Pierre Perret : un tag honteux sur un monument (2)
Parole à l’accusé, aujourd’hui : l’ami Pierrot, fort meurtri par la bassesse des arguments déployés par la journaliste irresponsable qui avait critiqué son dernier ouvrage, se retrouve fort embarrassé aujourd’hui : à trop vouloir se défendre, il va passer pour celui qui a quelque chose à se reprocher, à ne rien faire il passera pour un pleutre qui admet ce qu’on a osé dire à son égard. Moi même outré par l’incroyable violence de la charge contre celui qui, pour moi, est un des plus grands défenseurs actuels de la langue française, j’ai résolu de lui offrir la parole. Très simplement, sans même lui demander son avis, tant l’homme n’a aucune envie d’aviver la polémique. En fait, le meilleur moyen d’expliquer ce qu’est Perret, c’est de le lire. En préface de son savoureux ouvrage « Le Petit Perret par l’exemple », paru pour la première fois voici .... trente ans ou presque. Il y décrit ce qui le différencie des autres, et son amour pour la langue française qu’il parcourt en véritable archéologue. Oui, en 1982, Pierre Perret déterrait déjà des vocables inusités, dont beaucoup dataient du début du siècle, période « apaches », et certains du XVIIIeme. Ou citait même Rabelais, qui avait avoué lui-même avoir tout emprunté à ses prédécesseurs dont Erasme ! Exactement ce qu’on ose lui reprocher aujourd’hui ! Perret se réclamait déjà de Frédéric Dard ou d’Alphonse Boudard ou d’Auguste le Breton, à qui jamais on a osé faire un procès en accusation de plagiat, alors qu’un Dard, par exemple, s’amusait dans ses ouvrages à mettre des pans entiers d’extraits connus, repeints façon San-Antonio. Un Frédéric Dard qui avait tenu à faire la préface des « Pensées de Pierre Perret ». A propos de Dard, le bon résumé à son propos est ici : « Ce qui ont lu quelques aventures de San Antonio, voire une bonne partie des péripéties de ce flic de charme, n’y sont jamais restés indifférents. Peut-être avons-nous ici la preuve ultime, et la seule dotée d’une quelconque valeur, que l’œuvre San Antonionesque fait bel et bien partie d’un patrimoine littéraire. Patrimoine certes décalé, certes grand-public, certes forniquant à des kilomètres de la liste jalouse des prétendants de l’Académie Française, mais patrimoine littéraire quand même ». On sait pourquoi ces deux-là s’appréciaient mutuellement.
La musique et la couleur des mots m’ont toujours fasciné. L’assemblage de ces mots, l’harmonieuse charnière qui relie les uns aux autres pour devenir proverbe, dicton, roman, poésie, conte, chanson m’a de tout temps paru magique. « L’expression », « l’imagerie » populaires furent tout au long de mon enfance, dans le bistrot de mes parents, le sel qui me fit tant défaut... hélas ! dans mes livres de classe. Au lieu de : « Il ne faut pas exagérer, mon fils, il y a longtemps que tu aurais dû rentrer de l’école », maman disait : « Faudrait pas attiger, fiston, il y a belle lurette que tu aurais dû rappliquer à la maison », et papa d’ajouter finement : « T’as qu’à remettre ça, si tu veux essayer mon 44 fillette ! » Cette rhétorique, bien entendu, ne figurait pas dans les poésies de Florian que nous apprenait l’instituteur. La grossièreté, la trivialité, la vulgarité, la poésie fleurissent pourtant abondamment dans les conversations quotidiennes qu’on entend dans les cafés.
N’est-il pas plus charmant, au lieu d’« accomplir l’acte charnel », de « s’envoyer en l’air », d’ emmener le petit au cirque », de « tirer sa crampette » ou, comme l’écrivait si joliment le grand Rabelais, de : « jouer aux dames rabattues » ou de « mettre le pape dans Rome » !Au lieu d’’ éjaculer dans les draps », d’ envoyer son enfant chez la blanchisseuse ou de « moucher la chandelle » ! Au lieu d’attraper une maladie vénérienne, d’’ avoir reçu un coup de pied de Vénus »... I D’une femme ayant ses « règles » de dire « elle a ses coquelicots », « elle a repeint ses grilles au minium » ou son « chat a le nez cassé »
Ces mots colorés qui fusaient de la bouche des clients, cette imagerie folklorique, je devais les retrouver en « prenant du carat » dans la rue et dans l’univers « loubardien » de Gennevilliers où je vécus vers les années soixante. Mais n’anticipons pas pour autant. Le beloteur qui quittait soudain la table pour aller satisfaire un besoin pressant disait à ses potes : « Bougez pas, les gars, je vais faire pleurer la fauvette », ou encore « je vais faire sangloter mignonne »... ! Au comptoir on buvait des pastis ou un mandarin citron pour « se dégraisser le toboggan » ! Le type trop gros s’appelait « Boule de suif », le trop maigre « Fil de fer », et on s’ingéniait gentiment à préciser au troisième que, s’il était trop petit, c’est qu’il avait été « interrompu par un coup de sonnette » A midi, les clients attendaient impatiemment la daube ou la blanquette qu’avait mitonnée maman, pour « se caler les badigoinces » et « s’en mettre plein le fusil » ou « la boîte à ragoût ». Le « morpion » que je suis à cette époque ouvre grand ses « étiquettes » pour ne pas paumer une syllabe de ces barbarismes précieux.
Nous utilisons dans notre beau pays un nombre incalculable de mots parlés qui n’ont jamais été écrits, tout au moins dans nos dictionnaires compassés. Qui s’en sert ? Les truands ? Quel est-il, ce langage ? argotique ? populaire ? Nous y voici. Où se « planque » cette satanée frontière ? Une tapineuse (pour respecter l’argot soidisant réservé au milieu interlope) dira à son maquereau à qui elle vient de remettre la comptée. « Sois sympa, mon minou, file-moi vingt sacs pour acheter des collants. » Bien, mais c’est de la même manière, avec les mêmes mots, que ma frangine (qui ne fait à ma connaissance pas le même métier !) fera la requête similaire à mon beauf ! Alors ? Eh oui, alors ! Eh bien, tous les individus, tous les « vivants » possèdent un langage à eux, les cuisiniers, les plombiers, les musiciens, les marins, les imprimeurs, les cinéastes, les clochards, les militaires, etc. Est-ce vraiment de l’argot ? L’argot du temps des « coquillards » était langue secrète, uniquement décryptée par les initiés. Il est peu de mots inventés de nos jours qui n’aient été utilisés dans des polars ou des :bandes dessinées, donc, débusqués, mis au jour, au grand jour, dans certaines chansons, dans les films d’Audiard ou les bouquins de F. Dard, de Boudard, de Le Breton. Ces mots gardent un sens argotique, certes, pour le joueur professionnel qui ignorera totalement que « faire la grappe à cinq grains », dans le langage des boxeurs, consiste à tenir les cinq doigts enfermés dans le gant, tandis que le boxeur ne sait pas obligatoirement que « jouer par petits beurre » consiste à miser ses billets de mille pliés en huit et reliés parfois par un élastique ; ce qui ne les empêchera pas de l’apprendre un jour, car tous ces vocables, je le répète, sont régulièrement répertoriés et publiés par de patients et éminents amoureux du langage, donc argot n’est pas forcément synonyme d’occultisme. Toutefois, certain milieu est plus caractéristique dans le maniement de ces « idiomes ». Je désignerai ici principalement une société « marginale » par rapport aux institutions, à l’autorité, à l’ordre établi ; le langage devient alors plus ordurier, trivial, péjoratif, moqueur, à l’endroit dé ceux qui « filent droit », travaillent honnêtement, paient leurs impôts et vont à la messe. Les mots ont changé parfois, bien sûr. On ne dira plus pour avouer sa pauvreté « J’ai plus d’auber dans les fouillouses », mais « J’ai plus un talbin dans les profondes », ce qui revient strictement à dire la même chose.
L’homme riche, le nanti, le puissant est de tout temps et par définition, pour l’univers opposé, le pigeon, la dupe, le cave, le « client » de la drogue, des travelots, des filles, etc. C’est le gogo, la truffe, le noeud, le duconeau, le miché (né au XVIII siècle de Michel, synonyme d’imbécile). Un « Michel » est un riche donc « plumable » ; il devient un « miché », car il a des sous, de l’argent, du « michon ». Le miché existe encore, c’est le rigolo, le duchno que, le conoso, le pigeon, qui sera toujours bon à plumer. De nos jours, c’est aussi un Raoul, un Gustave, un Mimile...
Quoi de plus défoulant que de se venger par le sarcasme et l’ironie du flic, du patron, du probloc, du type à la Rolls ou du promoteur immobilier qu’on se réjouit d’arnaquer, de baiser, et qui finira par « l’avoir dans l’oeuf » ! Car elle est là, la première défense des déshérités. La première notion compensatrice et vengeresse est d’abord verbale. Mince consolation, sans doute ! mais la naïve méchanceté des mots, des surnoms ou des formules péjoratives engendre souvent de formidables trouvailles suivies d’aussi formidables éclats de rire ou d’envies de meurtre ! Ce qui apparaît comme certain, c’est que la xénophobie de nos chers dictionnaires classiques par rapport aux mots nouveaux qui fleurissent dans nos bouches n’empêche pas ces derniers d’avoir la vie dure et d’entrer parfois, cinquante ans plus tard, en grandes pompes, par la porte de l’Académie. Grâces lui soient rendues.
Ainsi donc, honorable société bien pensante, gendarmes de la rhétorique, archanges du langage châtié, héros de situations douillettes, laissez ce bouquin tranquille, il n’a que faire dans vos rayons déjà encombrés d’innombrables « chevaliers de la culture » qui nous « filent mal au chou » !
Tout au contraire I Étudiants tout neufs, crapauteux, piliers de bistrot, lecteurs de BD., déserteurs de la morale, curés défroqués, amateurs d’émotions fortes, d’endroits louches, de descriptions terrifiantes, de femmes percluses de malheurs, d’hommes damnés ou d’impitoyables policiers évoluant dans des décors hallucinants, achetez ce bouquin, chouravez-le si vous le pouvez, mais dorénavant, qui peut vous empêcher de découvrir enfin « le » chef d’oeuvre dont on peut certifier déjà qu’il n’obtiendra jamais le Goncourt. Pierre Perret, 1982.
Voilà, maintenant vous savez en filigrane tout ce que déteste Sophie Delassein, la "bien pensante", qui écrit également, outre Barbara, sur Grand Corps Malade, ou Olivia Ruiz ("Une petite photo avec Olivia et Valérie, histoire de montrer qu’on connaît du monde. Et on s’en va") et ce qu’elle représente de superfétatoire en ce bas monde. Et combien, par la même occasion, Pierre Perret est à ranger parmi les révolutionnaires...
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