercherait en vain dans cette architecture le moindre atome de la qualité subtile et mystérieuse du génie chinois, à moins bien sûr de ne vouloir voir que les lotus de l’étang de service.
Le reste de la ville est à l’avenant, inutile de s’étendre là-dessus : la Chine n’est plus en Chine depuis belle lurette.
Je pourrais mentionner, comme autre cause de succès plus que mitigé, le fait qu’un pourcentage élevé de la population autochtone crache, rotte, se mouche le nez avec les mains et mange la bouche ouverte avec de bruyants gnac-gnac. Pour ne pas heurter les sensibilités délicates et dressées à l’orthodoxie en matière de discours sur les peuples exotiques, je renonce toutefois à faire la liste des défauts humains de nos sacrés indigènes. Je me contenterai de dire que le gouvernement n’a fait aucun effort pour corriger ces travers répugnants. D’une part, il redoute de heurter une clientèle populaire qu’il sait récalcitrante à tout changement d’habitudes et d’autre part il ne peut se refuser le plaisir facile de choquer les diables étrangers. A quoi bon être riche et puissant si l’on ne peut plus faire comme chez soi, hein ?
Je pourrais dire aussi que les Jeux se déroulent sous un régime d’oppression fort semblable à celui de Berlin en 1936, mais à quoi bon répéter l’évidence, surtout quand elle ne gêne pas nos grands démocrates ? Qu’il me suffise de parler de la qualité de l’accueil.
Il ne faut pas oublier que les JO ont été précédés par une campagne de haine savamment orchestrée par le pouvoir en place. Le prétexte en furent les désordres, probablement en partie téléguidés depuis Pékin, qui ponctuèrent le relais de la flamme Olympique à Paris, Londres et San Francisco. Si la France, victime commode car tout à fait secondaire d’un point de vue stratégique, est l’objet principal du rejet chinois—nouvelle preuve des affinités profondes de la Chine avec l’Amérique bushienne—, le reste du monde n’est pas épargné.
Les étrangers, pour ces Jeux, demeurent l’Idiot qui ne comprend rien à notre « insondable culture millénaire chinoise », l’Ennemi, le Terroriste et le Pervers sexuel exsudant par tous ses pores à la fois sa mauvaise odeur et ses virus VIH. Il est aussi pour toute la durée de l’olympiade l’oiseau à plumer et la cible privilégiée du viol linguistique, obligation étant faite à chaque Chinois de parler à tout prix la langue de Bill Gates, qui est bien sûr aux yeux de tous l’unique langue des JO.
Terminons en disant que ces Jeux—surtout s’ils sont couronnés de succès—loin d’ouvrir la Chine au monde, ne feront que renforcer sa tendance grandissante à prendre celui-ci pour une scène où exhiber sa grandeur à deux chiffres et à jouer au matamore, voire à la brute envahissante qui veut dicter aux autres leur conduite et leur discours. N’oublions pas qu’au départ l’intérêt des Chinois pour l’univers extra-muros est des plus superficiels et d’ordre essentiellement utilitaire.
Ces Jeux—on voit le parallèle avec Berlin 1936—sont foncièrement une orgie tribo-tribale dont le nationalisme effréné à usage interne n’est tempéré que par la volonté d’en faire aussi un puissant instrument de diffusion de la culture mondialiste anglo-saxonne. On aurait donc tout à craindre d’un franc succès de la XXIXe olympiade, s’il n’y avait pas tous les facteurs d’échec qui militent contre elle et dont je n’ai pas fait la liste exhaustive.
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