Plongée : les corps de deux plongeurs disparus il y a 30 ans retrouvés !
Mi-octobre 2023, deux plongeurs signalent auprès de la gendarmerie la présence du corps d'un plongeur gisant par une centaine de mètres de profondeur au « tombant des Américains ». Le 7 décembre, le robot télé-opéré « DIOMEDE » du Centre expert de plongée humaine et d’intervention sous la mer localise le corps par -103 mètres après six heures de recherches, et découvre un second corps par -113 mètres ! La gendarmerie maritime fait le rapprochement avec la disparition des plongeurs Daniel V, 38 ans et Christian T, 40 ans disparus le 4 décembre 1993 au large du cap de Nice.
Ce jour là trois plongeurs avaient embarqué en début d'après-midi à bord du Poséidon, le bateau d'un club de plongée niçois, pour explorer le « Tombant des Américains » situé à quelques encablures de l'hôtel Maeterlinck, entre les ports de Nice et de Villefranche. Ce tombant part d'un fond de sable et de vase à -45 mètres et s'étend sur 350 mètres de long avant de plonger à -155 mètres. Le côté Est présente une succession de corniches aux parois tapissées de gorgones, le flanc sud-ouest quelques grottes (le corail rouge a disparu) et une succession de blocs. Lors de la remontée un plongeur fait un « malaise » vers -50 mètres, ses compagnons se portent à son secours, seul Philippe, 22 ans, parvient à rejoindre la surface avant de perdre connaissance et d'être transporté à l'hôpital Pasteur de Nice et placé en caisson hyperbare. Son ordinateur affichait une profondeur de -72 mètres alors qu'il avait échoué à son niveau 4 (ancien 2° échelon)... S'agissait-il d'une « successive » (deuxième plongée dans la journée) ?
Lors d'un accident de plongée les premiers intervenants se doivent de remarquer : si le masque, détendeur, palmes et ceinture de lest sont en place ? la « stab » gonflée partiellement, totalement ou pas du tout ? La pression des blocs, indication des instruments, état de la combinaison, présence d'une blessure, condition de mer et de plongée : à partir d'une embarcation, d'une plage, en groupe ou solo, profondeur, température, courant, visibilité. Les enquêteurs s'informent ensuite sur l'assistance surface, le profil de la plongée, l'expérience du plongeur et procèdent à l’évaluation de l’équipement. Le matériel utilisé était-il adéquat et entretenu correctement ? Analyse des gaz restants, qualification, expérience du plongeur ; au médecin légiste de découvrir la cause de la mort. La noyade (submersion des voies respiratoires) est souvent une conséquence d'un élément déclencheur. Lequel ?
La plongée sur un « tombant » (falaise rocheuse à forte pente) se prépare. L'observation de la carte marine renseigne sur la verticalité de ses parois, le côté à privilégier (mouillage, % de pente, courant, lumière, faune et flore, grotte) et la nature du fond. Il faut se fixer une profondeur limite (celle du plongeur le plus faible) et définir le lestage optimum. ( L’eau de mer a une masse volumique plus élevée (densité moyenne 1030 kg/m³) que l'eau douce (1000 kg/m³) et le corps humain. La masse volumique du corps humain est en moyenne de 985 kg/m³ et passe à 945 kg/m³ poumons gonflés. Le corps ne coule donc pas naturellement. L'apnéiste, poumons gonflés, doit faire un effort ou se lester pour s'immerger. Un plongeur en combinaison de néoprène de 5 mm se leste à environ 0,7 kg par kilogramme de masse corporelle et à 1 kg pour une 7 mm. La portance du néoprène diminue avec la profondeur sous l'effet de la pression hydrostatique (1 bar par tranche de 10 mètres d'eau).
Supposons qu'un plongeur équipé déplace un volume d'eau de 90 litres, son poids apparent en eau de mer (principe d'Archimède) correspond à 92,7 kg (90 x 1,03 kg). Si le poids réel et poids apparent sont identiques, il est en flottabilité neutre, si son Pa est plus léger il est en flottabilité positive (il peut déterminer le lestage nécessaire Pa-Poids corporel), s'il est plus lourd en flottabilité négative et coule. Certains plongeur aiment être lestés lourds (photographes, travail à accomplir, courant), d'autres préfèrent parfois dériver avec le courant. Dès l'immersion, les plongeurs rejoignent la profondeur fixée et poursuivent leur balade en remontant, jamais l'inverse ! Un bloc de 12 litres (contenance très répandue) a un poids à vide de 15,6 kg et plein de 19,2 kg pour un poids apparent de 5,5 kg. Après 10 minutes à 40 mètres, le bloc d'un plongeur consommant 100 l/min (ordre de grandeur) sera allégé de 1.3 kg.
Dans 85 à 90 % des cas l'accident est imputable à une erreur humaine. Selon les conclusions de l’atelier DAN (2011), la cause fondamentale de la plupart des accidents tient à : des plongeurs ne respectant pas les procédures correspondantes à leur niveau, et effectuent des plongées réservées à des plongeurs en bonne condition physique. Les statistiques Diving Medicine for Scuba Divers (2015) et celles d'Edmonds (2012) nous précisent :
90 % des plongeurs (civils) n'avaient par largué leur ceinture de plomb ;
86 % plongée solitaire ou plongeur éloigné de son binôme ;
50 % sont morts en surface ;
50 % n’avaient pas gonflé leur gilet stabilisateur ;
45% ont une origine cardiaque (chez les plus de 40 ans) ;
36 % conditions de mer éprouvantes :
35 % mauvaise utilisation du matériel ;
25 % ont eu des difficultés en surface ;
13 % ont perdu une ou deux palmes ;
13 % présentaient un barotraumatisme pulmonaire ;
12 % profondeur excessive en cause ;
12 % contenance insufisante du bloc (trop petit, mal chargé, surconsommation) ;
10 % plongeur en formation ;
10 % étaient médicalement inaptes à la plongée ;
10 % des vomissures ont provoqué ou contribué à l’accident ;
9 % la narcose a été un facteur contributif ou déclencheur ;
8 % le gilet stabilisateur a dysfonctionné ;
8% l’asthme a contribué au décès ;
6 % le gilet stabilisateur a été mal utilisé ;
5 % étaient des plongeurs-spéléologues ;
4% lors d'un échange d'embout (certains refusant de le rendre) ;
1 % portait assistance à un plongeur en difficulté.
Les plongeurs pourront déduire bien des informations de cette liste. Exemple, plongeur trop lesté qui gonfle son gilet a pour effet de diminuer l'hydrodynamisme, de déporter le centre de gravité, d'accroître la fatigue, la prise au courant et de favoriser l'essoufflement. Autant d'enchaînements incontrôlables suffisants pouvant conduire à la noyade.
Si le plongeur en formation étudie les différents accidents liés à la pratique de la plongée et au milieu, les malaises sont rarement évoqués en détails même chez des instructeurs Handiplongée qui potassent les pathologies invalidantes. Si le mot malaise : « sensation d'inconfort plus ou moins importante, pouvant aller d'une simple indisposition à un évanouissement » (Larousse) est courant dans les conversations, il reste absent des dictionnaires médicaux (Maloine, Masson) car trop imprécis. Les médecins différencient : pertes de connaissance non syncopales, non comitiales (épilepsie) - sans perte de connaissance et d'évoquer : intoxication (médicamenteuse, stupéfiants, ivresse) ; hypoglycémie (chute du glucose), hypercapnie (acide carbonique), hypoxie (diminution d'oxygène), narcolepsie (somnolence diurne), attaque de panique.
L'état « pré-syncopal » ressentie comme une sensation imminente de perte de connaissance est un trouble de la conscience avec perte de contact, sans communication possible. La syncope est une « perte de connaissance brutale et transitoire (de quelques secondes à 3 minutes), spontanément résolutive avec un retour rapide à un état de conscience normal, s’accompagnant d’une perte du tonus postural ». Le patient est en état de mort apparente au cours de l’épisode. Les syncopes réflexes regroupent :
Les syncopes vaso-vagales qui peuvent être précédées de signes annonciateurs : sueurs, nausées, étourdissement, faiblesse dans les jambes, troubles de la vision, bourdonnements d’oreilles. Certaines situations en favorisent la survenue : douleur aiguë, fatigue, chaleur, confinement, émotion forte. Les syncopes vasovagales ont tendance à récidiver.
Les syncopes par hypersensibilité du sinus carotidien surviennent lors d'une rotation de la tête ou d'une encolure trop serrée. En cause l'hypersensibilité d’un amas de fibres nerveuses situées autour de l’artère carotide au niveau du cou.
Les syncopes situationnelles : quinte de toux, stimulation gastro-intestinale, miction, défécation, manœuvre de Valsalva. Facteurs favorisants : tabagisme, diabète, surcharge pondérale, dette de sommeil, alcoolisation, médicaments pro-convulsivants.
Syncopes hypoglycémiques, la baisse du « taux de sucre dans le sang ne permet pas d’assurer un fonctionnement normal des cellules nerveuses du cerveau ». Signes annonciateurs : nausées, sensation de faim, irritabilité, des tremblements, maux de tête, fatigue, difficultés de concentration.
La syncope par hypotension orthostatique survient lors d’un changement de position : passage de la position allongée à la position verticale (descente ou remontée). La pression artérielle baisse de manière rapide et importante lors du passage de la position allongée à la position verticale. « Une diminution de la pression artérielle systolique d’au moins 20 mmHg et/ou de la pression artérielle diastolique d’au moins 10 mmHg, survenant dans les 3 minutes suivant un passage en position debout suffit ». L'évitement repose sur l'éducation du plongeur à risque ; élimination des médicaments favorisant l’apparition de l'hypotension orthostatique (antihypertenseurs, vasodilatateurs artériels, antidépresseurs, benzodiazépines, antipsychotiques), boire plus, changemer de position progressivement. « Ce type de syncope commence par une accélération du pouls (tachycardie), une grande pâleur de la peau, une décoloration des lèvres, des vertiges, une soif ».
La syncope d’origine cardiaque et/ou vasculaire « correspond à une insuffisance d’apport de sang au cerveau. Le sang peut ne pas parvenir au cerveau en quantité suffisante. Si les battements cardiaques sont trop lents (bradycardie), le volume de sang éjecté du cœur à chaque battement est à peu près normal, mais le débit de sang est insuffisant. Paradoxalement, le débit de sang est également insuffisant lorsque les battements sont trop rapides, le cœur n'ayant pas le temps de se remplir. En cas d’obstacle mécanique (valves aortiques rétrécies, fuite, embolie pulmonaire), le débit de sang qui sort du cœur est également diminué ». Signes annonciateurs : palpitations, tachycardie, douleur angineuse.
On peut supposer que le plongeur victime d'un malaise est mort d'une noyade secondaire, et le second venu lui prêter assistance d'une noyade primaire. La taphonomie d'une noyade en plongée est particulière. Le corps ne remonte que très rarement contrairement aux autres noyés (quelques jours en eau de mer et semaines en eau douce). Les poumons noyés, le plongeur coule vers le fond et le corps subi un déplacement horizontal (courant). Parvenu au fond le corps s'immobilise ou rague sur le fond (déchirures visibles sur la combinaison). Le corps est méconnaissable au bout de quelques jours, démembré après quelques semaines et décomposé en six mois.
En profondeur les eaux sont peu agitées - la basse température ralentie la décomposition - le matériel emporté alourdi le corps - le vêtement (néoprène ou étanche) expose ou non le corps à l'activité biologique de la faune et de la flore (l'écosystème aquatique diffère selon la région). Des gaz putrides s'échappent (plusieurs litres), les liquides se diluent, les organes, les tissus, les graisses disparaissent (animaux nécrophages et/ou autolyse), seuls les os subsistent (le squelette représente environ 14 % du poids corporel).
Lors de la phase de la récupération les opérateurs constatèrent que les restes des corps étaient ensouillés : « On voit apparaître une silhouette (...) Elle se dessine par la combinaison en néoprène, le gilet stabilisateur, la bouteille et les palmes ». Les corps étaient donc plaqués sur le fond (décubitus ventral) par leur propre poids (ossements), celui du matériel, d'un linceul de vase et d'algues et par la pression hydrostatique à l'origine d'un l'effet « ventouse ». Les opérateurs utilisèrent un jet d'eau dirigé sous les corps pour désagréger la vase avant de les saisir à l'aide des bras manipulateurs et de les remonter en surface.
Tout plongeur soucieux de sa sécurité se devrait de passer un ECG, un test d'effort, un test de Trendelenburg ou tilt test inclinaison et ne jamais dépasser ces capacités physiques. Le 29 mars 1994, le champion du monde d'apnée no limit, Cyril Isoardi, était décédé d'une syncope hypoxique après avoir atteint la profondeur de -124 mètres au Grand Tombant, un site proche du Tombant des Américains. Une correction, une précision, une remarque ?
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