Pétrole. Christophe de Margerie, directeur général de Total, était l’invité de RTL, ce matin, à 7h50. L’homme est rare dans les médias, ce qui d’ailleurs se comprend. La communication d’un chef d’entreprise n’obéit pas à la même logique que celle d’un responsable politique. A l’intérêt général que prétend incarner l’un répond la représentation d’un intérêt plus particulier pour l’autre. De ce fait, l’exposition quasi permanente dans laquelle vivent ceux qui sont élus est très éloignée de la relative discrétion dans laquelle vivent les grands chefs d’entreprise. Il faut la conjonction d’événements particuliers pour que l’un d’entre eux éprouve la nécessité de répondre favorablement à l’invitation d’un média comme RTL. La hausse du baril de pétrole, et celle de l’essence à la pompe qui en découle, ont fourni ce matin à Christophe de Margerie l’occasion d’une expression publique.
L’image de Total, en France, devrait être excellente. Voilà une société qui a su se hisser, dans un marché concurrentiel jusqu’à la férocité, au niveau des meilleurs mondiaux. Elle incarne un savoir-faire technique et une culture diplomatique propres au génie national. Elle assure, dans un monde instable et angoissant, une permanence et une indépendance énergétique dont nous profitons tous. Et pourtant, la côte d’amour n’est pas très haute. Total, à son corps défendant, suscite une forme d’aigreur nationale en annonçant, trimestre après trimestre, des bénéfices très importants. Gagner de l’argent, beaucoup d’argent, dans un pays toujours hermétique aux joies du marché et du capitalisme est perçu davantage comme une provocation que comme un succès. Que cette entreprise, par ailleurs, salarie directement 40 000 Français ne modifie pas radicalement l’approche. Elle demeure un objet lointain et étrange, dont l’image demeure associée à des catastrophes anciennes, l’Erika, ou à des contrariétés actuelles, le prix de l’essence.
Au micro de RTL, Christophe de Margerie a tenté de resituer précisément la responsabilité de l’entreprise qu’il dirige. Il l’a décrite, c’est une évidence, comme dépendante d’une spéculation qu’elle subit et qui opère à son détriment, car un pétrole cher réduit la consommation d’essence. Son argument, ce matin, tenait plutôt au constat d’une offre trop faible sur les marchés pétroliers de la part des pays producteurs qui se contenteraient, selon lui, d’une exploitation en surface des nappes d’or noir alors que des extractions plus profondes, techniquement possibles, pourraient rééquilibrer un marché perturbé et sensible aux aléas politiques.
La vérité, au bout de ce débat, est simple. Nous devons nous habituer à vivre avec une énergie chère. Le prix du pétrole demeurera élevé et la ponction fiscale sur le produit raffiné aussi car les besoins de l’État, notamment pour faire fonctionner des services publics auxquels nous sommes attachés, resteront eux aussi importants. Ceci n’est sans doute pas une bonne nouvelle mais rien n’est pire que d’aborder ces réalités avec des espoirs qui n’ont aucune chance de trouver des concrétisations.

Grève. Nous voilà donc à quelques heures d’un grand mouvement social. On mesure bien, aujourd’hui, les enjeux pour les protagonistes de ce bras de fer. Ceux qui perdront, syndicats ou gouvernement, hypothéqueront pour longtemps leur capacité d’action dans la société française. Comme cela se produit parfois, le conflit qui devrait débuter demain dépasse largement les enjeux immédiatement visibles. Les régimes spéciaux de retraite semblent ici ne constituer que le cadre d’un affrontement plus vaste mais encore flou, parce que personne dans ce conflit ne découvre vraiment son jeu. En schématisant quelque peu la situation, on pourrait dire ceci. Si le gouvernement se trouve contraint par la force des manifestations d’ajourner son projet et de retirer son texte, alors c’est toute son action future qui s’en trouvera perturbée. En outre, un problème institutionnel se trouverait posé car, dans ce cas de figure, le grand vaincu ne serait pas le Premier ministre, chef du gouvernement, mais bien le président de la République, chef de l’État. D’une certaine façon, en cas d’échec sur ce dossier, le quinquennat de Nicolas Sarkozy serait comme mort-né. A l’opposé de ce scénario, une défaite des syndicats sur ce dossier des retraites ouvrirait la voie pour des réformes, des modifications nombreuses dans le champ social comme dans le champ économique. Au milieu de tout cela, il existe peut-être des formules médianes qui, sur la base de négociations et de compromis, permettraient aux uns et aux autres de sortir du conflit rapidement et sans trop de dommages. Mais ce n’est pas le plus probable tant s’est installée l’idée que la grève qui commence ne saurait aboutir sans la défaite, ou la reddition, de l’une des deux parties.


Un bijou : le "Transhanghaï"