Phobos, une lune venue d’ailleurs. Ou pas
Dans les années 90 j’étais un grand fan de SF et et j’avais lu la série The Way dont le premier tome était Eon. Cette histoire se passe en 2005, et apparaît soudainement dans le ciel terrestre un grand astéroïde qui se met en orbite autour de la Terre, elle-même menacée de guerre nucléaire entre les USA et l’URSS (ayant écrit l’histoire en 1985, Bear n’avait pas prévu la chute de l’URSS). Bien entendu une mission terrestre s’envole vers l’astéroïde et arrive même à y pénétrer, découvrant alors qu’il est creux à l’intérieur et recèle les vestiges d’une immense cité.

Je n’en dirais pas plus pour ceux et celles qui voudraient lire ce livre, mais il introduit bien le sujet de la lune martienne Phobos qui joui de certaines caractéristiques dignes de Eon.
1) La question de la composition
Phobos mesure 27 x 22 x 19 km et ressemble à une gigantesque patate comme on peut en trouver partout dans notre coin de galaxie, mais sa première caractéristique est d’avoir une densité très faible (1,87 g/cm3), bien plus faible que la roche (2,7 à 3,3 g/cm3). Des scientifiques de l’Observatoire Royal de Belgique ont tenté de modéliser la structure interne de Phobos en utilisant les toutes dernières informations en provenance de Mars Express. Leur conclusion est que Phobos a une porosité de l’ordre de 30% (les études antérieures se basaient sur 10%) et donc que cette lune est constituée en partie de roches et contient vraisemblablement de grands espaces vides. Voici le lien vers l’abstract de cette étude, de mai 2010. Des photos prises par la sonde Mars Global Surveyor indiquent que la surface Phobos est composée d’une couche de régolithe, provenant sans doute d’impacts avec d’autres astéroïdes, mais on ne sait pas expliquer comment ce régolithe pourrait adhérer à Phobos vu sa faible gravité.
2) La question de l’origine
Il y a deux origines possibles pour les lunes gravitant autour de planètes : des objets venant d’ailleurs et capturés par le champ gravitationnel de la planète, ou un débris de cette même planète éjecté suite à une collision. On connait d’autres astéroïde avec la même densité que Phobos, et donc il était supposé que Phobos est un ex-astéroïde, capturé par Mars et ainsi promu au statut de lune. Mais, le même article indique clairement qu’au vu des dernières informations disponibles, l’option “capture” n’est pas défendable. Il faudrait donc que Phobos soit un éjecta de Mars, un tas de roches qui se serait reconstitué sous sa propre gravité en un gruyère volant. Ce qui suppose aussi, me semble-t-il, que les roches constituantes soient toutes à peu près de la même taille sinon elles se seraient placées sur des orbites différentes. Mais.
3) La question de l’orbite
Phobos se trouve en orbite au niveau de l’équateur de Mars, ce qui est très surprenant. En effet, qu’il s’agisse d’une capture ou d’un éjecta, la probabilité que l’orbite finale se situe pile sur l’équateur est plutôt faible, et les chercheurs ne s’expliquent pas ce phénomène. Voir par exemple cet article de l’ESA. De plus il est très proche de la surface de Mars (la lune connue la plus proche de sa planète, à seulement 6000 km) et tourne plus vite que la rotation martienne, tel un satellite traversant le ciel en quelques heures. Cette vitesse de rotation associée aux effets de marées importants (vu la proximité avec Mars) doivent un jour mener à la dislocation de Phobos, mais pas avant 11 millions d’années selon Wikipédia.
La question de l’origine des roches de Phobos aurait pu être réglée par la mission russe Phobos-Grunt, lancée en novembre 2011, qui devait faire contact avec Phobos et ramener des échantillons. Malheureusement ce fut un raté, la sonde s’abîmant dans le Pacifique peu de temps après son lancement.
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Précisions du Prof Rosenblatt, directeur de l’étude sur la composition de Phobos, à qui j’ai posé la question suivante :
M’intéressant à la structure de Phobos dans le cadre de l’écriture d’un article, j’ai lu deux abstracts de votre part, « Inhomogeneous mass distribution inside Phobos » et « Precise mass distribution and the nature of Phobos », dans lequel vous indiquez que « the interior of Phobos likely contains large voids ». Par « voids » entendez-vous du vide, ou de l’espace rempli de glace – comme on le devine dans l’image 3D du premier article ?
Vous dites également “these results are inconsistent with the proposition that Phobos is a captured asteroid”. S’il n’est pas capturé, quelles sont les autres possibilités ?
Réponse :
Par “voids” j’entends des espaces de vide. Leur taille exacte et leur distribution n’est pas accessible avec la seule densité moyenne. Mais l’idée est que l’intérieur de Phobos serait constituée de blocs “posés” les uns sur les autres et qui tiennent ensemble par la gravité propre du corps. Comme les blocs sont irréguliers, il y a des espaces de vide qui se forment entre eux. C’est ce qu’on entend par “voids”. Une telle structure a également été proposée pour d’autres corps du système solaire comme les astéroïdes de petites tailles (similaire à celle de Phobos) et certaines petites lunes de Saturne. En ce qui concerne Phobos, la présence possible de ces espaces de vide a été interprétée comme une formation par accrétion de ces blocs les uns aux autres, en orbite autour de Mars. Ceci constitue un scénario, encore à l’étude aujourd’hui, alternatif au scénario de capture.
Le scénario de capture, tant qu’à lui, propose que Phobos est un astéroïde formé à l’orbite de Jupiter et ensuite capturé par l’attraction gravitationnelle de Mars à la suite d’un changement de son orbite initiale. Si tel est le cas, on peut s’attendre à une teneur significative en élément volatile dans Phobos, tel que la glace. Au contraire une formation de Phobos au voisinage de l’orbite de Mars exclut la présence de glace d’eau (car l’orbite de Mars est déjà trop proche du soleil pour que la glace d’eau puisse se mêler aux roches lors de l’accrétion des corps à cette distance là du soleil). La présence ou non d’éléments volatiles dans Phobos est donc un test des scénarios de formation. C’est pour cela que nous avons développé des modèles d’intérieur de Phobos à l’observatoire. C’est un sujet de recherche encore en cours.
D’autres tests des scénarios de formation de Phobos existent, et en premier lieu, un retour d’échantillon de sa surface. C’était l’objectif de la mission Russe Phobos-Soil qui a hélas échouée au lancement en novembre 2011.
Toutefois, un tel objectif scientifique intéresse toujours les grandes agences spatiales telles que, l’agence Russe (Roscosmos) et l’agence spatiale européenne (ESA). Nul doute qu’une telle mission verra le jour dans les 10 prochaines années.
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Le mystère demeure donc entier. Et je sens que je vais relire Eon…
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