Poker menteur
Février sera meurtrier. Déjà, les coups bas pleuvent, les promesses fleurissent et les candidats changent de discours sans craindre le tête-à-queue idéologique ou politique. Bref, la campagne présidentielle est bien lancée.
On peut s’apitoyer sur le manque de fond de la campagne, sur la
floraison des petites phrases ou sur les renoncements des uns ou des
autres, mais voilà : les campagnes électorales ressemblent de plus en
plus au cirque Pinder et de moins en moins à un affrontement
idéologique entre des équipes aux arguments bétonnés. On s’étonne à
peine que Sarko confonde Giscard et Mitterrand
(sa citation sur « vous n’avez pas le monopole du cœur », qu’il a
attribué à...Mitterrand, alors que c’est Giscard qui lui a lancé). Un peu
plus que Ségo ne sache pas qu’on a quatre sous-marins
nucléaires, car ce serait elle, en tant que future présidente, qui en
aurait le contrôle final. Ou que François Bayrou multiplie les
déclarations contre « les medias aux ordres des deux principaux
candidats »... dans les medias bien sûr, qui l’accueillent à bras ouvert,
parce qu’il commence à faire de l’audience (record historique de Canal
Plus en clair cette semaine, avec Bayrou rédacteur en chef du Grand
Journal de Michel Denisot). Ou encore qu’une personne condamné à la prison ferme puisse se présenter devant les suffrages des Français, José Bové
condamné à quatre mois. Bref, le professionnalisme des politiques se
perd, tout comme la qualité de leurs propositions et leur constance à
les défendre.
Le duo Mitterrand/ Chirac
Mitterrand fut l’un des grands artisans du pervertissement des
campagnes. D’abord parce qu’il a été candidat à des moments-clés de
l’explosion médiatique, notamment en 1988 avec l’augmentation du nombre
de chaînes de télévision et la ruée des radios privées (dites « libres
» à l’époque...). Parti de loin, distancé par Raymond Barre
pendant les trois quarts de la campagne, François Mitterrand récupéra
tout ou partie du programme de Barre, tout « esbaudi » comme il aurait
pu le confier lui-même et donc absent du second tour. Ses troupes UDF
de l’époque, plutôt désunis sur la fin, entre ralliement mou à Chirac
et volonté de faire payer le traître de 1981, permirent donc à
Mitterrand d’être élu sans son programme.
Chirac s’essaya au même exercice en 1995 avec la « fracture sociale » qui lui allait comme un gant à un manchot. Pourtant, la large campagne médiatique, ajoutée au raidissement naturel (déjà) du candidat Jospin lui permit de gagner. 2002 vit le triomphe de la campagne de « la peur au ventre », campagne sécuritaire sans précédent et sans réalité autre que fantasmée. Comme souvent, les plus trouillards furent ceux courant le moins de risque, les campagnards sans histoire votant Le Pen par crainte des immigrés qu’ils n’avaient jamais rencontré...
Nivellement par les medias
Alors on peut déplorer que les campagnes présidentielles se déroulent «
à l’américaine », que les débats aient disparu, sacrifié par les
équipes de campagne au nom du principe de précaution (la trouille en
réalité), que « c’était mieux avant ». Mais la posture conservatrice
n’a jamais fait avancer le débat ni la politique. Il est vrai que si le
candidat le plus compétent, avec le meilleur programme ou la meilleure
vision pour la France (supposition gratuite, bien sûr) avait dû être
élu, Giscard qui avait déjà commencé à réformer la France, serait passé en 1981, Michel Rocard aurait affronté Raymond Barre au deuxième tour en 1988 et Jacques Delors
archi-favori, écrasé Jacques Chirac en 1995... Quant à 2002, l’intégrité
de Lionel Jospin aurait dû le faire gagner. Et oui, si on refait
l’histoire, elle a une tout autre allure. Mais la réalité est que nous
avons vécu depuis vingt-cinq ans avec à la présidence deux briscards de
la politique, Mitterrand et Chirac, les plus beaux exemples de «
politiques politiciens » qui promettent beaucoup mais ne tiennent pas.
Champions toute catégorie de la démagogie, des « pragmatiques » comme disent les commentateurs, pour éviter d’employer le mot « populistes ».
Sauf que la démocratie reste la rencontre d’un homme (ou d’une femme)
avec l’opinion et que depuis quelques décennies, l’opinion peut
s’appuyer sur les medias, les instituts de sondages, l’exemple
étranger, pour se forger son avis et aller voter. Il faut donc parler fort et clair, adopter le verbe haut, le ton bravache et l’anathème calculé. Sans s’occuper réellement du fond...
D’où le fantastique intérêt suscité par cette campagne, où à défaut de
personnalités neuves, se présentent tout de même avec de réelles
chances de succès, des candidats jeunes (la cinquantaine), n’ayant
jamais brigué les suffrages (à part François Bayrou quand même, sans
parler des petits...)... Mais malheureusement, Sarko comme Ségo sont eux
aussi des professionnels de la politique et leurs ajustements, pour ne
pas dire revirements, de ces derniers jours, le montrent bien. Sarko
joue au rassembleurs tranquille en vue du second tour, Ségo retrouve
les accents de Georges Marchais en 1981 contre le grand capital. Tout
se joue dans l’opinion fin février, après les tendances ne s’inversent
plus. Février sera meurtrier, je vous le dis... D.A.
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