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Petite chronique de médecine générale...

Jeune médecin généraliste de campagne… Image idyllique de proximité et d’entraide…

Jeune je l’étais il y a une dizaine d’années… Jeune, un peu idéaliste, plein de bonnes volontés, des fictions plein la tête. Dix ans plus tard, toujours heureux de mes choix, un peu moins naïf, beaucoup plus désabusé.

Gouvernement de gauche, gouvernement de droite… Peu de différences pour les patients. Le changement économique, la mondialisation, la délocalisation, la pressurisation des travailleurs passant dans mon cabinet…

Je vais vous raconter une histoire banale et vraie. Petite histoire de tous les jours. J’appellerais cela le harcèlement accepté mais inacceptable et habituel au travail.

Mardi soir, autour de 20 heures (non non, pas travailler plus pour gagner plus, mais travailler plus car beaucoup de travail), un jeune patient pas encore trentenaire mais déjà pas mal usé. L’air fatigué et les yeux cernés par la douleur, travaillant pour une de nos grandes compagnies nationalo-internationales, fleuron de l’industrie para-automobilistique, spécialiste de pneus, que je ne nommerais point. Cet après-midi là, en maniant une pince apparemment, et dans un mouvement de rotation du tronc, il a ressenti une douleur vive et un claquement au niveau du dos et est bloqué depuis. L’examen confirme l’existence d’un lumbago. On peut toujours, vous me direz, mimer une blessure inexistante. Mais là, la déformation musculaire au niveau du dos ne trompe pas. Vrai lumbago, probablement par déchirure musculaire para-vertébrale. Conclusion : les recommandations internationales préconisent, en plus du traitement médical et les quelques séances de kinésithérapie, un arrêt de travail en rapport avec l’activité physique du patient. Un lumbago n’a pas la même signification pour un secrétaire ou un employé de bureau que pour un maçon ou un menuisier, l’arrêt pouvant aller de quelques jours à quelques semaines. Etant donné les mouvements effectués pendant son travail, je préconise une dizaine de jours. Je demande si la déclaration de l’accident a été faite auprès de son employeur. Il me répond par le positif mais que ce dernier n’a pas voulu lui délivrer l’attestation en question, car il préfère que ses employés ne prennent PAS d’arrêt pour accident de travail, préférant largement l’aménagement de poste de travail que l’arrêt. Je hausse un sourcil, le dévisageant… 1m75, dans les 90 kg, des cornes à la main plus épaisses que celles à mes talons, témoignant de la dureté des travaux effectués au cours de sa jeune existence. Aménagement du travail… quel genre d’aménagement… travail derrière un bureau ? Rester debout toute la journée, surveillant dans le froid le va et vient de ses collègues ? Aucun travail physique ? Assis pendant 5-7 heures, vissant des boulons en contractant ses muscles à cause de la douleur ? Je lui rétorque que c’est un accident, survenu sur le lieu du travail, en relation directe avec son travail… définition même de l’accident du travail. Que son employeur n’a pas le droit de lui refuser son attestation et que quelque part je m’en fous (excusez l’expression) du bon vouloir de son employeur (façon de parler). Au bout de 10 minutes de discussion, inquiet mais soulagé, il accepte mon point de vue.

 Jeudi matin, 36 heures après l’accident, il me téléphone en me disant que son employeur refuse mon avis et préfère toujours lui octroyer un poste aménagé !!! Je lui ai conseillé de mettre le médecin de travail de son entreprise (qu’il n’a jamais vu) en contact avec moi pour qu’on s’explique de vive voix…

 Bref. Travail travail travail. Onfray disait dans une de ses conférences, qu’une des racines du mot travail provenait d’un instrument de torture. Travail, nouvelle religion (dans le sens premier du terme : ce qui sert à relier les hommes). Je me demande si je tiens un discours populiste ? Quand je vois un footballeur quelconque se claquer un muscle sur le terrain, et qu’il est absent des matchs pendant des semaines, toujours grassement payé par son club qui valorise son travail futur, et mon jeune ouvrier, payé le SMIC, pouvant difficilement joindre les 2 bouts, la voix triste au téléphone, me demandant quoi faire… Je crois fermement qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France.

 La raison ? Elle est toute simple. Beaucoup d’accidents de travail démontrent de mauvaises conditions au travail. Mauvaises conditions de travail obligent une entreprise d’améliorer l’ergonomie de ses postes. Changement de conditions de travail ??? Inimaginable. Il est toujours plus simple de changer simplement une pièce que de la réparer. Voilà la réalité tragique de notre vie moderne. Le travailleur est un consommable…


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4 réactions à cet article    


  • Larez 22 février 2010 11:19

    Merci pour ce témoignage qui ne surprendra personne.
    « Le travailleur est un consommable » : Tout vient de là ...
    Pour l’avoir déjà constaté : combien y-a t’il aussi de travailleurs légèrement blessés que l’employeur préfèrera laisser en toute discrétion se reposer quelques jours chez eux pour éviter toute déclaration ?
    Paul Moreira parle longuement de ce scandale dans son excellent livre de 2007 « Les nouvelles censures » que je ne saurais trop recommander.
    Et les syndicats dans tout ça ?


    • Vilain petit canard Vilain petit canard 22 février 2010 12:00

      J’ai une anecdote horrible, mais véridique : un jour, pendant une inspection, je trouve un ouvrier perché à 2 mètres en l’air sur un échafaudage à roulettes, lui-même coincé dans une porte coulissante. Or cet ouvrier devait être placé sur un podium avec rambardes. Je m’en étonne, et suggère courtoisement qu’on arrête ce système dangereux, bien que ce ne soit pas mon rayon (moi, c’est l’hygiène alimentaire). Vague aquiescement du directeur.

      Le lendemain, j’apprends que l’ouvrier en question s’est cassé la gueule par terre une heure après mon passage. C’était prévisible. Je fonce chez le directeur pour avoir des nouvelles, et rappeler que j’avais averti des risques.

      Réponse du directeur du site : « Oh mais vous savez, c’était pas grave, le lendemain, il était au travail sur l’échafaudage ! Faut pas s’inquiéter pour rien ! ».

      Pas mal, hein ?


      • ZEN ZEN 22 février 2010 13:27

        Bonjour
        L’auteur ne serait-il pas M.W.  ?
        Non, c’est une blague.. smiley
        On a quand même fait des progrès..
        Je me rappelle l’époque où les couvreurs travaillaient sans rambardes ni filets


        • Larez 22 février 2010 14:19

          Il y a eu de nombreux progrès, c’est indéniable. Mais depuis de nombreuses années, il y a une déliquescence orchestrée de ces progrès et les médecins sont les premiers témoins de ce drame. Leurs alertes restent sans le moindre écho me semble t-il ...

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