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Plus sympa que les maures, les peuls, les soninkés : l’esclavage chez les Wolofs…
Quand on fait le tour du sort des esclaves et des affranchis chez les différentes communautés de Mauritanie, on découvre que leur sort a le moins avancé chez les soninkés où la hiérarchie en la matière est la plus terrible, puis chez les peuls et enfin chez les maures où le sort des anciens esclaves est compensé par la condition de l’élite hratine qui n’a rien à voir avec ce qu’on peut trouver dans la communauté négro-mauritanienne où le débat à ce sujet n’est pas même d’actualité sauf chez les wolofs. Là on tombe des nues devant le sort réservé aux esclaves sans même parler des affranchis et ce depuis les temps « anciens »…
Les wolofs en Mauritanie sont très discrets car c’est la communauté la moins nombreuse mais dont la langue est la plus partagée. Beaucoup de peuls parlent wolof, beaucoup de maures parlent wolof quand on trouve moins de peuls qui parlent hassanya comme de maures qui parlent poular…
Les wolofs représentent environ 40% de la population sénégalaise, pourtant le wolof est la langue « officielle » avec le français, les autres langues étant moins parlées. Voit-on au Sénégal, comme chez nous, à longueur de journée, un débat sur l’unité nationale malmenée, un combat entre communautés, entre ethnies contre la domination du wolof ou entre chrétiens et musulmans ? Le Sénégal des wolofs semble avoir dépassé ces histoires. D’ailleurs le premier président est sérère chrétien, suivi de deux présidents wolofs et le dernier en date est un toucouleur. Le pouvoir tourne au Sénégal sous majorité wolof…
Certains disent que si la démocratie prend bien au Sénégal, c’est à cause du passage du blanc qui y est resté longtemps. Le moins qu’on puisse dire quand on connaît la colonisation puis la balkanisation de l’Afrique à la décolonisation, c’est que la démocratie forte et viable était le dernier souci du colon comme tout colon venu du Nord, de l’Est ou de la sous-région...
En vérité, bien avant la démocratie importée ailleurs, on découvre déjà la « république » wolof quand on jette un coup d’œil au cœur du fief du plus grand roi Wolof, le légendaire Lat-dior Ngoné-latir Diop, à savoir le grand Kayor qui se situe là juste à deux ou trois battements d’ailes à vol d’oiseau de notre fleuve Sénégal.

« Le Kayor est une province du Sénégal peuplée surtout de Wolofs ethnie que la Chronique du Wâlo montre en formation au début du XIII siècle. Elle s'étend sur 200 kms Sud-Ouest au Nord-Est et sur 120 kms du Nord au Sud entre le Wâlo le Dyolof et le Baol de Saint-Louis Rufisque. Elle est aujourd’hui traversée dans toute sa longueur par le chemin de fer. La carte reproduite ici fait apparaître le Kayor en 1883 donc époque de Lat-Dyor »
Là on découvre que les wolofs n’ont pas attendu le blanc pour faire vivre la première république car là-bas, le roi, le fameux Damel, était « élu » car désigné par de « grands électeurs » à condition qu’il soit issu des 7 familles royales « garmi » qui est au passage le prénom de la soeur de notre diva Dimi que Dieu ait son âme.
« …à condition il soit un membre des sept garmi le Damel est choisi par les grands électeurs représentant les nobles les hommes libres les captifs et plus tard les Musulmans. Son intronisation est matérialisée par une cérémonie qui se tient à Mbul la capitale : il installe sur un tas de sable, on lui impose un turban et on lui remet un vase de graines ; il s’éloigne au bois sacré de initiation animiste puis il prend un bain rituel dont origine remonterait au XVI siècle sous influence un marabout maure… » P79
Bon à savoir : pourquoi appelle-t-on le roi des wolofs du Kayor, Damel ? « Le souverain du Kayor portait le titre de Damel ou Dammel, lequel selon le traditionniste du Wâlo Yoro Dyâo 1847-1919) signifierait briseur, du wolof damma, rompre) la suite de la rupture avec le Dyolof au XVI siècle…
…Selon les traditions orales ( rapportées par Yoro Dyâo Chef de Canton du Wâlo ), le Kayor aurait été tributaire de Empire Dyolof au XVI siècle et la suite du refus par son Damel de payer le tribut, serait alors devenu royaume indépendant : « les liens sont rompus et brisées les épines piquantes ». Une trentaine de Damels ont régné la fin du XIXe siècle »
D’ailleurs à propos du légendaire Lat-Dior Ngoné-latir Diop, héros national sénégalais dont la légende compare son génie militaire à celui de napoléon ( P96 ) et dont le plus grand camp militaire sénégalais porte son nom, « à la question était-il wolof ? Son petit-fils Amadou-Bamba Diop répond de façon nuancée oui dans la mesure où on peut l’être. Par son père, son dix-huitième ancêtre était arabe. Par sa mère il est mandingue, maure et toucouleur. il est dit wolof » P90
C’est donc chez lui au Kayor, là juste à côté de nos peuls, soninkés et maures, experts en esclavage bestial que les esclaves étaient les mieux lotis quand ils étaient « esclaves de cases » et surtout les plus puissants car c’est eux le gros des guerriers, les fameux tiédos, avec à leur tête un esclave comme eux, capables de faire et défaire les rois !
Imaginez un émir maure, un fama peul, ou un tounka soninké permettant à ses esclaves d’apposer leur signature avec la leur lors d’un traité avec le colon ! C’est pourtant arrivé avec les puissants esclaves d’Etat wolof.
« La puissance de ces captifs Etat était due au fait ils représentaient au Kayor en particulier le seul élément stable de la société, ils étaient les seuls sur qui le Dämel pût compter en toute circonstance car ils lui appartenaient et ne se révoltaient pas. Les différends de Lat-Dyor avec Demba-Waar le chef de ses captifs seront une des causes de sa perte. En règle générale, les esclaves de la couronne occupent les positions les plus élevées du royaume. Le 28 août 1883 le traité avec le Damel du Kayor, Samba Laobé, instituant le Protectorat français sera contresigné par six captifs de la Couronne »
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Imaginez ce même émir maure et ses semblables peul et soninké qui écriraient au gouverneur français une lettre comme celle du plus grand roi Wolof Lat-dior pour se plaindre de ses esclaves qui veulent le déposer ! P93
« On a vu le rôle déterminant joué au Kayor par les esclaves de la couronne les dyaam-u Buur-i. Ce sont eux qui ont soutenu le prétendant puis le Damel grâce surtout à l’influence de leur chef le Farba Demba-Waar Dyor Sal (1837-1902) à peine plus âgé que son maître. Pourtant partir de 1879 une tension se manifeste entre eux et Lat-Dyor. Celui-ci écrit au Gouverneur le 2 octobre :
« « …depuis un an les captifs de la couronne cabalent contre moi, ils veulent se réunir pour mettre à ma place Samba Laobé. Je considère mon neveu Samba Laobé comme mon enfant et mes captifs comme des ingrats Je leur ai donné un commandement territorial mais ils sont trop gourmands. Ils ont voulu m’assassiner en traître et me prendre par surprise. ». Et Lat-Dyor de conclure par cette demande au Gouverneur « envoie un officier pour dire à mes captifs d'obéir leur roi ». Le 28 novembre nouvelle plainte de Lat-Dyor au Gouverneur : « ils veulent mettre à ma place mon neveu Samba Laobé mais je ne le souffrirai jamais. Ce sont mes esclaves fils de mes esclaves Je les réduirai à néant après les avoir déshonorés et ils ne résisteront pas plus entre mes mains que ne le fait le bois sec jeté dans les flammes. » Et le 1er décembre « mes ennemis ne sont que des esclaves comme étaient leurs pères »
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Sacré Wolofs ! D’ailleurs, on apprend dans ce document très intéressant car de lecture rapide à propos de l’islamisation des wolofs, que les guerriers du Trarza ont déjà perdu une bataille contre une femme wolof déguisée en homme qui remplaça son père trop vieux pour combattre.
« « La linguère » ( linger ) est la mère, la tante maternelle ou la soeur utérine du Damel. C’est aussi « le titre d'une fille de Damel dont la mère est aussi une fille de Damel. ». Les linger sont très recherchées puisque c’est par elles que se transmet le sang royal. Le célèbre Damel Lat-Sukaabê (1697-1719) soucieux de ne prendre aucun risque épousait des sœurs de même père et de même mère.
Ces linger étaient parfois toutes-puissantes. Certaines participaient aux combats comme la fille de Lat-Sukaabê son père étant trop âgé, elle s’habilla en homme, monta cheval et battit l’armée des Trârza à Ngramgram. L’histoire du Sénégal est d'ailleurs riche en récits de ce genre, vers 1868 la reine-mère du Sâloum Kumba Daga préféra la mort à la servitude auprès un griot. ) » P84
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Voici encore quelques petits extraits de ce document passionnant à lire pour les ignorants que nous sommes. C’est écrit par Vincent Monteil, toujours lui, qui jette, à un moment, une petite flèche au géant Cheikh Anta Diop à propos de ce que ce dernier dit au sujet l’esclavage. Soit dit en passant, il faut dire que le génial Anta Diop étant de famille aristocratique wolof, faut pas s’étonner qu’il aille chercher les racines des wolofs chez les égyptiens car en Afrique, toutes les racines de la noblesse noire semblent mener à la grande Egypte, un peu comme les racines de nos fanatiques arabos semblent toutes mener au cœur de l’Arabie si ce n’est directement au sang du prophète PSL. Tout cela est humain, trop humain, on se rattache comme on peut à ce qui a une grande histoire. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin quand chaque humain, quel qu’il soit, remonte à Adam et Ève ?
Vincent Monteil lance une flèche à Anta Diop non pas au sujet de l’origine mais du sort des esclaves. Voyons donc le sort des esclaves chez les wolofs combien il diffère de ce qu’on trouve chez les maures, les peuls et les soninkés.
« La base de la société du Kayor est comme toujours constituée par les esclaves ( dyaam ). Ne s’en étonneront que ceux qui ignorent les institutions africaines traditionnelles. Il y avait naguère plusieurs catégories de dyaam avec autant de conditions différentes. Les captifs achetés au marché travaillent de 6 heures à 14 heures pour leur maître et pour eux ensuite avec deux jours libres par semaine le lundi et le vendredi. Lorsque cet esclave « est maltraité par son maître et qu’il veut l’abandonner pour se réfugier chez un autre, il coupe oreille de enfant de celui qu’il désire comme maître ou bien encore oreille de son cheval . Il devient alors de droit son esclave ». La plupart des esclaves sont cependant des captifs de naissance ( dyaam dyudu ). Ce sont eux qui forment le gros des captifs de case » P86
« Quant au sort de ces captifs de case, ils « sont traités comme les enfants du maître. Ils peuvent eux aussi acheter des captifs ». Le 29 janvier 1886 l’Ordonnateur Guillet écrit : « on voit souvent au Sénégal l’esclave plus riche que son maître boire et manger avec lui. Certains captifs ont des captifs. Les captifs de ces captifs ont même des captifs. Un étudiant sénégalais, Mbaye Guèye, le reconnaît (1962 P124) : « les captifs de case vécurent familièrement avec leurs maîtres qui n’étaient pas leurs égoïstes oppresseurs mais leurs tuteurs et leurs pères ». On ne voit donc pas comment Cheikh Anta Diop peut conclure : « le seul élément qui aurait intérêt à bouleverser l’ordre de la société africaine parce qu’il y est aliéné, sans compensation, est l’esclave de la maison du père. »
« …Il y a une troisième catégorie d’esclaves, ce sont les prisonniers de guerre. Il s’agit surtout en fait de femmes réduites le plus souvent à la condition de concubines « taara ) »
« Restent, last but not least, les captifs de naissance qui appartiennent à l’Etat, « ce sont les esclaves de la Couronne » (dyaam-u Buur-i ). Là encore il faut se garder de mêler par projection du présent dans le passé nos conceptions modernes anti-esclavagistes, à une institution capitale et d’une grande originalité. Pour l'Afrique occidentale Mahmoud Kati auteur du célèbre rîkhal-Fattâsh au XVII siècle précise que les Empires noirs des Kanya du Mali et des Songhay ont reposé sur une seule et même base constituée par un bloc de 24 tribus serves qui appartint successivement à chacun eux. Or au Kayor 16 villages composés autant de doubles lignages ( patri et matrilinéaires) d’esclaves de la couronne, étaient peuplés de captifs de la lignée maternelle des Geedy. Ce sont eux qui furent les plus fermes soutiens des Damels Geedy qu’ils intronisaient ou détrônaient dont ils gagnaient ou perdaient les batailles dont ils contrôlaient l'exercice du pouvoir »
« Ces Tyeddos étaient aussi des braves. G Mollien ( 1818) raconte au cours d'une bataille entre le Kayor et le Baol, chaque guerrier « pour se mettre dans impossibilité de chercher son salut dans la fuite remplit ses larges culottes de sable et accablé sous le poids d’un tel fardeau se met genoux et se dispose à tirer ». Ousmane Socé évoquant « ces valeureux ancêtres » ajoute « que dans la vie privée quand une grande honte les frappait, ils se couchaient, prenaient entre les dents le canon de leur dibi ( mousquet ) et les orteils sur la détente, se faisaient sauter la cervelle pour ne pas survivre leur honneur ». En 1876 une opinion officielle vaut assurément d'être citée : « la force sur laquelle on s’appuyait (au Kayor) était une garde dite des tiédos hommes sans foi sans loi ennemis de tout travail, buveurs d'absinthe et de sangara frelatés mais en revanche d’une bravoure à toute épreuve et que l’on ne peut comparer sans exagération aucune qu'à celle de nos preux d’autrefois. Ces tiédos qui portaient le nom de captifs de la couronne composaient donc une véritable armée irrégulière mais redoutable. Il va de soi que le pays n’était pas cultivé par eux. »
Enfin le petit-fils de Lat-Dyor, Amadou Bamba Diop fait remarquer que ces Tyeddo esclaves fils d'esclaves préféraient le demeurer car ils étaient plus puissants que les hommes libres –à coup sûr que les malheureux Baadolo, ils disposaient de la vie des Damels et ils pouvaient parfois épouser leurs filles !
En fait on peut dire des Tyeddos « qu’ils appartenaient au Damel mais le Damel leur appartenait… »
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Au-delà du sort des esclaves, il faut lire ce petit document écrit comme toujours d’une main de maître, ça se lit facilement et on y apprend mille petites choses et on voit s’écrouler l’ordre ancien des Damels pour finir en confédération dirigée par le chef des esclaves, la montée des marabouts que le peuple, encore majoritairement animiste il y a à peine 200 ans, craint comme des sorciers. Il faut dire que certains marabouts ne se sont pas gênés pour jouer à cela et l’ont payé cher :
« Le Kayor est comme les autres royaumes du Sénégal, il a ses marabouts au même titre que le Waalo (voir sa Chronique ) le Dyolof le Baol le Sine ou le Salùm . Grâce à eux peu à peu les populations animistes prennent une teinture d’Islam. C’est ainsi que chez les Sérères du Sine des marabouts du Djolof se sont fait admettre dans ce pays où ils ont obtenu depuis longtemps droit de cité. Ils exercent une influence très grande sur les principaux chefs et dans les conseils du Roi. Ils ont introduit l’usage de la langue ouolof dans les familles les plus considérables. C’est à eux enfin que le Sine doit ses institutions calquées sur celles des Etats ouolofs.
Au Kayor, comme ailleurs, les Damels païens sont attentifs à se les concilier pour des raisons de prestige et de charisme. C’est par exemple ce qui ressort de l’histoire traditionnelle de Ma-Dyor Faatim Goleny au XVII siècle racontée par le griot El-Hadj Assane Marokhaya (1963 P12-18) Pour devenir Damel le prétendant Ma-Dyor « donna en offrande aux marabouts les plus vénérés presque toutes ses richesses or argent esclaves mais rien ne se passa ». Il s’en fut alors au Sâloum où un vieux marabout lui prédit que pour être roi il lui faudrait sacrifier « aux dieux » sic ! une femme noble (garmi) dont le sang se mêlerait à un liquide magique. Là-dessus Ma-Dyor s’enivre, égorge sa femme Yaasin Bubu et se lave dans le philtre (safara ) sanglant après quoi il va tuer le marabout « afin que le même service ne puisse être rendu autres ». Au XVIII siècle Ma-Dyor II 21e Damel a battu son grand-père Ma-Kodu grâce au talisman d’un marabout qui rendu invulnérable (tul). Les marabouts on le voit sont donc surtout des super-magiciens dont les gris-gris sont incomparables. Ils sont aussi indispensables comme secrétaires des Damels puisqu’ils sont les seuls à détenir l’écriture.
Ce qui fait eux des gens doublement redoutables. On a vu qu’ils ont dans le passé fomenté des révoltes au Kayor. En 1862 ils sont tellement craints, jusqu’à Saint-Louis, qu’on ne peut les condamner honnêtement en justice car « il n’est pas possible d’obtenir d’un indigène musulman qu’il vienne témoigner contre un marabout ». Marabouts-agriculteurs combattants magiciens devins guérisseurs ou secrétaires, les Sêriny tiennent une place de premier plan dans l’armature sociale du Kayor »

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