Petit vocabulaire personnel : 4. Les mots
Les mots, les mots d'une langue, sont une invention humaine tandis que le langage est d'essence naturelle.
À s'y complaire, nous avons perdu la capacité de communiquer. En effet, les mots ont peu d'aptitude ; ils ne rendent compte ni de la souffrance ni d'aucun affect et, formes vides, ils ne sont vecteurs de compréhension que si l'interlocuteur, par ses propres projections, tombe juste.
Ils ne rendent compte ni de l'un ni du multiple : synthétiques ils simplifient, analytiques, ils se perdent dans les détails.
Leur musicalité est une bouteille jetée à la mer qui trouvera peut-être preneur, sans garantir la justesse d'interprétation ; ils touchent la sensibilité mais ne présument pas de l'identification à celle-ci, du locuteur au destinataire, surtout si celui-ci est un inconnu, que le mot est écrit et sans aide de l'intonation de la voix et de tous les signes spécifiques à la situation d'énonciation.
Ils ne sont donc justes que lorsqu'ils ne sont pas nécessaires : « Passe-moi le sel ! » ou « Il pleut ».
Tout ce qui veut être dit d'autre n'est pas dit par les mots.
La linguistique, s'essayant à remplacer la grammaire traditionnelle pour en accroître la pertinence, s'est vite confrontée à la complexité du signifiant et, voulant à l'infini perfectionner son analyse, s'est vue contrainte de finir en d'inutilisables formules algébriques.
Ainsi le monde ne peut-il se percevoir qu'en fulgurances géniales ou révélées et les mots s'abîmer en une vaine lutte à réduire la vie à la mesure de notre cerveau.
Ils nous occupent mais plutôt qu'expliquer ou éclaircir, ils obstruent et obscurcissent l'horizon de leur dessein.
On dit d'eux qu'ils ont du pouvoir ; qu'ils peuvent tuer mais consoler ou réjouir. Pourtant, là aussi, ils ne sont le vecteur que d'une vérité intérieure : le mot utilisé tue seulement si la personne qui le prononce a le pouvoir sur l'autre, de la tuer.
La situation d'énonciation, donc, dans laquelle peut à l'infini se diluer la linguistique, situation qui inclut la psychologie de l'un et l'autre locuteur, la culture commune ou non, qui rend les présupposés audibles, la politique du moment, bref, cette situation est non seulement prépondérante mais seule maître.
Dans les histoires, dans le récit, c'est le lecteur ou l'auditeur qui fabrique, à partir du matériau donné, ce monde offert à son imaginaire.
Il n'est pas rare d'être incompris, non par les ambiguïtés du texte mais bien par les a priori du lecteur.
Les mots sont nos mensonges qu'ils parent de rigueur, d'ordre ou de raison mais que notre corps, nos actes trahissent ; notre vérité trahit toujours nos mots.
Ils organisent notre monde, ils nomment, ils définissent et ce faisant, ils nous éloignent toujours davantage de la vérité.
Mais la vérité importe peu à l'homme car celui-ci n'y a aucune maîtrise : le pouvoir y prend une grande part de ses bases.
L'homme veut résoudre et tout construire à son image.
Les mots sont là, pour tout cela.
Mais on les aime, on les enrichit, on les invente ou réinvente, on les agence, les réunit, les étire, les tronque ; on les malmène, les travestit, les rapetisse, les conjugue les marie les oublie les note les repère les placarde .. ils sont notre bien propre, inaliénable, notre grandeur, la seule réalité commune partagée sans trop d'inégalité, accessibles, indispensables.
Création sans créateur, juste le temps et l'usage, ils sont notre bien commun.
Les mots sont miens, les mots sont vôtres et pourtant les miens ne sont pas vôtres tout en étant semblables : dans leur emploi réside toute la suffisance de l'esprit humain, dans leur promesse, toute la beauté des hommes.
« Il me susurre des mots doux, ils me bercent, ils m'endorment et me convainquent,
Il me hurle des mots féroces, ils me transpercent, ils me forcent et me vainquent. »
5.
...Un mot, un mot qu'il faut inventer pour décrire cette nouvelle réalité que représentent nos chefs, nos élites, nos gouvernants, nos élus, parce que quelque chose d'encore indicible les rassemble parce qu'ils se ressemblent.
Ce ne sont pas des « idiots », l'idiot relève plutôt d'une naïveté qui le rend inadéquat à la société, un désintéressement de l'opinion et du jugement d'autrui, il vit en boucle dans son monde clos, il ne prend pas de recul et accepte sa solitude subséquente, non sans douleur : « faire l'idiot », « l'idiot du village »... ils en sont loin !
Ce ne sont pas des « imbéciles » : l'imbécile joue contre lui-même par manque d'anticipation, voire d'intelligence, de mémoire. L'imbécile ignore les autres, il est raciste et prend tout le monde pour des imbéciles.
Il y a de cela pourtant dans le mot que nous cherchons.
Ce ne sont pas des « cons » : « con » est un mot vide qui ne se remplit que de la situation, donc est absent du récit : nous cherchons un mot qui puisse s'utiliser dans le récit aussi et quitte à faire, soit moins approximatif dans son contenu.
Ils ne sont pas « bêtes » : le qualificatif « bête » fait référence à la bête, l'animal et cela ne peut, naturellement pas s'appliquer à ce que nous cherchons.
Ces gens-là prennent les autres pour des imbéciles, des cons, des bêtes ! Ces gens-là sont sidérants. Ce serait peut-être le mot convenable s'il n'était employé communément dans tant d'autres circonstances qu'il ne peut nous satisfaire pleinement !
Ces gens-là sont révoltants, pourtant ils ne suscitent que peu de révolte.
Ces gens-là abusent de leur pouvoir qu'ils ont volé par leurs mensonges.
Ces gens-là n'existent que parce que les autres les laissent faire ; ils ne rencontrent que peu d'obstacles car leur conviction et leur ambition les effacent ou les minimisent.
Ils sont dénués de morale et possèdent un esprit assez étroit pour ne voir que ce qu'ils veulent voir ; ils passent en force quand ils ne peuvent plus leurrer.
Ils finissent de manière pitoyable si on ne les arrête pas à temps : ils sont donc éphémères.
Ils perdent leur panache dès qu'ils sortent de leur zone d'influence, ils sont alors plus démunis que n'importe lequel d'entre nous.
« Étroit » pourrait peut-être convenir mais ne rendrait pas compte de leur nocivité. Car ils sont nocifs.
« Nocif »alors ? La nocuité pourrait bel et bien être leur attribut premier ; il nous faudrait inventer l'adjectif correspondant « nocuit » ? Il faudrait s'y faire, ce n'est pas qu'il faille absolument trouver un joli mot, mais tout de même ! « Nocif » est trop banal appliqué à tant de domaines..
Ils ne sont pas des dictateurs parce qu'ils ne se trouvent pas au bon endroit au bon moment.
Et « les petits chefs » ne leur convient pas non plus parce que leurs troupes sont maigres : quelques courtisans tout au plus, qui trahiront au premier virage.
On ne peut les atteindre parce que leur mental est imperméable, leur position trop protégée.
Ce sont des pantins que seules leur folie et la complaisance de leurs proches agitent.
Ce sont des usurpateurs qui vivent une terrible tension de devoir toujours faire semblant cependant qu'ils sont aptes à faire passer leurs trébuchements pour des broutilles.
Il faut aussi savoir si nous voulons les définir pour ce qu'ils sont de nous à eux, c'est-à-dire inatteignables, sourds, hermétiques, « insensibles au chant », caparaçonnés... ou bien si nous les définissons pour ce qu'ils sont d'eux à nous : imbéciles ( voir plus haut), dédaigneux, arrogants, suffisants, écrasants...
Ils sont des êtres d'exception, heureusement, car la folie ordinaire n'a pas besoin de tous ces débordements.
Ils peuvent être pris de folie des grandeurs, de démesure, d'irrespect, de mépris, de méprise, et il faut bien le dire, ils sont ridicules. Mais dépourvus d'orgueil : à terre, ils se relèvent et parlent de demi victoire ; pris la main dans le sac, ils détournent le regard et nient, aucun rictus ne trahit leurs méfaits.
Ils cumulent, comme on le voit, et le tableau n'est sûrement pas exhaustif, tant de vices qu'on se demande si un mot humain sera susceptible de les définir.
J'avais bien pensé à un sarkozy, ou un sarkoz, ou un sarko : on a bien fini par dire : une poubelle !!
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