Politiques inclusives : faut-il confier aux renards les clés du poulailler
Les politiques sociales et médico-sociales vivent actuellement de réformes importantes, au niveau des organisations des établissements et services et au niveau des pratiques professionnelles qui tentent de se mettre en adéquation aux droits et à l’expression des aspirations et besoins des personnes concernées. Dans le domaine de l’accompagnement, notion aujourd’hui consensuelle, il est demandé aux accompagnateurs d’être à l’écoute des besoins et des aspirations des usagers, d’être attentifs au respect et à l’effectivité de la mise en œuvre des droits humains, de ne pas imposer de réponses inappropriées. Dans cet esprit, des recommandations de bonnes pratiques sont mises à disposition, l’offre des services médico-sociaux se renouvelle avec la réforme SERAFIN-PH, et de nombreux outils d’évaluation et de contrôle de l’activité sont en cours d’installation.
Tous ces outils sont censés être mis en place au profit des personnes concernées. Mais c’est oublier les raisons profondes et l’idéologie qui président aux formes que prend cette évolution. Non pas sur l’intention de favoriser une meilleure participation et un meilleur accès aux droits des personnes en situation de handicap, légitimes, mais les raisons qui se trouvent dans les conditions sociales et organisationnelles, et pour tout dire politiques, dans lesquelles les choses se passent. A tel point que parfois « l’usager », et ce qui lui est attaché, ne sert que de prétexte à forcer des évolutions structurelles, à obtenir des résultats performants (économiquement et organisationnellement) sur le terrain.
Car la logique d’accompagnement, celle d’aide à l’inclusion des plus fragiles et des plus vulnérables, avec leurs difficultés personnelles, leurs écarts par rapport à la société que ce soit en termes d’accès aux biens ou à la normalité attendue, leurs différences de rapports et de relations avec les autres, et leurs différences « identitaires », leurs modes d’adaptation aux exigences de leurs environnements, etc. se heurte à une autre logique, une logique d’exclusion, qui préside à l’organisation de cet accompagnement. Cette logique d’exclusion est celle de la société telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, et qui est adoubée par ceux-là même qui mettent en place les dispositifs d’accompagnement, une société d’inégalités croissantes justifiées, de tolérance normale de la pauvreté et de la grande pauvreté, de dispositifs d’appauvrissement et de désaffiliation, de la promotion de la concurrence, de la performance, de l’adaptation, de la flexibilité, de l’agilité, etc.
Comment confier à ceux-là qui promeuvent une telle société, et ses logiques d’exclusion, de concevoir, penser, gérer et mettre en œuvre des dispositifs d’accompagnement dont la logique serait contraire si l’on se donne comme règle de prendre en compte les différences existantes de ces personnes ? Imprégnés de l’esprit du new public management, plus soucieux de rationalisation et de performance ainsi que de réduction des coûts au détriment des préoccupation de bien commun ou d’intérêt général, les promoteurs politiques et les experts technocrates des évolutions en cours font des usagers concernés des variables d’ajustement d’un objectif gestionnaire et managérial.
Comment être attentif à la fragilité, à la lenteur, à la vulnérabilité avec une logique de performance, d’efficacité, d’efficience ou de disruption ? Comment être attentif à la diversité des caractéristiques, des attitudes et des comportements avec une logique de normes, de « bonnes pratiques » hors desquelles rien ne peut être expérimenté sous peine d’être considéré comme déviant et rien n’a de valeur expérientielle, même si cela peut être novateur (il n’y a plus d’innovation que dans les structures, mais plus du tout dans la relation personnelle avec « l’usager ») ? Comment prendre le temps de la relation humaine avec une logique de mise en correspondance d’un catalogue de besoins avec un catalogue de prestations ? Comment être un accompagnateur pour valoriser les rôles sociaux et la participation quand l’usager n’est vu que comme chiffre d’affaires ? Comment viser à l’inclusion et à la participation sociale avec une logique sociale et sociétale de légitimation des inégalités en tolérant la misère, l’extrême inégalité et l’exclusion ? Comment accepter les aléas d’une vie différente dans une logique de performance (on ne peut oublier qu’il existe une Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, dont l’intitulé dit bien la priorité par rapport aux personnes concernées) ?
Penser qu’une telle logique (idéologie) d’exclusion ou de désaffiliation issue d’un pilotage où l’économique et le comptable sont placés au principe de l’action et de l’organisation, qu’une telle logique puisse favoriser la situation des personnes en situation de handicap dans leurs droits et leur émancipation, dans leur inclusion dans la société telle qu’elle fonctionne selon cet esprit néolibéral, c’est penser qu’on peut remettre en toute confiance aux renards les clés du poulailler.
Des transformations nécessaires aux situations de vie des personnes en situation de handicap, il y en a de nombreuses, tant pour celles qui sont accompagnées par les établissements et services que pour celles qui ne sont pas accompagnées : à l’école, dans l’emploi, dans l’accès à la santé, dans l’espace public, dans les transports, pour le logement, pour l’exercice de la citoyenneté. Mais comment viser l’émancipation et l’exercice des droits humains dans une société qui légitime la soumission et le déni de certains droits ?
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