Police politique, répression et... poésie !
Voilà un bien original essai sorti d'édition en mai dernier. Le Cercle des poètes de la Stasi de Philip Oltermann aurait pu s'intituler "Répression et réflexion" ou "Barbelés et jeux de mots" : comment l'univers impitoyable d'une redoutable police politique a pu engendrer un club de poètes ? L'ouvrage renvoie à la guerre froide, son mur de Berlin, ses vopos, la RDA et sa dictature de la pensée. Produire de l'écriture libre à ses heures perdues devait relever de la provocation, en théorie.
L'auteur britannique est journaliste au Guardian, correspondant à Berlin. Il a recueilli les témoignages de surprenants ex-poètes : policiers, gardes-frontières, informateurs de la Stasi, on s'étonne du profil des membres de ce club des poètes disparus très particulier. Rappelons que la Stasi, à l'image du KGB, était une officine chargée de surveiller et réprimer les "ennemis de classe" du peuple est-allemand : dissidents, opposants, simples contestataires, mécontents, fuyards... Ses méthodes de répression étaient cruelles et efficaces, mélange de camps d'internement et de harcèlement quotidien selon les individus ciblés. Les dictatures de gauche ont toujours été les plus perverses, mélant la psychologie à la brutalité, se mêlant de l'intimité et de la conscience de ses citoyens. Un univers où le rêve est la seule évasion possible, le rêve poétique par exemple.
Ce qui surprend, c'est le caractère officiel de ce club, encadré et structuré. Les membres reçoivent des cours d'écriture, on monte des ateliers pour échanger vers et sonnets. On recrute le très distingué Uwe Berger, sorte de Boris Vian local, pour inciter gardiens et policiers à laisser libre cours à leur imagination. Pour évacuer le stress d'un quotidien morose ? Montrer qu'un molosse peut aussi être créatif ? Où tout simplement faire parler des employés aux basses besognes ?
Car si Uwe Berger a cultivé une image d'homme libre non encarté au parti, c'était pour mieux cacher ses activités d'officier de la Stasi, comme dans tout bon roman d'espionnage à la Orwell. L'état totalitaire organise ses embryons de dissidence pour mieux surveiller et réprimer, en RDA comme ailleurs.
Ainsi Philip Oltermann nous montre des poètes motivés mais parfois trop créatifs, au point de finir mis à pied ou carrément arrêtés pour certains. Des concours sont organisés, des productions de bonne qualité mise en avant, illustrant que la RDA produisaient des soldats politiques au coeur tendre par de naifs et mélancoliques alexandrins résumant le quotidien.
Ce bouquin a plusieurs entrées possibles : Histoire, espionnage, témoignages, réflexion sur le totalitarisme et ses excès. Il permet de mieux comprendre ce qu'est la pensée unique, en particulier dans un état socialiste. A l'heure où la gauche populiste et antisémite revendique l'accès au gouvernement en France, lire ce petit essai est bienvenu pour mettre en garde et prévenir. A noter qu'on peut le trouver d'occasion sur Amazon et Rakuten.
Le cercle de poètes de la Stasi, Philip Oltermann, ed. Seuil, autour de 17 euros neuf
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON