Plus que jamais, Marine, papa doit partir !
Plus les jours passent et plus l’heure fatidique du suffrage universel approche. Depuis son accession à la tête du Front National en janvier dernier, Marine Le Pen a entrepris un vaste programme d’épuration et de dédiabolisation de son parti. Malheureusement, la mutation n’est pas encore entièrement effective et, malgré les efforts consentis, ces derniers pourraient bien avoir été effectués en vain. En vain, car au-dessus de cette image nouvelle et plus reluisante plane encore l’ombre du Père qui, quoi qu’on en dise, pèse aujourd’hui encore comme un poids sur le dos de sa fille.
Des honneurs dus à Jean-Marie Le Pen…
Pour comprendre sa présence, encore effective, au sein du Front National, il faut revenir quelque peu sur son parcours. Fils de pêcheur et de couturière, le jeune Jean Marie Louis Le Pen devient, suite à la mort de son père en 1942 (tué par une mine allemande), pupille de la Nation. A 16 ans seulement, il souhaite s’engager dans les Forces Françaises Libres (FFI) pour libérer son pays de l’occupant nazi. A cause de son âge, il est cependant refusé.
Après avoir vécu de petits boulots et dépensé son énergie dans diverses actions associatives (aide aux sinistrés) et politiques (action française), il partira d’abord pour l’Indochine, puis, plus tard, pour l’Algérie, accomplissant ainsi son devoir de soldat. Bien des années plus tard d‘ailleurs, on lui reprochera d’avoir torturé lors du conflit en Algérie où il occupait le poste d’officier de renseignement. Vraies ou fausses, ces accusations importent peu et semblent ignorer les horreurs et les obligations de la guerre. Sans doute, ces esprits fins préfèrent-ils l'image de civils tués par les bombes que celle d'un terroriste torturé. Allez savoir.
De retour de la guerre, il se lancera pleinement en politique. Sans revenir sur les détails de son long parcours, il est important de noter tout de même qu’il sera le premier politique à présenter un homme de confession musulmane, Ahmed Djebbour, à la députation de Paris en 1957 sous l’étiquette du Front National des Combattants. Ce serait d’ailleurs pour défendre ce dernier, dit-il, qu’il aurait perdu l’usage de son œil gauche. Proche de Pierre Poujade, avec qui il partageait l’envie de défendre les « petites gens », il sera à 27 ans le plus jeune député de France. Après un passage au Centre National des Indépendants et Paysans, il fondera en 1972 le Front National qu’il présidera ensuite durant 40 années.
Que l’on partage ou non ses points de vue, il serait d’une certaine mauvaise foi de ne pas accorder à Jean-Marie Le Pen le mérite de ce parcours qui force le respect. Cet homme parti de rien, qui s’est toujours consacré à la politique et à son pays, détenteur de la croix de la valeur militaire, pupille de la nation. Aussi, il faut lui reconnaître une certaine abnégation : malgré les pressions, les attentats (1976), les assassinats (Duprat en 1978), les diabolisations, les agressions physiques et verbales, le leader frontiste a toujours su conserver sa ligne provocante et laisser la langue de bois aux professionnels des enquêtes d’opinion.
… à l’absolue nécessité politique de l’éloigner
Pourtant, malgré le portrait plutôt honorable – basé majoritairement sur des faits objectifs – qui vient d’être dressé ici, le fondateur du Front National divise, à bien des raisons sans doute. Certains lui reprochent ses propos douteux, d’autres certaines périodes de son passé qui le seraient tout autant. Bien qu’il ait obtenu gain de cause à 23 reprises, le leader frontiste a été condamné 18 fois pour ses propos, et 3 fois pour ses actes. Insultes, coups et blessures, propos virulents, avis tranché sur l’histoire de la deuxième guerre mondiale… tels sont les faits qui l’ont conduit devant les tribunaux. Bien évidemment, il n’est nullement question d’approuver ces condamnations. Chacun devrait pouvoir être libre de ses propos, auxquels il faut répondre par le débat, et non la justice. Mais le problème est ailleurs.
En effet, le parler cru et la politique n’ont jamais fait bon ménage, et il incombe à tout aspirant à la présidence de se montrer plus consensuel, plus rassembleur, ne serait-ce que pour éviter de se mettre à soi-même des bâtons dans les roues ! Jean-Marie Le Pen n’en avait, semble-t-il, que faire, prenant plaisir à choquer, déranger, bouleverser, et, inévitablement… diviser. Ses propos sur la seconde guerre mondiale ou encore sur les arabes- et musulmans – en sont de parfaits exemples. Stratégie volontaire ou réel besoin de franchise ? Nul ne sait.
Toujours est-il que, désormais, les choses ont changé. Marine Le Pen, son héritière de fille, se montre beaucoup plus habile politiquement. Plus douce, souriante, rusée, intelligente, l’actuelle présidente du Front National a tiré un trait sur la technique du bélier qui consiste à foncer tête baissée sans réfléchir. Certes, le changement est évident : moins de propos-pièges incitant à la polémique et l’opprobre médiatique, plus d’attaques sur le physique des opposants, plus de blagues douteuses, exclusion des cranes rasés et des néo-nazis qui, bien que minoritaires, gangrènent encore les rangs du FN. Seulement voilà : le Père, lui, est toujours là. Pendant que Marine s’efforce d’éviter le plus possible de donner des munitions au système, son père, lui, ne s’en prive pas.
Président d’honneur du Front National, Jean-Marie Le Pen a ainsi toujours plus ou moins gardé la main sur le parti… et ses déclarations crues et irréfléchies continuent de donner du grain à moudre aux médias dominants qui n’attendent que cela. Et d’ailleurs, à l’image de ses récents propos, pas bien méchants, sur les attaques d’Oslo, on a même pu constater à quel point il leur en fallait peu pour inventer un dérapage.
Alors oui, il serait bien peu élégant de virer comme un malpropre celui qui a fondé et dirigé le parti pendant près de 40 années, mais il ne faut pas oublier que les bons sentiments sont les pires ennemis de la politique. La situation se présente ainsi, et pas autrement : la rupture, ou la continuité. La continuité consisterait à un éternel score de moins de 20%, et l’espoir nul, en cas de second tour, d’accéder au trône. La rupture, ce serait poursuivre dans cette voie engagée depuis la présidence de celle qu’on appelle tendrement « Marine », l’éloignement respectueux de Jean-Marie Le Pen, ou même mieux : le départ intelligent de celui-ci.
Intelligent, oui. Car ce dernier doit être aveugle, ou d’une incroyable mauvaise foi, pour ne pas voir à quel point sa présence fait du tort aux projets de sa fille. Comme un enfant accroché à son jouet, Jean-Marie Le Pen fera-t-il passer son propre intérêt avant celui de la France ?
A la manière de Philippe Bilger, qui dans un billet publié sur son blog en arrivait à peu près au même constat, j'en appelle à la Raison politique. Plus que jamais, Marine, papa doit partir !
Christopher Lings
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