Perspectives politiques
La dernière élection présidentielle constitue indéniablement une révolution du paysage politique français et de ses équilibres. Outre l’origine des candidats (non énarques), leur âge (nés après la guerre) et leur idéologie (intégration de la mondialisation dans leur approche), nous assistons surtout à une recomposition intégrale des forces politiques en place depuis trente ans. Dans ce contexte, quelles sont les hypothèses, comment va se réorganiser l’échiquier politique français dans les semaines et les mois à venir ?
Le
scrutin présidentiel du 6 mai nous a appris et rappelé plusieurs
choses. Premièrement que les électeurs français avaient
traditionnellement une certains proximité avec les discours de droite.
Cela ne signifie pas pour autant la "fin de l’histoire", la fermeture
de la parenthèse socialiste ouverte en 1981 et présentée comme une
anomalie responsables de tous les maux du pays par les idéologues de la
nouvelle droite et un certain nombre de médias. Le contexte est autre,
les électeurs sont autres (plus jeunes et
plus vieux), le personnel politique est autre. Il serait illusoire de
voir dans le score du candidat UMP une proclamation d’un large virage à
droite de la France. D’abord car moins de deux millions d’électeurs
séparent les deux candidats. Ensuite parce que la typologie par âge
des électeurs a montré un très net clivage entre retraités et actifs
dans le choix du candidat. Enfin parce que la personnalisation très
forte de cette élection (les candidats ayant peut-être pour la première
fois su se soustraire à l’influence du parti) et la recomposition
politique ont été les clés de l’élection.
Nous avons également
découvert que le pouvoir médiatique était bien plus important et
influent que chacun voulait bien l’admettre jusqu’ici. Le terme de
"putsch médiatique" a été lancé en référence à l’influence indéniable
des sondages et des médias dominants sur le vote. Il devrait être
inquiétant pour tout analyste de gauche comme de droite, que les
sondages proclament avec autant de précision le résultat, plusieurs
semaines à l’avance. Nous ne sommes ici plus très loin de la Pythie
grecque...
Mais surtout, nous assistons
à l’aboutissement d’une évolution des mentalités issue de plusieurs
cohabitations, de l’"expérience" frontiste et de la fin des
subsistances de l’ancien monde, celui de la guerre puis de la Guerre froide. Quel est donc aujourd’hui l’état des lieux des forces
politiques françaises ?
Première victime du dernier
scrutin, un parti communiste en fin de vie, qui a longtemps cru que de
simples réformes idéologiques et structurelles parviendraient à
redonner confiance en son rôle. Le PC français a rompu avec le
stalinisme, mais pas avec l’étiquette qui lui colle à la peau. Le
communisme (assimilé au bolchevisme et à l’application soviétique) est
discrédité depuis de longues années maintenant et seule une
redistribution complète, passant par un changement de nom - ce qui fit
le PC allemand en devenant le "Linkspartei" ("la gauche") - ,
parviendra à récupérer les voix de l’ancienne seconde puissance
électorale française. Contrairement à l’histoire de son homologue
allemand, la lente dégradation de sa représentation aux élections
majeures ne semble pourtant pas être suffisante pour provoquer le
séisme nécessaire. Et surtout, la base d’élus locaux encore forte
assure aux tenants de la tradition tout risque de réformisme radical.
De l’autre côté de l’échiquier, l’avenir du Front national, arrivé
au terme de son aventure populiste, dépend surtout de ses alliances
avec la nouvelle droite au pouvoir. Outre la volonté du Chef de
maintenir son autorité dans les années à venir et de passer ou non à
une direction héréditaire, la guerre des chefs qui a vu des prémices en
1998 avec la scission de Bruno Mégret, ne devrait plus tarder. En tout
état de cause, l’épouvantail voulu par le pouvoir mitterrandien comme
par les chiraquiens depuis près de trente ans a achevé son oeuvre en
fusionnant thématiquement avec la droite de gouvernement. L’élection de
mai 2007 a ramené le score du FN à sa probable base réaliste de 10 %
datant des européennes de 1984, "rendant" 6% à la droite classique. Au
grand désespoir des ambitions de Jean-Marie Le Pen, la "lepénisation
des esprits" tant clamée est bien arrivée... vidant de son utilité la
formule d’un parti d’extrême droite. Il semble que son avenir soit
désormais plutôt celui d’un simple mouvement de la droite nationaliste.
A l’extrême gauche, la LCR pourrait redevenir un aiguillon
dérangeant pour le PS par la confiscation de 5% de voix aux ambitions
du parti de gauche. Le refus catégorique et (irresponsable) des
trotskistes de participer à tout gouvernement, se cantonnant à un rôle
d’éternel opposant, aura pour effet d’interdire toute progression de
ses votes au-delà de la seule contestation. C’est là le paradoxe d’un
mouvement dont les discours s’arrondissent pour capter de l’électorat,
tout en refusant les responsabilités que procure cet électorat. L’échec
patent de l’alliance du Non de gauche après le référendum de 2004 tend
à montrer que ni Lutte ouvrière, ni la LCR ne sont prêts à assumer
enfin leur nouvelle place sur l’échiquier politique.
Le Parti Socialiste est lui à un tournant de l’histoire de la
gauche, contraint à un choix qu’il ne souhaite pas faire puisque imposé
par les chiffres et non par une réelle volonté de changement doctrinal.
Si les trois échecs successifs aux Présidentielles amènent un constat
d’échec que les tenants tu blairisme tentent déjà de récupérer, c’est
surtout le départ d’une partie de son électorat vers le Centre qui
amène un choix nécessaire. Autrefois la majorité de l’électorat de
gauche etait assez stable, le parti n’ayant qu’à procéder à des
alliances de gouvernement avec les communistes pour s’assurer du vote
de l’ensemble de la gauche. La réalité d’aujourd’hui est toute autre,
les électeurs ayant pris leur indépendance. Prisonnier de ses échecs
désormais récurrents, de personnalités qui n’acceptent pas de passer la
main (en comparaison avec un gouvernement Fillon dont quelques-unes des
plus anciennes têtes sont apparues en 2002) et d’une opposition de plus
en plus marquée entre l’aile gauche (Mélanchon se rapprochant de
l’extrême gauche au référendum européen) et l’aile droite (Dominique
Strauss-Kahn tente de démontrer que le report d’une inévitable mue
blairiste est directement responsable du triple échec présidentiel), le
Parti socialiste a perdu toute initiative, subissant les évènements,
rythmés par des querelles de personnes et un statut d’opposition
permanente et systématique. En l’état de la situation,
malgré la nouvelle culture apportée par l’ex-candidate Royal, rien ne
semble pouvoir empêcher un quinquennat de décomposition pour le PS.
Les Verts sont une sorte d’anomalie dans l’organisation politique
française. Inspirés et influencés par leurs homologues allemands,
l’histoire des Verts s’est liée à ses personnalités, provocant des
hoquets plus ou moins graves en fonction de la personnalité et de
l’autorité du leader du moment. Surtout, la collégialité surdéveloppée
semble interdire toute ambition réelle au niveau national, tant
l’identification des électeurs à une personne paraît un tabou
indépassable. Bien que l’antilibéralisme ait pris une place non
négligeable dans les discours du parti, le pivot majeure reste
l’écologie, thème qui, malgré sa place dans la dernière présidentielle,
cantonne les Verts à un groupe quelque peu folklorique déconnecté des
réalités sociales. Et donc cantonné au rôle de supplétif du Parti socialiste. Pourtant, ce ne sont pas tant les quelques 5% de voix
généralement atteintes aux Présidentielles qui scellent leur rôle, mais
bien la composition des élus et cadres du parti. Car les Verts ont
cette particularité d’être à la fois bien implantés en régions, composé
de citoyens non-énarques, et étrangers à toute doctrine politique
traditionnelle. Autant d’éléments qui constituent l’architecture du
mouvement de François Bayrou. Et devraient naturellement entraîner un
certain nombre de cadres dépités des déboires du parti écologique à
tenter l’aventure du MoDem. Les passerelles sont nombreuses entre les
deux formations, pour peu que l’étiquette "droite" qui colle toujours
un tant soi peu à François Bayrou disparaisse rapidement. Des
Cohn-Bendit, Lipietz ou Mamère pourraient ainsi être aspirés par le
nouveau parti démocrate et lui apporter une crédibilité qu’il attend.
Issu d’une des branche de la droite bicéphale qui a survolé la France
pendant vingt-sept ans, le Mouvement démocrate, ex-UDF, a les clés de
l’avenir politique de la France. Quelles que soient les ambitions
présidentielles personnelles assumées de François Bayrou, le mouvement
se trouve à un moment charnière, où il représente la seule alternative
à une dérive autoritaire et monolithique de la droite dure représentée
par le nouveau Président. Son destin aurait été tout autre, sans doute
voué à l’échec, sans la déliquescence annoncée du PS et l’effondrement
du Front national. La politique a horreur du vide et la tradition
démocratique des français est trop forte pour tolérer qu’un parti
unique accapare le débat comme les institutions. Lorsqu’il annonce la
création de ce nouveau parti, François Bayrou a deux alternatives. La
première, qu’il favorisait alors très probablement, consistait à se
détacher de l’UMP tout en conservant la filiation UDF et l’autorité
morale d’un Valéry Giscard d’Etsaing ou d’une Simone Veil. L’autre
choix était de divorcer avec ses racines et d’assumer un renouvellement
complet du personnel comme des thématiques de l’UDF. La première
hypothèse semblait bien improbable et vouée à l’échec, tant elle
signifiait un renoncement fondamental pour des hommes qui, les
dernières semaines l’ont montré, pensent à leur avenir politique avant
de regarder celui de la France.
La tentative d’assassinat politique qu’est en train de mener
Nicolas Sarkozy a le mérite de d’imposer une clarification. Et de
forcer la main à François Bayrou dans un sens radical : celui du
renouvellement. En quelque sorte, si quelques réticences subsistaient,
le Président contraint le troisième homme à un véritable rôle
d’opposant. Devant l’hémorragie de ses élus, le président de l’UDF ne
verra sa survie que dans une ouverture assumée, des gaullistes aux
Verts, en passant par les socialistes, vers une recomposition complète
des cartes.
Les choses paraissent ainsi relativement simples aujourd’hui. L’UMP
assume pleinement son statut de super-parti, jouant le jeu de
l’ouverture dans un gouvernement pré-législatives qui, cela ne fait
aucun doute, sera remanié en fonction des résultats. Les électeurs du
Front national (et leurs préoccupations populistes) ont
été aspirés pour longtemps. Le Parti socialiste ne sera
vraisemblablement pas en mesure d’assumer quelque rôle avant les municipales et les régionales de 2008 et le défaitisme affiché de façon
assez incroyable ne risque pas d’entraîner les voix désespérées des
électeurs de la gauche. L’extrême gauche, libérée du carcan du vote
utile, va récupérer ses quelques 7 à 8 % de voix cumulées et préparer
rapidement les mouvements sociaux (le fameux 3° tour social) probables
de la rentrée. Le MoDem, en assumant les affrontements avec la droite
(l’attitude de François Bayrou dans l’entre-deux tours, hors des
postures politiques de neutralité stricte, ne laisse planer que peu de
doutes sur sa préférence en matière d’alliances), joue son destin. Le
fait de présenter des candidats issus de la société civile est un point
positif qui va dans le sens voulu. Les Français y sont favorables au
vu des réprimandes entendues depuis des anées contre l’establishment
politique. Si le béarnais parvient à attirer à lui quelques figures
importantes du paysage politique pour offrir une légitimité au parti,
il est tout a fait possible que, bien plus qu’une poignée de députés,
le MoDem gagne, si ce n’est les législatives, le statut de seconde
force politique en France pour le quinquennat qui commence.
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