Polémique autour d’un foulard
Quand la mode s'empare du voile, cela fait forcément des remous dans l'opinion publique. Mais il n'est pas du tout certain que les religieux soient les vrais gagnants de cette nouvelle affaire.
Contrairement à d’autres pays européens, la France manifeste une certaine allergie aux signes ethniques et religieux un peu trop ostentatoires. Beaucoup se souviennent encore de la polémique qu’avaient suscitée, en 1989, deux lycéennes refusant d’ôter leur voile durant les cours. Voici cinq ans, au terme d’un débat public souvent houleux, l’Assemblée Nationale a adopté l’interdiction de la burqa dans l’espace public, au motif que le visage ne doit pas y être caché. Sage décision mais porteuse d’une loi quotidiennement transgressée dans nos villes. Aujourd’hui, ce sont d’autres questions que soulève le lancement d’une mode musulmane par des marques comme H&M ou Marks and Spencer. Le foulard – mais aussi le maillot de bain intégral – est encore au centre des débats, même décliné en des couleurs bien moins austères que le sombre modèle religieux. De quoi séduire celles qui veulent conjuguer respect des traditions et frivolité : l’oxymore est bien la figure stylistique qui caractérise le mieux notre modernité.
Les réactions, à l’annonce du lancement de ces lignes vestimentaires, ne se sont pas fait attendre. Certains et certaines y ont vu la volonté d’une ouverture à la diversité culturelle de notre société. A ceux-là, il faut rappeler que le voile n’est pas une importation récente ; que bien des femmes occidentales, par pudeur, hygiène ou élégance, en portaient un sur leurs cheveux jusque dans les années 60.
D’autres, comme les féministes (par la voix de la secrétaire d’état Laurence Rossignol) y ont vu une régression de la liberté féminine. C’est oublier qu’en France, contrairement aux pays du Moyen-Orient, le port du foulard n’est pas exigé par l’ordre social mais relève, dans la majorité des cas, d’un choix délibéré des femmes musulmanes. Certes, en affirmant leur identité religieuse, elles testent aussi les limites de ce qui est acceptable dans notre cadre laïque, mais c’est ainsi. Au demeurant, on se demande bien pourquoi une poignée d’idéologues en jupons déciderait de la façon dont doivent vivre les femmes de ce pays, quels que soient leurs engagements religieux ou professionnels. Et surtout d’influencer les rouages de l’état pour le faire légiférer dans leurs sens.
Depuis, Manuel Valls est entré dans l’arène, prenant ouvertement parti contre le port du voile à l’université. Ce qui, par réaction, a entrainé l’organisation d’un « hijab day » par quelques étudiantes de Sciences-Po.
C’est pourtant une autre vérité qui se dégage, finalement, de cette énième dispute. Elle confirme, si besoin était, que le marché est toujours à l’affut de nouvelles tendances – fussent-elles jugées rétrogrades - ; qu’il n’a pas d’état d’âme quand il y a de l’argent à faire. En matière de mode, il se passe ni plus ni moins que ce que l’on voit dans d’autres secteurs de la société : l’exploitation des particularismes, de quelque origine qu’ils soient. Ainsi en va-t’il pour le développement du commerce halal qui représente, dans la France actuelle, plus de cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires. Oui, le marché renvoie dos à dos les chantres du communautarisme et leurs adversaires universalistes. N’est-ce pas la preuve par neuf que la démocratie libérale a progressivement supplanté notre vieux modèle républicain ?
Jacques LUCCHESI
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