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Accueil du site > Tribune Libre > Pénalisation des lois mémorielles : les difficultés juridiques

 Pénalisation des lois mémorielles : les difficultés juridiques

Le droit se trouve interpellé. Quelles sont les données du débat ?

I – Une loi n’est pas impossible en son principe. Ce sont les modalités qui posent problème.

Deux libertés fondamentales sont en cause.

 La première est la liberté de pensée définie tant par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, que par l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. La jurisprudence de référence est l’affaire Handyside / Royaume-Uni du 7 décembre 1976.

 Pour la Cour Européenne, la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de la société démocratique. Elle vaut non seulement pour les informations accueillies avec ferveur ou considérées comme inoffensives, mais aussi pour celles qui heurtent, qui choquent ou qui inquiètent.

La décision de référence du Conseil Constitutionnel date du 18 septembre 1986. Si la liberté d’expression est une condition de la démocratie, elle n’est ni générale, ni absolue. Elle doit se concilier avec « les autres droits et principes de valeur constitutionnelle tels le respect de la liberté d’autrui, les exigences du service public, la sauvegarde de l’ordre public, la préservation du caractère pluraliste et courant d’expressions socio culturelles ».

En définitive, quelle est la règle ? : Il n’existe pas de liberté sans limite, pas plus qu’il n’existe de liberté sans responsabilité. Ainsi, c’est bien dans la définition de ces limites que se pose toute la difficulté.

II – La loi Gayssot et le respect de la Constitution

Le collectif des historiens a demandé l’abrogation de toutes les lois mémorielles y compris la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990.

Il n’y a pas de raison d’abroger une loi respectant la Constitution.

Bien entendu, il est tout à fait regrettable que le Conseil Constitutionnel, sur un sujet aussi important, n’ait pas été saisi, ce alors même que l’opposition parlementaire avait été particulièrement vive à l’époque. Ceci étant, l’analyse majoritaire des juristes et la pratique du contentieux, établissent que cette loi, en droit, n’est pas un obstacle à la liberté de la recherche et de l’enseignement.

La raison est très précise. Elle ne renvoie pas à la spécificité de la Shoah qui serait considérée comme un élément tel qu’elle ne pourrait être contestée. La loi sanctionne ceux qui soutiennent des thèses niant la réalité de ce qui a été jugé à Nuremberg. Dès lors, la limite à l’expression des idées devient admissible en droit car faisant référence aux décisions rendues par un tribunal, elle est bien définie. L’historien qui dans son enseignement, ou sa recherche, refuse de prendre en compte des crimes établis par des décisions de justice ayant autorité de chose jugée, engage sa responsabilité.

La limite est définie avec suffisamment de précision pour que la réponse pénale soit acceptable.

III – L’impossible pénalisation de la loi du 29 juillet 2001 sur le génocide arménien

L’analyse de fond éclaire sur l’impossibilité de la pénalisation.

1 – La loi du 29 juillet 2001 est techniquement mauvaise, le législateur se portant historien et juge.

Les débats sur la loi du 22 février 2005 relative à la colonisation, ont permis de créer le consensus autour de l’idée que ce n’était pas à la loi d’écrire l’histoire. La loi s’y est risquée le 29 juillet 2001 et ce n’est pas un succès.

 Elle reconnaît le génocide, c’est-à-dire que la loi se porte historien

 Le génocide étant une infraction, la loi reconnaît l’existence de l’infraction se comportant aussi comme un juge. Mais elle ne désigne pas le coupable, créant ainsi un coupable implicite, la Turquie.

2 – La pénalisation créerait une mission impossible pour le Juge

La loi ne peut pas faire référence à une décision de justice s’imposant sur la scène internationale, mais seulement à un événement historique. Dès lors, si la loi était votée et que des poursuites un jour soient engagées, le tribunal devrait, à l’occasion d’une affaire particulière, juger l’histoire. Juridiquement, ce n’est pas acceptable, et intellectuellement le discrédit serait alors immense.

3 – La rédaction doit trancher une problématique redoutable

L’actuelle proposition de loi ajoute un alinéa à la « loi Gayssot » relative à la contestation du génocide arménien. Dès lors, il faudra prévoir au fil du temps, la multiplication de ces alinéas car les événements historiques ne manquent pas, et l’on sait que certains feront l’objet de décisions de justice. Faudra-t-il ajouter à la loi l’esclavagisme et les guerres coloniales ? Certains pays le feront, d’autres non. C’est l’idée même du génocide, crime contre l’humanité qui sera atteinte par cette fragmentation des textes.

Une solution serait d’ajouter un alinéa complémentaire concernant « tous les génocides ». Outre le fait que le Juge devrait alors dire l’histoire, question déjà évoquée, surviendrait une autre incohérence. La loi reconnaîtrait d’abord un cas particulier, à savoir le génocide juif, puis dans un texte complémentaire ajouterait l’ensemble des génocides. Incohérent. Quant à supprimer l’article sur le génocide juif pour le remplacer par un texte visant tous les génocides, cela est envisageable sur le plan politique, historique et juridique : il serait curieux de voir la loi renoncer à un texte bénéficiant d’une définition stricte par référence aux décisions du tribunal de Nuremberg, pour revenir à un critère purement historique.

4 – La pénalisation serait contraire aux droits fondamentaux

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » chacun connaît la formule. En droit, il a souvent été analysé que les lois spécifiques se retournent contre ceux qu’elles entendaient protéger.

La loi Gayssot respecte les droits fondamentaux du fait du caractère très précis de sa définition. Il en irait différemment de textes qui pénaliseraient l’expression d’une opinion, sans bénéficier d’une référence aussi forte que l’autorité du jugement d’une juridiction internationale. Le flou de la limite, et le caractère hors norme de la mission confiée au juge, soit le jugement de l’histoire, placerait la loi en contrariété avec la constitution. Sans doute pourrait-il y avoir consensus pour ne pas saisir le Conseil Constitutionnel.

Mais le débat réapparaîtrait plus tard devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, extrêmement attachée à la liberté d’opinion comme cela résulte notamment de son arrêt Handyside, visé plus haut.

III – Le génocide et l’ONU

Reste une dernière question : pourquoi la France ne peut-elle pas faire ce que l’ONU aurait fait ? C’est une idée qui apparaît dans l’exposé des motifs de la loi, mais qui résulte pour le coup, d’une négation grave de faits pourtant simples.

L’ONU aurait-elle reconnu le génocide arménien ? Il va de soi que s’il existait une résolution de l’ONU venant d’un vote en assemblée générale, ayant reconnu le génocide arménien, il n’y aurait plus de débat en France. Or, la question est toute différente.

Le texte dont il est fait état est le rapport établi par Benjamin Whitaker, présenté à la sous-commission des Nations Unies sur la prévention des discriminations et sur la protection des minorités. A la suite de débats difficiles en commission, dont on retrouve le rapport sur internet, et qui font partie des archives des Nations Unies, la solution adoptée a été de prendre acte du rapport comme un texte préparatoire. De telle sorte, ce rapport n’a jamais été présenté à l’instance supérieure qui est à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, et encore moins à l’Assemblée Générale. Quels ont été les débats ? Les mêmes que ceux qui sont rencontrés actuellement sur la scène française. C’est là toute la différence entre l’analyse d’événements historiques et leurs qualifications juridiques à travers une définition de type criminel.

Alors, il n’y aurait rien à faire ?

Certainement pas, mais un minimum de prudence est nécessaire en intégrant que la loi ne peut pas tout faire, et que le droit s’est donné les moyens de contenir les excès de la loi.

La manière dont a été traitée la question du racisme mérite réflexion. Le préalable a d’abord été une convention internationale, du 21 décembre 1965, que les Etats ont ensuite mis en œuvre dans le cadre de leur législation nationale, en France par la loi du 1er juillet 1972. Parce qu’il s’agit de défendre ce trésor commun qu’est la dignité humaine, la solution doit être internationale. Le premier pas pourrait être une grande conférence organisée sous l’égide du Conseil de l’Europe, préalable à la recherche d’un discours commun.


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2 réactions à cet article    


  • patrickk 27 juin 2011 11:23

    L’argument juridique de Nuremberg n’est pas très convaincant.
    De toute façon il ne s’appliquerait qu’au génocide arménien et encore. Qu’on ne rappelle le procès de l’assassin de Talaat Pacha.
    Mais pour le Rwanda il y a un tribunal international et les Khmers Rouges ont commencé à être jugés.


    • Alexis_Barecq Alexis_Barecq 27 juin 2011 23:06


      Ces lois mémorielles sont des lois d’exceptions, les les lois d’exception sont une honte pour l’État de droit.

      Honte !

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