Pierre Cot (et Jean Moulin ?) contre Charles de Gaulle
Dès le 13 septembre 1941, Pierre Cot avait rédigé un texte qu’il avait pu faire remettre à René Pleven, l’envoyé spécial de De Gaulle aux États-Unis. Ce document avait très vite atteint le chef de la France Libre qui y avait déposé quelques annotations de sa main. Cela se passait donc un mois environ avant que Jean Moulin n’arrive dans son bureau… un Jean Moulin dont il ne pouvait pas ignorer qu’il avait été longtemps, à la fois, le chef de cabinet et l’homme le plus proche du ministre de l’Air du Front populaire…
Voici un premier extrait de la lettre de Pierre Cot :
« Dans la proportion de huit à dix, les représentants officiels du général de Gaulle appartiennent à des fractions très réactionnaires. S’il a fait l’éloge de Paul Reynaud, le général n’a pas dit un mot des leaders démocratiques emprisonnés tels que Mandel ou Léon Blum. L’assassinat de Marx Dormoy et les sabotages organisés par les militants ouvriers n’ont pas davantage suscité de commentaires. » (Éric Roussel, Charles de Gaulle, etc., page 240.)
Pierre Cot poursuit :
« S’il voulait former un gouvernement, avoir des représentants diplomatiques, exercer un pouvoir politique, le général de Gaulle devrait modifier la nature de son mouvement. Le problème politique est de savoir comment, en respectant les institutions politiques françaises, c’est-à-dire la souveraineté du peuple et le pouvoir du Parlement, il serait possible de former un gouvernement provisoire en exil. » (Idem, page 241.)
Plus ou moins hors de lui, De Gaulle rétorque :
« Non, cela serait vrai en 1936 ou 1939 mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Le Parlement a abdiqué. » (Idem, page 241.)
Il s’agit donc, pour De Gaulle, de définir un régime dans lequel le Parlement n’est plus porteur de la souveraineté du peuple…
Pierre Cot revient, lui, à son idée d’un gouvernement provisoire en exil :
« Un tel gouvernement serait jugé sur sa doctrine politique et sur la compétence politique d’hommes qui le composeraient, sous la présidence du général de Gaulle. La question de la compétence est plus difficile étant donné le tout petit nombre d’hommes politiques se trouvant en exil. » (Idem, page 242.)
Et de Gaulle d’insister, dans la marge, sur son mépris pour les personnalités issues de l’élection par le peuple…
« Ne pas confondre homme politique et ancien parlementaire. » (Idem, page 242.)
Comment désigne-t-on ces hommes politiques-là ? Or, tandis que Pierre Cot précise qu’en établissant son gouvernement provisoire, De Gaulle ne peut que s’entourer démocratiquement d’hommes suffisamment représentatifs de la majorité politique qui mène en France la lutte contre Hitler, celui-ci affirme :
« Je m’entoure d’hommes représentatifs de la majorité nationale qui lutte contre l’envahisseur. À aucun prix je ne referai le Parlement de 1939, lequel d’ailleurs a abdiqué. » (Idem, page 242.)
Il n’y a donc, ici, aucune place pour la démocratie, c’est-à-dire pour le respect des femmes et des hommes (dont Pierre Cot et André Labarthe) qui luttent, en France et à l’extérieur, contre le nazisme et tout ce qui s’y rallie. Et parmi ces personnes-là, il faut encore mettre hors d’état de nuire – ainsi que De Gaulle en a carrément formulé la menace par écrit – des personnages comme l’amiral Muselier et le commandant Moret…
Nous allons voir que la suite de cette explication à distance entre Pierre Cot et Charles de Gaulle n’est pas mal non plus… et qu’elle présageait très mal du sort futur de l’instrument qui serait bientôt mis en œuvre par Jean Moulin… à ses risques et périls.
Michel J. Cuny
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