Plus jamais ça !
Un témoignage bouleversant, celui de Jacqueline Fleury-Marié sur le plateau de l'émission La Grande Librairie...
Entrée dans la résistance dès l'âge de 17 ans, elle était chargée notamment de diffuser un journal clandestin Défense de la France. Elle a aussi rejoint son frère au réseau de renseignements Mithridate.
Ses parents étaient eux aussi entrés dans la résistance.
La famille a été dénoncée et arrêtée : en juillet 1944, la Gestapo arrive un matin chez eux, le père, la mère et la jeune fille sont emmenés à la prison de Fresnes, mis à l'isolement.
Un choc pour la jeune fille : elle ne retrouvera sa mère qu'à Ravensbrück.
Elle raconte aussi les interrogatoires qu'elle a subis : la baignoire dans laquelle on la plongeait et replongeait sans arrêt.
Une jeune fille de 17 ans, en prison, interrogée par la Gestapo, torturée, séparée de son père et de sa mère !
Comment tenir, comment résister ?
Elle écrit dans son livre Résistante que la poésie l'a aidée à tenir : seule dans sa cellule, elle aimait réciter des fables de La Fontaine, ce qui l'aidait à retrouver des moments qu'elle avait vécus, des gens qu'elle pouvait comparer aux animaux de La Fontaine. Elle aimait aussi chanter, car elle avait fait partie d'une chorale... Elle gardait précieusement tous ces souvenirs...
Mais plus terrible, encore, est le récit de sa déportation :
"On nous emmène dans des bus parisiens aux environs de Paris où nous attend un train de wagons à bestiaux dans lesquels nous allons être entassées... c'est un grand convoi, nous sommes 600 femmes, c'est le convoi du 15 août 1944, il y a plus du double d'hommes...
Des wagons à bestiaux, pour moi, une gamine de 17 ans, c'est encore possible de monter dans ces wagons, mais pour les femmes qui sont âgées, passées par les mains de la Gestapo, marquées par ce que nous avons subi, il faut aider ces femmes à monter dans le wagon.
A l'intérieur, nous sommes entassées, nous ne pouvons pas nous asseoir toutes ensemble. Nous avons droit à une espèce de grand seau avec de l'eau, et un autre seau pour nos besoins.
Vous pouvez imaginer que le seau d'eau va être vidé très très vite. J'ai un souvenir d'avoir eu soif tout le temps et cela va continuer en déportation.
Notre voyage a duré 7 jours et 7 nuits, il y aura un changement de train à Nanteuil-Saâcy, car des résistants ont fait sauter un pont sur la Marne.
Nous sommes enfermées dans un tunnel où le train était arrivé, enfermées dans ce tunnel pendant des heures... on respirait difficilement, Et à ce moment, une de mes compagnes a chanté l'Ave Maria de Schubert et croyantes et non croyantes, nous avons écouté avec un sentiment très particulier que je ne saurais dire...
A un moment, le train va démarrer en marche arrière, nous allons sortir de ce tunnel, on va nous faire sortir de nos wagons avec des coups, des hurlements. Nous sommes sur le bord d'une voie ferrée, on va nous mettre en colonnes, cinq par cinq et nous allons parcourir au moins 6 ou 7 kilomètres avant de nous retrouver devant un passage sur la Marne, un passage en bois, et de l'autre côté de ce passage, un autre train de wagons à bestiaux nous a emmenées à Ravensbrück, nous y arrivons 7 jours, après notre départ de Fresnes...
Nous sommes dans un état second : 7 jours enfermées, ne pouvant pas dormir...
On va nous sortir une à une, avec des coups et nous allons parcourir 6 ou 7 km, nous traversons alors une bourgade, là nous apercevons des rideaux qui se soulèvent derrière les fenêtres, on sent qu'on nous regarde.
Nous arrivons devant un immense portail, et nous allons apprendre que nous sommes à Ravensbrück, grand camp de femmes.
On est dans un état extrêmement douloureux, difficile. Nous arrivons sur une immense place où nous nous écroulons, et là nous voyons deux femmes, elles sont tondues, elles portent des robes, des loques, et elles tirent un long tuyau d'arrosage et comme nous mourons de soif, est-ce que vous pouvez imaginer : 600 femmes qui pensent qu'elles vont boire !
Là, nous voyons ces deux malheureuses arroser la place d'appel, et là nous ne recevons absolument pas d'eau.
Et nous voyons pénétrer dans le camp des êtres bizarres qui nous font peur : ce sont des femmes qui portent ces robes rayées, qui ont un outil sur l'épaule et parmi elles, les Françaises nous ont crié : "Si vous avez un tout petit peu de pain, jetez le nous, car dans peu de temps, vous allez nous ressembler."
Le processus de déshumanisation est en cours dès le premier jour.
Le camp était imprégné d'odeurs de corps qui brûlaient. On était dans la mort, on était entouré de morts.
Tous les matins, on venait ramasser les mortes de la nuit.
A l'arrivée à Ravensbrück, nous avons été transformées en concentrationnaires, c'est à dire qu'on nous a pris le peu que nous avions, nous avons été emmenées dans une baraque qui était la baraque des douches, et là on va nous transformer en concentrationnaires avec des robes rayées, quelque chose qui a été pour moi extrêmement difficile à supporter, nous recevions des espèces de galoches, c'est à dire des semelles de bois, avec derrière un morceau de faux cuir : ce cuir vous rentrait dans la chair. Beaucoup d'entre nous étaient tondues, et ça, essayez de penser ce que c'est pour une femme d'être tondue...
En sortant de cette baraque, j'ai retrouvé ma mère et ça a été quelque chose de très douloureux, car j'espérais, je pensais qu'elle n'était pas du voyage.
Et pour elle, me voir transformée, c était un choc, les chocs se multipliaient. Nous allons alors essayer de survivre côte à côte.
A 4 heures du matin, nous étions réveillées (autant qu'on ait pu dormir un peu) pour être à l'appel, et ces appels vont être mortels : nous avons eu -30 à Ravensbrück, il a fait extrêmement froid, nous étions jetées dehors en colonnes, avec le peu de vêtements que nous avions pour des appels qui duraient souvent très longtemps. Le soir, nous avons même connu un appel qui durait toute la nuit.
Pourtant, je n'ai jamais connu de moments d'amitié et de fraternité aussi forts que dans les camps, face à l'humiliation, aux tortures des SS.
Beaucoup de gestes ont permis la survie. J'ai connu le partage, la main tendue.
Nous sommes ensuite astreintes à des travaux : décharger des wagons de charbon 12 heures par jour, alors que nous étions dans un état de déficience totale."
C'est durant les marches de la mort que Jacqueline Fleury-Marié parvient à s'évader...
Voici son récit :
"Ma mère qui avait alors 47 ans seulement était complètement épuisée... pendant ces marches, nous ne recevions aucune nourriture. On ne mangeait que ce qu'on pouvait ramasser sur le bord des routes. Quand vous sucez un peu d'herbe, vous avez moins soif, et partager un brin d'herbe, quelle magnifique solidarité !
Et alors que ma mère ne pouvait vraiment plus marcher (quand on ne pouvait plus marcher, on était abattu), nous étions encadrées de soldats armés qui étaient d'autant plus féroces qu'ils savaient que la guerre était finie pour eux. Nous, nous pensions que jamais nous ne pourrions rentrer en France.
Donc, tant pis ! Tu cueilles un brin d'herbe et tant pis si tu reçois une balle... voilà où on en est.
Maman ne pouvant plus marcher, nous étions avec deux amies, deux soeurs et il n'était pas question de s'évader de la colonne, l'une sans l'autre.
Il a fallu trouver un moment qui nous permette de fuir toutes les quatre. Nous nous sommes réfugiées dans une carrière, et nous nous sommes cachées dans une baraque à outils, où nous allons être découvertes, à l'article de la mort, par des ouvriers français qui venaient pour travailler. C'est ce qui nous a sauvées, car arrivaient, à ce moment là, les troupes de l'Armée Rouge dont j'ai gardé un souvenir horrible."
Question de François Busnel, en fin d'émission :
"Aujourd'hui, quand vous regardez ce qui se passe dans le monde, que ressentez vous ?"
Réponse de Jacqueline Fleury-Marié :
"Ce qui se passe en Ukraine, c'est innommable, c'est la destruction d'un peuple pour un autre. Et en plus, je revois les Russes, tels que je les ai vus, il y a 80 ans, et le monde n'a pas beaucoup changé, ça me fait très peur pour mes enfants, pour mes arrière petits enfants."
Plus jamais ça ! Mais, hélas, la guerre en Ukraine nous ramène aux temps de la barbarie...
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2022/04/plus-jamais-ca.html
Sources :
Vidéo :
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