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Politique muséale : la location des œuvres d’art

La publication dans Le Monde du 13 décembre 2006 d’un point de vue, de Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dénonçant la politique de location d’œuvres d’art menée par le Louvre, a créé une sorte d’effervescence qui déborde désormais le monde des musées puisque la pétition de soutien au point de vue en question a déjà recueilli plus de trois mille signatures émanant des milieux les plus divers.

Les journaux ont largement fait écho à cette polémique, rappelé que deux des auteurs du point de vue n’ont pas hésité eux-mêmes à monnayer les prêts des œuvres dont ils avaient la charge, la première en tant que responsable de la collection de l’Orangerie, le second comme directeur du musée Picasso. Au-delà de cette polémique, reste une question de fond posée par les trois auteurs qui considèrent que « l’utilisation commerciale des chefs-d’œuvre du patrimoine national » serait moralement choquante.

De prime abord, on ne voit pas très bien ce que la morale vient faire là-dedans. La France - qui demeure la première ou la deuxième destination touristique mondiale - ne fait que cela : commercialiser son patrimoine, sans que personne n’y trouve à redire. Pourquoi les chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture devraient-ils faire exception ? Le débat se situe ailleurs. Au fond, tout le monde est d’accord pour alléger le coût des musées et des monuments dans le budget de l’Etat. D’où les produits dérivés, la location des espaces prestigieux, la diminution du nombre d’entrées gratuites et la fixation du prix du ticket d’entrée à un niveau qui n’est plus symbolique. Le débat porte donc sur autre chose. Les accords en cours aussi bien avec Atlanta (le Louvre), Abou Dhabi (la direction des musées de France) ou Shanghaï (le Centre Pompidou) prévoient la location à des institutions étrangères d’un nombre conséquent de tableaux et d’autres œuvres d’art pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans. Cela n’a rien à voir avec le prêt d’une œuvre pour une exposition temporaire se déroulant à l’étranger.

Or, l’on est bien obligé de constater l’hypocrisie des responsables de la nouvelle politique de location d’œuvres à l’étranger dans les entretiens qu’ils ont accordés aux journaux. Leur principale ligne de défense repose sur l’existence dans les grands musées français d’un stock considérable d’œuvres, sans rapport avec celui des œuvres effectivement exposées (380 000 contre 35 000 au Louvre ; 58 000 contre 1500 à Pompidou...). Cela sous-entend que les musées pourraient faire de l’argent à bon compte en se contentant de puiser dans leurs réserves.

Si tel était vraiment le cas, il n’y aurait évidemment rien à dire. Tout laisse craindre, néanmoins, que les choses ne se passeront pas ainsi. D’abord on imagine mal une institution étrangère qui est prête à dépenser des centaines de millions d’euros (on parle d’au moins 500 millions pour l’opération Abou Dhabi) se contentant des « rossignols » que les musées français ne veulent pas exposer sur leurs cimaises. A propos d’Atlanta, la pétition mentionne ainsi le départ de trois chefs d’œuvre du Louvre (le Jeune Mendiant de Murillo, le portrait de Baldassore Castiglione par Raphaël et une scène célèbre de Poussin, Et in Arcadia Ego).

Dès lors, la question de l’opportunité des locations prend une autre tournure. Il est légitime de redouter que le prestige d’un musée qui se prive de pièces maîtresses de sa collection ne se trouve diminué dans l’esprit de ses visiteurs. Il y a en effet (au moins) deux sortes d’usagers dans un grand musée comme le Louvre : le public des tours operators qui ont inscrit le Louvre à leur catalogue, et celui des véritables amateurs d’art. Le premier se satisfait facilement et - pour peu que la Joconde soit toujours à sa place - les richesses du Louvre, même amputées, seront toujours pour lui amplement suffisantes. En revanche les amateurs sont plus exigeants. Ils viennent certes au musée avec un esprit ouvert et sont prêts à s’extasier devant tel ou tel peintre, tel ou tel tableau dont ils n’avaient jamais entendu parler, mais ils sont surtout là pour découvrir ou redécouvrir les chefs-d’œuvre qui font la réputation du musée. Et ce dernier a le devoir de ne pas les décevoir. C’est donc bien une question de morale (les auteurs de la pétition n’avaient pas tort d’employer le terme), à ceci près qu’ici la morale se confond avec le commerce. Pour garder sa clientèle, le musée se doit de ne pas la tromper sur la marchandise.

On est donc en droit d’attendre des responsables de nos grands musées qu’ils définissent une politique de diffusion des oeuvres cohérente, plutôt que de se retrancher derrière la richesse prétendument inépuisable de leurs réserves.


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2 réactions à cet article    


  • Ar Brezonneg (---.---.13.151) 18 janvier 2007 10:37

    Etant un assidu des musées nationaux, je trouve très dangereux cette volonté de « prêter » pour de très longues durées des oeuvres d’art appartenant à la France.

    En effet, ces oeuvres temporairement alliénées , et donc loin des yeux du propriétaire (la France !), risquent tout simplement de disparaitre : par vol , par sequestration, ou pire par confiscation pour des raisons politiques, ou économiques...

    Imaginons un scenario du type « Argentine » : l’an prochain, le pays plonge dans une crise économique à cause de « la dette », les pays à qui on a prêté des oeuvres de notre patrimoine voudront se rembourser et se paieront su la bête.... Et que pourrions nous faire ? Rien ! car nous n’aurions pas les moyens de les reprendre par la force....

    Non, ce monsieur directeur des musées est un type dangereux car il participe à la spoliation des bien nationnaux... Qu’il se contente donc de les « conserver » plutot que de les « vendre » car telle est sa mission première !


    • Mathieu (---.---.151.196) 18 janvier 2007 18:59

      Salut,

      Je ne vois dans cette affaire des musées que le commencement d’une façon de gérer les affaires publiques en général et le budget de la culture en particulier... mais les autres suivront. C’est l’une des premières conséquences de ce que l’on appelle la LOLF (loi organique sur les lois de finances) : loi préparée par DSK, que Fabius à fait voter en 2001, et qui a été mise en place par les gouvernemants que l’on subit depuis (pour ce qui est du vote, les communistes se sont abstenus à l’AN, ont voté contre au Sénat ; le PS et l’UDF l’ont voté, le RPR s’étant abstenu je crois pour des raisons purement politique puisquil était d’accord avec le principe). Je ne suis pas opposé par principe aux locations de tableaux mais c’est l’arbre qui cache la forêt. La LOLF met en place un système où le fonctionnement se fait par agence comme pour l’agence régional de l’hospitalisation. Un budget global est fixé tant pour le fonctionnement que pour les investissements, après c’est chaque établissement publique qui doit gérer l’argent sous sa responsabilité propre.

      Si par exemple, il arrive à économiser sur le fonctionnement, il pourra faire des investissements. S’il économise sur les investissements, l’EPIC ou l’EPA pourra améliorer le fonctionnement. Mais ensuite il se démerde pour trouver de l’argent en plus : il en découle que les biens artistiques publics serviront logiquement à compléter , voir à remplacer le budget des musées ou autres, par leur location. Ce fonctionnement de nature « privé » est parfaitement assumé par JF Copé lors d’une conférence de presse sur la mise en place de la LOLF en juin 2006 ou 2005. Cela ne favorisera pas du tout l’emploi car il y a un fameux principe dit de la fongibilité asysmétriques des crédits : les emplois sont prévus au budget pour un montant d’équivalent temps plein. Si l’etablissement arrive a faire des économies sur les crédits de personnel, il peut investir ou améliorer le fonctionnement. Mais les économies faites sur les investissements ou le fonctionnement ne peuvent pas servir à payé un emploi... Le louvre,a mon avis, ne fait qu’appliquer ces principes sous couverts d’opération commerciale de prestige.

      Mathieu (34).

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