Pierre Gaches, gâchette facile de l’industrie chimique
Pierre Gaches, fondateur et dirigeant éponyme d'une société spécialisée dans la fabrication de commodités chimiques (solvants, javel, amidons...), est en guerre. Son bras de fer commence en 2006, lorsqu'il porte plainte contre un certain nombre de ses concurrents pour entente illicite. L'estocade est sévère. Elle verra quatre de ces entreprises condamnées à un total de 79 millions d'euros d'amende par l'Autorité de la concurrence. Satisfait mais pas comblé, Gaches n'entend pas en rester là. Son combat continue. A juste titre ? Une rapide analyse des faits nous permet d'en douter.
Sur le banc des accusés, on retrouve quatre sociétés. Parmi elles, la société allemande Brenntag, en partie implantée en France. A elle seule, elle écopera de 47 des 79 millions d'euros d'amende distribués. Pourquoi un tel déséquilibre ? Brenntag est accusée d'être le pivot du cartel. Etrange, quand on sait qu'elle est la première des entreprises incriminées à avoir mis un terme aux ententes illicites, en 2003. Mais il y a plus troublant.
L'histoire commence à la fin des années 90, alors que le groupe Brenntag se trouve sous la présidence d'un certain Jean-Marc Prouteau, démis de ses fonctions en 1998. Après avoir mis sur pied un système de coopération horizontale avec d'autres acteurs locaux de l'industrie chimique, histoire de verrouiller le marché, l'homme s'en va, en 2000, tenter sa chance chez Arnaud (spécialités chimiques), puis se retrouve parachuté à la tête de Solvadis France (depuis rachetée par Quaron), en 2005.
En 2006, il approche Pierre Gaches, avec la société duquel (Gaches Chimie) Solvadis vient de se mettre en cheville, pour s'ouvrir à lui des petits arrangements qu'il avait, à l'époque de sa présidence de Brenntag France, passé avec d'autres entreprises de chimie de la région. Le transfuge de Brenntag lâche tout. Du pain bénit pour Gaches, déjà aux prises avec le groupe allemand, qu'il accuse d'abus de position dominante devant l'Autorité de la concurrence.
L'écheveau est complexe. Il importe d'en démêler tous les noeuds. Reprenons. Prouteau, profitant de la rogne de Gaches envers Brenntag, vient se greffer à cette locomotive en branle pour charger la barque de son ancienne boite, lui reprochant des actes qu'il a lui-même fomenté. Quel intérêt a le dirigeant de Solvadis France à jouer les balances ? Il est double.
Solvadis fait partie du cartel qui lie Brenntag, et se retrouve donc elle-aussi visée par l'accusation d'entente illicite. Mais alors, en crachant le morceau, Prouteau, dirigeant de Solvadis, se met lui-même en porte-à-faux ? Pas tant que ça, en fait.
Si Prouteau s'ouvre à Gaches de ses petites combines passées, c'est probablement qu'il sent que ce dernier, déterminé, ne va pas tarder à les déterrer de lui même. Ou qu'il a déjà découvert le pot aux roses, et attend l'occasion d'en produire les preuves. Juste après avoir avoué à Gaches, Prouteau se rend chez l'Autorité de la concurrence dénoncer Solvadis, sa propre entreprise. Suicide ? Pas vraiment. Depuis 2006, cette autorité administrative admet une "procédure de clémence", qui permet à ceux qui se dénoncent et collaborent d'être exemptés de pénalités. Pourvu qu'ils soient les premiers. Brenntag, de bonne foi, s'y rend dans la foulée. Trop tard. 47 millions d'euros d'amende.
L'autre intérêt de la manoeuvre, c'est de porter un sérieux coup de massue à une entreprise concurrente. Brenntag, en France, c'est loin d'être le mastodonte aux 10 milliards de CA dépeint par Challenges.fr. La branche hexagonale n'emploie que 800 personnes, pour moins de 500 millions d'euros de CA. 47 millions d'euros d'amende, c'est un dixième de ce CA, en somme. Pas anodin.
Non content d'avoir obtenu gain de cause dans cette affaire, Pierre Gaches poursuit toujours Brenntag en justice pour abus de position dominante. Ouvert en 2002, le dossier est de nouveau devant l'Autorité de la concurrence, après cassation en 2008 d'une première décision de 2006 en faveur de Brenntag. Trop gourmand, Gaches ? Disons qu'il semble un peu cynique d'utiliser un outil administratif comme l'Autorité de la concurrence pour tenter de couler son principal concurrent. D'autant que ce concurrent a beau être le plus sérieux du secteur, il est aussi, au sein de ce cartel, le plus probe : dès 2003, il est le premier à mettre un terme à l'entente illicite qui l'unie à d'autres sociétés. Avant Solvadis, donc, et son dirigeant retors, dont le sort plus qu'enviable dans cette affaire laisse pantois.
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