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Accueil du site > Tribune Libre > Petite introduction à la sophistique

Petite introduction à la sophistique

Le discours de monsieur Jakubowicz, président de la Licra, à l’Université Lyon III (29 septembre 2014) entendait définir les limites de la liberté d’expression. Nous profitons de l’occasion pour proposer quelques réflexions autour de la sophistique et l’art de la tromperie.

I. Le discours de monsieur Jakubowicz

Nous recommandons vivement l’exercice proposé par monsieur Jakubowicz (http://www.dailymotion.com/video/x27wcbn_alain-jakubowicz-a-lyon-iii-partie1_webcam#from=embediframe) : cet exemple sera pour nous l’occasion d’une esquisse de réfutation de différents sophismes très subtiles habituels chez les avocats.

Jonglant avec brio sur différents thèmes, il propose d’abord de« sonder le subconscient de l’humoriste » (en l’occurrence Dieudonné), avant d’évoquer l’« état de droit ». Nous ne nions pas le bien-fondé de l’expression mais de quel droit parle-t-on ? Droit naturel ou droit positif ? Le positivisme juridique actuel, dont l’avocat est un des fruits, ne reconnaît aucune assise naturelle universelle aux lois positives institutionnelles.

Aussi, quand il affirme que la liberté d’expression n’a aucune limite, sauf celle de la légalité, il valide les analyses du droit subjectif[1] de sa formation. Ces décisions pragmatiques deviennent des absolues !

 

Quand il regrette les carences de l’histoire officielle concernant les traites négrières[2], qu’espère-t-il ? Nous sommes obligés ici d’interpréter le subconscient du président de la Licra : ne souhaite-t-il pas noircir encore et encore l’histoire de France, soit par la médisance historique, soit par la calomnie ?

Quand il dit qu’on ne peut définir ces crimes historiques contre les peuples africains puisque la notion de « crime contre l’humanité « n’existait pas à cette époque, monsieur Jakubocicz manifeste des présupposés philosophiques relativistes et nominalistes évoqués plus haut : quand une chose n’est pas définie par le droit positif, elle n’existe pas… Or ce qui fonde le concept de crime contre l’humanité, c’est la loi naturelle non-écrite et non les décisions humaines.

« Pour moi, juriste, c’est aberrant » : oui, car le droit actuel, disons le droit occidental, est le fruit de l’occamisme anglo-saxon (dont Grotius est un élève) : il n’y a pas de loi naturelle universelle et nécessaire mais uniquement des lois écrites humaines.

Quand il argumente avec le positivisme des Lumières, est-il sincère ? On sait que le Talmud est un refus de la pensée abstraite[3] . Ces développements talmudiques se trouvent par conséquent en opposition frontale avec les Droits de l’Homme, définis selon un sens réaliste, objectif et universel. Dans son livre « Histoire Juive. Religion Juive », Israël Shahak précise que certains juifs ont cheminé vers la foi catholique grâce à « l’aristotélisme, et donc l’universalisme » (Shahak, p. 54) pour rappeler l’idéologie particulariste qui règne sur les spéculations juives.

 « Dans le climat actuel… » : objectivement, ne peut-on identifier des officines institutionnelles (Licra, Crif, etc) comme des responsables effectifs de ce climat depuis plus de 30 ans ?

Tous les sujets médiatiques du moment qui formatent les jugements du peuple de France sont évoqués dans ce discours : Dieudonné, Soral, Zemmour, Faurisson, Houellebecq, la Shoah, la loi Gayssot, la loi Taubira, les crimes contre l’Humanité, la quenelle, etc. Tout y passe, mais rien n’est défini précisément et objectivement. En rhétorique, on appelle cela les « lieux communs », sorte de background des idées reçues. Quand on se prétend un prescripteur de conscience, il faut être plus scientifique. Mais le sophiste joue sur la difficulté réelle à définir les concepts en général et certains en particulier.

Le recours à la loi positive comme argument ultime est typique de la philosophie positiviste (vous savez, celle qu’on vous a enseignée en terminale). Cette même philosophie positiviste dont les présupposés sont les mêmes que la sophistique.

II. Petite histoire de la sophistique :

A. Les Sophistes (Vème – IV ème siècle avant J.-C.)

1° Généralités et situation historique

Le terme n’est pas à l’origine péjoratif : est sophos celui qui excelle dans un art. C’est l’homme habile : arts manuels, chant, musique, etc. Mais le titre fut adopté par une certaine classe d’habiles qui excellaient, dit-on, en toutes choses… Nous dirions plutôt aujourd’hui : les arts libéraux.

Ils ont pu se distinguer à cause des carences de l’éducation classique grecque : seule la mémoire travaillait si bien que la réflexion et le jugement critique étaient négligés. Les Sophistes étaient littéralement des professeurs : les parents leur confient leurs enfants afin qu’ils deviennent « meilleurs », autrement dit à causer avec les hommes libres qui participent aux charges de la Cité. Ces beaux parleurs se vendent chers. Educateurs libéraux, c’étaient, pour les plus connus, des personnages : on les admirait, on les entourait, on les payait. Ils avaient des idées sur toutes les branches du savoir : une certaine culture générale.

2° Les Sophistes sont des relativistes

Ce qui manquait alors, c’était une règle certaine de la connaissance objective : tâche réalisée par Aristote et sa redécouverte de l’induction après Socrate.

Les hommes en venaient en effet à perdre la confiance dans les capacités humaines de connaître de façon stable. Sans points de repères, on sombre dans le scepticisme. Une adéquate saisie du monde paraissait déjà impossible aux Grecs du temps de Périclès. Les Sophistes entrent en scène dans cette ambiance sceptique : c’est d’ailleurs leur fonds de commerce.

En effet, ils soutenaient tour à tour, avec autant de persuasion, la thèse et l’antithèse ! Mais alors où est la vérité ? Leur art de persuader les amenait à opposer des thèmes : bien et mal, beau et laid, vrai et faux, juste et injuste, science et ignorance, nature et convention, lois non écrites et droit positif. Parmi les maîtres de rhétoriques : Protagoras, Gorgias, Prodicos.

Le fondement de l’enseignement sophistique : le relativisme. Le fruit de l’enseignement sophistique : le doute, l’éclectisme, l’utilitarisme qui vire en opportunisme.

En effet, ils n’enseignaient pas à être justes, vertueux, véridique mais à savoir paraître tels pour obtenir les postes convoités : il fallait parvenir. Ils étaient donc capables de faire triompher la cause injuste sous les dehors de la justice. Brillants techniciens de la parole (on dirait peut-être aujourd’hui : grands communicants), celle-ci était chez eux vidée de son contenu réaliste. Ils professaient n’importe quoi pour de l’argent. Malgré, peut-être, d’excellentes intentions, ils corrompaient la jeunesse. Face à eux va se dresser Socrate : cessez de surfer sur la paille des mots. C’est le grain des choses qui garantira la justice.

3° Le plus illustre : Protagoras (vers 480 – vers 408)

En tête de son ouvrage sur La Vérité, il écrit cette célèbre phrase qui résume bien sa pensée : « L’homme est la mesure de toutes choses ».

Plus tard, Platon, disciple de Socrate, dans son dialogue intitulé Théétète, explique : « telles m’apparaissent, à moi, les choses en chaque cas, telles elles sont pour moi ; telles elles t’apparaissent à toi, telles elles sont pour toi aussi. (…) N’arrive-t-il pas, parfois, qu’au souffle du même vent l’un de nous frissonne et non l’autre ? Que le frisson chez celui-ci soit léger, et fort chez celui-là … ? »

Protagoras s’inspire d’Héraclite : tout bouge. Toute formulation adéquate et stable de la vérité est donc impossible : ce que je sens est vrai pour moi et ce qu’un autre sent est vrai pour lui. C’est « relatif ».

Mais si Protagoras est relativiste en philosophie spéculative, il reste conservateur en éthique et politique. C’est là une position classique chez les positivistes (Comte). Protagoras respecte donc les traditions de sa Cité.

4° Le plus habile : Gorgias (né vers 480)

Son style est si fameux[4] que les Grecs en général forgeront un verbe, « gorgianiser » pour désigner sa rhétorique. Parmi ses disciples : Critias, Alcibiade, Thucydide, Aristippe de Cyrène, et surtout Isocrate qui fondera une école concurrente de l’Académie de Platon.

Célibataire, il meurt plus que centenaire : le secret de sa longévité aurait été, selon ce qu’en rapporte Démétrius de Bysance, « de n’avoir jamais rien fait en vue de faire plaisir à un autre ».

Platon met en scène le sophiste dans son dialogue intitulé Gorgias[5]. Fait unique parmi les sophistes, deux œuvres in extenso de Gorgias nous sont parvenues : L’Eloge d’Hélène[6] (éloge paradoxal de l’adultère en s’efforçant de prouver l’innocence d’Hélène) et le Plaidoyer pour Palamède[7] (tentative de prouver l’impossibilité de condamner Palamède, général traître à son pays).

a) Le scepticisme de Gorgias

Gorgias est sceptique, et donc subjectiviste, et donc relativiste. Aristote a répondu à cette difficulté dans son De Anima (III, 8, 431b 21).

Nous sommes condamnés à l’opinion incertaine. Et donc le discours est maître : c’est lui qui contrôle les apparences en désignant certaines réalités humaines par choix volontaire et qui indique ainsi les aspects du réel qui doivent faire surface. C’est le pouvoir démiurgique de la parole chanté par Gorgias.

« Le langage est un grand potentat, qui avec un corps minuscule et imperceptible accomplit les oeuvres les plus divines. Car il a pouvoir de calmer la peur, d’ôter le chagrin, de produire la joie, d’accroître la pitié » (Eloge d’Hélène, § 8).

Exemple : Hélène coupable ou non-coupable ? Le discours de Gorgias la disculpe de toute responsabilité par la persuasion.

Le langage médecin ne laisse apparaître que le bon côté des choses et refoule le mauvais. Gorgias utilise en maître le raisonnement logique que Platon et Aristote dénonceront comme sophistique car il n’exprime pas la réalité. Ce discours gorgianesque fait partie de la poésie et de l’art : un maître d’illusion. La cohérence mentale issue du choix est nommée par Gorgias justice ou sagesse. Et ce choix subjectif est légitimé car l’esprit y trouve du repos entre les positions contradictoires.

Selon Gorgias, l’art du sophiste est donc une « illusion justifiée » car partagée par un grand nombre d’auditeurs. Le discours rationnel prétend mettre les choses en mots. La poésie, dont fait partie l’art rhétorique, transmet non plus les raisons des choses, mais l’émotion que produisent ces choses :

« Ceux qui l’écoutent reçoivent en eux le frisson de la peur, la pitié des larmes et le regret qui morfond. Face aux prospérités et aux revers de causes et de personnes qui lui sont étrangères, l’âme éprouve une passion bien à elle, grâce aux discours » (Hélène, § 9).

Pour Gorgias, donc, le langage ne transmet pas une connaissance adéquate des choses, mais il véhicule très bien nos émotions. Et ce qui assure finalement la communication entre les hommes, c’est seulement l’émotion partagée. Le langage n’a pas à désigner le réel objectif, mais doit toucher l’âme. L’illusion justifiée est le fruit du langage poétique émotionnel qui agit sur l’auditeur de façon à le suggestionner par la musique des mots.

b) La manipulation par les mots :

Gorgias définit l’âme comme passivité : il suffit de connaître les méandres de cette âme humaine pour mieux l’influencer. Le nom de cette séduction par la parole est un des thèmes majeurs de la sophistique : la persuasion (peithô).

« La persuasion, quand elle est jointe aux discours, modèle à sa guise l’âme aussi » (Hélène, § 13).

Persuader : créer une sorte de climat affectif propre à entraîner l’adhésion intérieure. Le poids des arguments ne vient pas ici de leur rationalité objective mais de ce climat qui favorise la réception psychique chez l’auditeur.

« Gorgias disait qu’il fallait détruire la gravité des adversaires par l’ironie et leur ironie par la gravité » (Frag. B, 12).

Gorgias s’appuyait ainsi sur la parole rythmée, quasi-poétique. Mais l’habile sophiste va plus loin : son vocabulaire laisse penser qu’il rapprochait son art de la magie (pratiques occultes déjà usitées par Empédocle). La persuasion du discours est semblable à un envoûtement et ses phrases ressemblent aux formules incantatoires des rites magiques antiques. Si bien que le sophiste est sorcier : il contrôle le mot juste. Gorgias précise cette relation :

« En effet, les incantations sacrées qui utilisent des paroles attirent le plaisir, retirent le chagrin. Car, mêlée à l’opinion de l’âme, la puissance de l’incantation l’a fascinée, persuadée, métamorphosée par ensorcellement » (Hélène, § 10).

La rhétorique opère donc avec des mots comme avec des drogues magiques. De là cette comparaison avec la médecine : le sophiste serait en effet le médecin des âmes. Le sophiste trompe, oui, mais sa duperie est justifiée car, devant la réalité contradictoire, la poésie de l’illusion (rhétorique) soustrait l’homme déchiré en choisissant volontairement un contraire dans un parti-pris unilatéral au bon moment (thème du kaïros : le moment opportun). Gorgias est ainsi le penseur d’une sagesse temporelle essentiellement pratique, utilitaire : il est apte à former les hommes politiques, les futurs gouvernants. Quand on cherche une définition générale essentielle, valable pour tous, en tous lieux et en tous temps, on gomme les nuances du concret et on se rend incapable de l’utiliser dans la pratique.

Selon les sophistes, il vaut mieux définir la vertu selon le kaïros : l’utilité du moment. Car autre est la vertu de l’homme en temps de guerre, autre en temps de paix, etc. Aristote sera ici plus proche de Gorgias que des platoniciens. Mais le réalisme d’Aristote n’est pas chez lui opportunisme :

« En effet, ceux qui parlent en général se font à eux-mêmes illusion quand ils disent que la vertu est la bonne disposition de l’âme ou l’action correcte ou quelque chose de ce genre ; en effet, ceux qui énumèrent les vertus, comme Gorgias, en parlent beaucoup mieux que ceux qui les définissent ainsi ». (Aristote, Frag. B, 18 et Politique, I, 13, 1260a 27).

Aristote a été dix ans professeur de rhétorique à l’Académie de Platon : il a enseigné toutes les nuances bien réelles des sophistes, nuances qu’il accueille sans difficulté dans son souci de réalisme constant. Mais Aristote ne va évidemment pas jusqu’à nier toute ontologie (métaphysique) : il reconnaît les difficultés réelles soulevées par les sceptiques. L’essentialisme de Platon (idéalisme : les Idées-essences séparées du monde sensible) reniait trop les ambivalences du réel, fonds de commerce des sophistes. Aristote revient au réel concret.

Conclusion : Gorgias a moins innové que Protagoras dans le domaine de l’argumentation. Il s’est surtout contenter d’insister sur les « vraisemblances ». Par contre, il a développé les effets de style, les antithèses, les jeux sur les sonorités, l’emploi des mots poétiques.

Les Sophistes ont joué un rôle littéraire indiscutable. La rhétorique (art de persuader) leur doit beaucoup. Les Sophistes ont certes participé à l’élaboration du discours philosophiques mais ils sont bien des positivistes avant la lettre.

B. Socrate (-470, -399 av. J.-C.)

1° En opposition aux Sophistes

Toute sa vie, Socrate attaqua les Sophistes. Son arme, que les Sophistes ignorent : la passion du vrai, la passion du bien. La philosophie était surtout pour eux un métier : ils passaient ainsi indifféremment d’une thèse à l’autre. Socrate recherche la thèse vraie. Ironie de l’histoire, il est condamné pour impiété : on le confond avec les Sophistes !

Avant d’être citoyen, nous sommes hommes : le soin de l’humaine nature passe avant le soin de la cité. Les poètes invitaient à plier sous la destinée humaine. Les législateurs, à suivre aveuglément les usages des pères. Les Sophistes disaient : on peut réussir sa vie dans la Cité et nous vous en donnons les moyens.

2° Face au relativisme, il propose la quête des définitions

Face au relativisme des Sophistes, Socrate propose une méthode qui conduit à des conclusions certaines : c’est l’induction. En analysant des cas particuliers, l’intelligence humaine peut établir des définitions générales : la vertu en soi, le juste en soi, etc : les Idées. On peut affirmer que cette voie de découverte est bien de Socrate lui-même. Platon la reprendra en partie. Aristote intégralement. Platon placera ces Idées dans un monde séparé (idéalisme), Aristote dans les choses mêmes (réalisme). A vrai dire, Socrate n’a pas de doctrine (il n’a rien écrit) mais il a laissé une méthode (l’induction) : c’est son legs le plus important. Grâce à cette méthode, il invalide l’approche des Sophistes : on ne peut pas, moralement, se placer par-delà le vrai et le faux, par-delà le bien et le mal. L’ironie socratique (« je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ») est double : défiance envers un raisonnement trop rapide, mais aussi confiance ultime dans les capacités de la raison humaine.

3° Les définitions visent l’universel

Aristote (nait 15 ans après la mort de Socrate) indique en quelques mots ce qu’il doit à Socrate : « Il faut rendre justice à Socrate. On lui doit le discours inductif et la définition qui exprime l’universel ».

Induction, définition, universel : c’est là un même problème : c’est LE problème de toute l’histoire de la philosophie.

Qu’est-ce donc que le courage ? Socrate prend des exemples : il collectionne les espèces « comprises » à l’intérieur du genre. Or, Socrate prend son temps : il bannit la précipitation, la clarté et la distinction immédiate. C’est la longue quête des dialogues platoniciens. La définition doit s’appliquer à toutes les espèces, seulement à ces espèces et toujours à ces espèces. C’est la maïeutique : Socrate aide ses interlocuteurs à accoucher de vérités qu’ils peuvent par eux-mêmes formuler. De la considération de multiples actes courageux je peux définir le courage en général.

Les Sophistes définissent les choses en fonction de l’utilité du moment. Socrate recherche des définitions universelles : toujours et partout. Un jugement vrai est donc possible : c’est la fin du relativisme.

II. Aristote, disciple de Socrate, propose les Réfutations Sophistiques

Aristote rédige[8] l’Organon (outil) : un ensemble de traités de logique. Parmi ces exposés, on remarque les Réfutations Sophistiques.

« Que certains raisonnements soient des raisonnements véritables, tandis que d’autres paraissent l’être tout en ne l’étant pas, c’est là une chose manifeste. [. . .] C’est de la même façon que raisonnement et réfutation sont tantôt véritables, et tantôt ne le sont pas, bien que l’inexpérience les fasse paraître tels : car les gens inexpérimentés n’en ont, pour ainsi dire, qu’une vue éloignée. » Réfutations Sophistiques, 164 a 23.

L’expérience d’Aristote lui a enseigné qu’il existait deux types de sophismes : ceux qui proviennent du discours lui-même (sophismes in dictione) et ceux qui ont une autre cause (sophismes extra dictionem). Nous proposons ici une brève synthèse de ces sophismes, sachant qu’il existe d’autres classifications pertinentes.

1° Les sophismes verbaux (du discours parlé)

Ils opèrent selon six stratagèmes :

  • l’homonymie ou équivocité : certains sons de voix indiquent plusieurs choses différentes comme maire, mère, mer mais ils peuvent parfois s’écrire de la même manière et on peut ainsi jouer sur cette ambiguïté.

Exemple : Le chasseur traque du gibier. Or, le chasseur est une constellation. Donc une constellation traque du gibier.

  • l’amphibologie : ambiguïté dans la structure de la phrase qui engendre une compréhension équivoque ou double comme « louer une maison ». Très courant dans certaines langues comme le latin.
  • la composition : unir à tort certains mots. Dieudonné et antisémite.
  • La division : séparer à tort certains mots. Sionisme et racisme.
  • L’accentuation dans le ton : virtuosité de la majorité des journalistes actuels qui consiste à énoncer une phrase selon un ton suggestif. Citer un passage d’un texte hors de contexte est un exemple classique qui engendre une fausse interprétation.
  • La forme de l’expression : « grand homme » désigne à la fois un homme respectable et un homme de haute taille.

2° Les sophismes mentaux (purement intérieurs) :

Ils opèrent selon 7 stratagèmes :

  • Selon le motif de l’accident : prédiquer une chose selon le mode substantiel alors que nous sommes dans l’accidentel. Soral le goy est autre que Attali. Or, Attali est crédible. Donc Soral le goy est autre chose que crédible.
  • Selon le passage du relatif à l’absolu : tel être n’est pas respectable, puisqu’il ne fait pas partie de la communauté des élus.
  • Selon l’ignorance de la réfutation : quand on ne connaît pas l’argument à manifester.
  • Selon la supposition de ce qui est à prouver (pétition de principe : Aristote en distingue cinq dans les Topiques 8, 13).
  • Selon l’affirmation d’une causalité qui n’existe pas (sophisme de la conséquence) : Les spectacles de Dieudonné sont énoncés antisémites par les médias. Or, vous êtes allés à un de ces spectacles. Donc vous êtes antisémites.
  • Selon la réunion de deux questions en une seule : Vous êtes judéocritique ? Oui. Donc vous êtes antisémite.

Nous naviguons continuellement dans ces subtilités de langage. Avec l’évocation de ces quelques outils de discernement, nous ne prétendons pas donner tous les moyens pour débusquer les professionnels de l’agilité dialectique mais c’est bien dans ce sens qu’il faut travailler pour faire un travail de vérité. Il faut reconnaître que nous avons affaire à des virtuoses de la tromperie qui évitent les vrais liens et qui en induisent de faux.

Mais nous avons une arme de lucidité massive : la quête des définitions dans l’étude et la formation. La grande force de la sophistique, c’est l’ignorance des définitions de la part de l’auditoire. Qui peut donner une juste définition du mot juif  ? Qui peut donner de justes définitions pour antisémitisme, sionisme et anti-sionisme ?

A la suite de Socrate, nous nous situons ici dans l’ordre de la raison et non de l’émotion. Nous assainissons donc le débat démocratique en dénonçant les sophistes professionnels qui embrouillent volontairement certaines définitions pour éviter certains syllogismes d’amener à certaines conclusions.

Conclusion :

Singer l’humanité, à force d’évocations émotionnelles, afin d’influencer le jugement, est un crime très grave. C’est un crime contre la raison : contre l’humaine nature. C’est à sa façon un crime contre l’humanité. Quand on ne s’adresse pas à la raison de l’autre, on ne le considère pas dans cette humanité.

Le peuple de France serait-il condamné, selon la belle expression de Patrick Timsit (à propos de Dieudonné censuré par le ciel médiatique et feignant de le regretter), à être « enfermé dans une boîte à chaussures comme un rat » ?

 « Veux-tu savoir quel type d’homme je suis ? Eh bien, je suis quelqu'un qui est content d'être réfuté, quand ce que je dis est faux, quelqu'un qui a aussi plaisir à réfuter quand ce qu'on me dit n'est pas vrai, mais auquel il ne plaît pas moins d'être réfuté que de réfuter. En fait, j'estime qu'il y a plus grand avantage à être réfuté que de réfuter, dans la mesure où se débarrasser du pire des maux fait plus de bien qu'en délivrer autrui. Parce qu'à mon sens, aucun mal n'est plus grave pour l'homme que de se faire une fausse idée des questions dont nous parlons en ce moment. » (Socrate répondant à Gorgias dans le Gorgias de Platon, 457 d).

 

 

[1] Celle d’un Grotius qui servira ainsi les intérêts de la classe bourgeoise commerçante qui réclame constamment la sécurité de ses biens. Du relativisme des penseurs du droit sortira cette rationalisation positiviste du droit européen qui a conduit à l’indigestion législative moderne. Ce déductivisme juridique conduit à la stupidité juridique : les gens honnêtes ne peuvent pas ne pas le voir. Finalement, alors que le droit classique proposait surtout des finalités générales, le nouveau droit positif grotien énumère une multitude de prescriptions positives dont la dictature des normes européennes est un surgeon. La mesure de ces normes positives n’est plus le Bien Commun objectif mais l’utilité à court terme. Mais en même temps, et quoi de plus normal pour un positiviste, Grotius proposait finalement un système très conformiste et respectueux de l’ordre établi… Au nom du consentement habituel des peuples, le système « scientifique » de Grotius repose sur des suppositions gratuites et arbitraires qu’Aristote aurait nommées « pétitions de principe ». Mais comme ce développement a tous les oripeaux de la rationalité et de la respectabilité, ça passe. Cela passe d’autant mieux de la part des gouvernants que ce système protège les biens individuels… Nous sommes dans le royaume du pragmatisme utilitariste : le royaume des puissants. L’affubler de l’adjectif « démocratique » ne change pas la chose.

[2] Dans sa note n° 68, Shahak précise que l’historien Trevor-Roper est « l’un des très rares historiens modernes à signaler que les juifs furent longtemps les principaux trafiquants d’esclaves entre l’Europe médiévale (chrétienne et païenne) et le monde musulman » (p. 134). Pratique encouragée par Maïmonide souvent cité dans les programmes scolaires pour sa « respectabilité ».

[3] « Dans le Talmud, comme dans la plupart des domaines de la pensée juive à son origine, il y a refus délibéré d’une pensée abstraite fondée sur des concepts abstraits ». Adin Steinsaltz : Introduction au Talmud (Albin Michel, 2002. Depuis Antisthène, on sait que les termes abstraits ont la fâcheuse habitude d’être généraux. C’est d’ailleurs pourquoi la pensée juive est une allier de poids pour le relativisme, noyau philosophique du libéralisme.

[4] Renommée immense dans l’antiquité grecque, une statue en or de Gorgias se trouvait à Olympie ou Delphes (selon les sources).

[5] Evitez la traduction de Monique Canto-Sperber qui loue subtilement les sophistes. Il est vrai qu’elle a fait le lien avec le libéralisme : http://www.les-ernest.fr/precis-de-liberalisme/

[6] Mariée à Ménélas, roi de Sparte, avant d'être enlevée par Pâris, prince troyen. Cet événement déclenchant la guerre de Troie qui oppose Grecs et Troyens.

[7] Palamède est l'un des princes grecs qui prirent part à la guerre de Troie. Ulysse dénonce la perfidie de Palamède car celui-ci avait laissé l'armée manquer de vivres, bien qu'il fût allé en Thrace, sous prétexte d'en acheter.

[8] Lui ou ses élèves : les attributions certaines sont délicates à établir. 


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9 réactions à cet article    


  • Le Gaïagénaire 28 octobre 2014 12:34

    SAOREK 


    Merci pour vos lumières.

    • volpa volpa 28 octobre 2014 13:26

      @l’auteur.

      Bel article, mais pour suivre il faut au moins avoir fait l’ENA ou science po.

      Il paraitrait que Strauss Kahn a été éduqué a défendre une thèse et son antithèse.

      Cà doit être dans la culture des juifs.


      • Diogène diogène 28 octobre 2014 13:47

        C’est dans la culture tout court.



      • volpa volpa 28 octobre 2014 16:04

        Pas celle d’aujourd’hui.


      • Diogène diogène 28 octobre 2014 17:27

        Tout comme l’art n’a pas de frontières, la culture n’a pas de limites chronologiques, sauf celles que chacun se donne.


      • Jean 28 octobre 2014 19:26

        et florentin piffard ressurgit


        • christophe nicolas christophe nicolas 29 octobre 2014 08:44

          A quoi cela sert-il de sonder le subconscient puisqu’on n’est pas responsable sur l’instant de son subconscient en plus, il vaut mieux parler de forme intentionnelle de l’esprit. Cela peut évoluer mais lentement. De plus, c’est un viol, la psychanalyse ne peut exister qu’à la demande d’une personne sinon cela revient à la prendre pour un crétin, un cobaye de laboratoire, un sujet d’expérience ce qui est inhumain.


          J’avais un directeur d’exploitation qui se foutait de ma fonction QSE et qui disait dans le même temps que je n’arrivais pas à convaincre, intéressant comme forme intentionnelle... En fait, je l’ai vu une fois un peu ivre, c’est tout simple : c’était un sadique naturel.

          Vous avez une difficulté avec les gens qui se revendiquent du peuple élu avec insistance, le Déicide, la faute éternelle... Ils peuvent être aussi bon qu’ils veulent, il vont au Paradis avec une honte s’ils renient Jésus car ils ne peuvent pas être indifférents après 500 ans d’apparitions mariales. Reconnaître la déité de Jésus n’est pourtant pas un souci puisqu’il a pardonné sur la croix

          Je suis sur qu’en sondant leur forme intentionnelle, certains trimbalent un fort complexe de supériorité, c’est très visible avec les sionistes.. On ne peut pas dire qu’un juif soit athée, ça n’a pas vraiment de sens, juif n’existe pas sans Dieu, on dit qu’il est Sadducéen, c’est à dire qu’il ne croit plus à la résurrection, il se croit élu pour le pouvoir terrestre ce qui le transforme en prédateur naturel, on dit abomination de la désolation.

          C’est un beau sujet de psychologie... se croire matériellement élu dans la forme intentionnelle, cela fait que certains se comportent comme des juges sans mandat, ils marchent sur les autres sans culpabilité en se sentant justifié. Jésus avait prévenu d’une résurgence de cette état d’esprit et ce sont bien les Sadducéens du Sanhédrin qui l’ont fait crucifier. Ils ne faut pas côtoyer ni travailler avec ces gens mais les empêcher de nuire car dans notre société cela se transforme en désinformation ou en enfumage par la connaissance. Le monde occidental est d’ailleurs bien contaminé et l’époque des martyres pour la vraie connaissance commence...

          • Hervé Hum Hervé Hum 29 octobre 2014 09:35

            Cher auteur, merci pour cet article plein d’érudition et surtout, s’abstenant d’en utiliser le jargon.

            Finalement, la société moderne n’a de ce point de vu rien inventé et ne fait que poursuivre dans la même veine pour manipuler et endormir les peuples par les mots, quand elle ne le fait plus par les armes.

            En tous les cas, ce que vous dites sur la musique des mots, colle parfaitement au style BHL, car le peu de fois où j’ai fais l’effort de l’écouter parler, c ’est exactement ce que j’en ai retenu. Bref, une musique sans parole !

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