Portrait : L’oiseau sur la branche
Pourquoi cette image de la précarité ? L'oiseau sur la branche n'est-il pas en sûreté ? Quand la branche casse, l'oiseau s'envole. Quand la branche ploie, l'oiseau ploie avec elle. Quand la branche se balance dans le vent, l'oiseau se balance dans le vent avec elle.
Ah ! Que tout précaire soit aussi léger, aussi frugal et aussi libre que l'oiseau !
Mais l'homme a toujours besoin des autres ; il ne peut guère rester longtemps seul, à se débrouiller.
Il y a plein de petits sentiers non battus par des semelles conformes pourtant ; des sentiers que trouvent tous ces gens qui sont contraints d'être malins et imaginatifs ; ils sont jeunes, ils ont la santé, peu importe pour eux d'avoir juste chaud, juste de quoi se nourrir ?
Le fait de n'avoir aucune importance n'est pas important puisque c'est le lot de tout être vivant ; c'est le fait de vivre dans une société qui se donne de l'importance avec ses pontes qui s'attachent à des chimères, qui est difficile. Et surtout que la plupart s'accroche à ce qu'il croit être une bouée alors que ce n'est qu'un boulet qui précipite au fond.
J'ai toujours pensé que la disponibilité était une vertu à nourrir avec attention ; j'ai toujours pensé que l'attention était une vertu à nourrir avec disponibilité. J'ai été comblée- parce que cela préexistait en moi- et influencée- parce que je l'ai intellectualisé- par Huxley. Je pense que cela ne fait aucun doute ! Lui et tous les orientalistes que j'ai lus quand j'étais jeune : Hesse, Krishnamurti, Alexandra David-Neel, les textes du bouddha,etc.
Ma fibre anarchiste et ma position psychologique de non conquérante, parallèlement, m'ont toujours fait considérer le service comme étant un acte gratuit nécessaire à la douceur d'un groupe ; aussi, de ma vie je ne me suis jamais fait payer un service.
L'oiseau sur la branche sait que sa vie dépend de lui, que son sort est entre ses mains, aussi exerce-t-il sa vigilance, pratique-t-il la frugalité, se défie-t-il des addictions, de manière à ne pas trop souffrir si la branche casse : pouvoir reprendre son envol.
L'oiseau sur la branche ne met donc jamais sa vie dans les mains de quiconque : en amour il sait que l'amour n'a qu'un temps, aussi se croit-il obligé d'y mettre fin avant qu'on y mette fin. Il ne met pas sa santé dans les mains de professionnels dont il sait bien qu'ils travaillent à la chaîne, sans écoute réelle, sans souci de sa spécificité et surtout sans compétence pour ce faire ; il fréquente les infréquentables : les ostéopathes, les rebouteux, les magnétiseurs ; il fricote avec la médecine chinoise, pratique le yoga et la respiration bouddhique, s'initie à l'eutonie, apprend tout des plantes qui soignent, se soigne à l'homéopathie, préfère l'argile aux anti-inflammatoires, le sommeil, relaxation et repos aux calmants chimiques. Rien de chimique ne rentre dans son corps : il préfère rien aux graines pesticidées.
L'oiseau sur la branche n'arbore pas des plumes de couleurs voyantes pour qu'on le regarde, le prenne pour un fort ou une idole ; il rase les murs, s'habille sobrement : il faut le regarder de très près pour voir la beauté de son plumage. Son chant est discret, seuls ceux qui le connaissent l'entendent et seuls ceux qui l'aiment l'apprécient.
Parfois il s'est laissé séduire par quelques bancs d'étourneaux, griser par des vols fous ensemble, étourdir par leurs voix et leur langage merveilleux mais vite, avant qu'on ne lui fasse comprendre méchamment, il s'est senti de trop ; il est parti à regret, regardant leur vol passer de temps à autre en pleurant de ne pas en être. À l'un ou l'autre qui serait venu dans l'intention de se l'attacher, il n'a jamais médit de ses amours impossibles. Alors, il a été boudé de tant de manque d'intérêt, irrécupérable et même incorruptible, incapable d' adhérer avec l'un contre les autres !
Il a fait quelques voyages, se laissant porter par les thermiques qui le menaient à l'est ; là des contrebasses sans barrettes, des tampuras de toutes tailles, des gens dont les yeux brillent quand ils jouent et qui acceptent comme une évidence l'autre qui vient vers eux : plus loin encore, Pakistan, Inde, il écoutait les joueurs de flûtes, les chants, il regardait les danses : le rythme des tablas si complexe qui marquent la fin des alaps ; des morceaux longs qui plongent dans un monde nouveau et sublime ; puis de retour, un détour par l'Afrique, quelle frénésie de rythmes ou de mélopées aux accents tristes.
Il se sentit tout pauvre avec son cuicui . Il trouvait ridicules ceux qui imitaient l'Orient, sans l'âme, et perplexe qu'on les applaudît. Mais riche de ce monde nouveau, il voyait le sien d'un autre œil ! Jusqu'au jour où il a appris que là-bas les guerres détruisaient tout. Ses espoirs s'envolaient, son cœur saignait, n'osant plus ses cuicuis frustrants il n'osa plus non plus d'autres accents.
Au fond, l'oiseau sur la branche est un sentimental.
Son territoire est tout petit et il n'a qu'à défendre sa vie, mais bien peu s'intéresse à une existence aussi discrète où il n'y a rien à dérober ; aussi vit-il la plupart du temps en paix. Cela lui laisse le loisir d'observer, de comprendre ce qui donne mouvement aux individus qu'il regarde mais aussi à la société dans laquelle il vit ; beaucoup de choses lui échappe tant lui paraît facile la tempérance mais il sait que celle-ci lui est donnée par sa propre insignifiance : à quoi ressemblerait un piaf qui s'ébouriffe devant un vautour qui ne l'a même pas vu ? Il n'y a que les importants qui s'offusquent et s'indignent, réclament et clament, agressent et vilipendent ! Il voit beaucoup trop de souffrance pour rien mais constate que la vraie douleur ne s'expose pas : l'une et l'autre lui sont inconsolables.
Il n'est pas une oie qui vit son couple pour la vie et meurt esseulée ; il n'est pas un coucou qui n'assume pas ses responsabilités ; il n'est pas une poule qui couve et élève jalousement une famille nombreuse ; s'il lui arrive de faire un nid, il n'y aura qu'un œuf et il aura pris la précaution de s'assurer des relais tant l'idée qu'une vie dépende seulement de lui l'inquiète : sa fragilité consciente lui épargne l'engagement inconsidéré, il ne s'engage que pour de petites choses courtes dont il est sûr de pouvoir les mener à bien ; aussi, sait-il dire « non ». Il préfère le clan, le réseau, à la famille. Il n'est chef de rien. Et quand il éduque, il ne se pose pas comme modèle, il propose, insinue, guide mais protège autant qu'il le peut, son souci sera toujours d'induire l'autonomie. Il possède une grande largeur de vue et explique et commente plus qu'il ne commande. Il n'aimerait pas avoir de remords et quitte à faire, préfère le regret. D'ailleurs beaucoup lui en savent gré parmi ceux qui aiment à se faire écouter.
Quand il se blesse ou quand il est malade, il fait la bête, se replie et se terre et si toutefois on doit le prendre en main, d'abord il se rétracte, craintif, puis s'avisant de la douceur de la bonne intention, il s'abandonne et restent à jamais nichés en lui les bons souvenirs de ces soins, de l'hôpital et de ses soignants.
Un jour viendra pourtant où il saura que c'est la fin ; déjà il se déplume, a moins d'allant, il a la larme à l'oeil à la moindre douceur ou prévenance : c'est qu'il les suscite pense-t-il.
Il n'a jamais eu de mépris pour la volaille, d'admiration pour les grands migrants ni de crainte des rapaces, il les a trouvés beaux, beaux comme le monde, se dit-il avec un emballement du cœur. Et il a vu.
Il a aimé la pluie, le pluie de janvier qui cingle et gèle et le fait rentrer vite ; le crachin qui lisse les pierres et exhale les odeurs. Pinède. Buis en fleurs, aubépine. La conglacine d'avril, comme un relent d'hiver. La pluie sauvage fière et violente qui danse sur les tuiles et fait chanter les chéneaux de zinc. L'orage capricieux qui fait déborder les fossés puis s'en va, confus mais innocent, voir ailleurs. Il a aimé le gris, le gris rose du matin, les mauves du soir, anthracite, métallique, le gris jaune des orages de soufre, l'été, le gris clair et lumineux des stratus, celui des nuages de neige, la nacre des cumulus qui passent comme des grands frères, nous observent et vont vite parce qu'ils veulent tout voir. Tout pousse, tout se réjouit. En début d'été, très tôt le matin, la garrigue se pare de milliers de miroirs scintillant au soleil, enchantement du hasard donné comme un cadeau qui n'attend rien, peut-être une gratitude silencieuse et pour que cette magie renaisse, il retenait son souffle. Il pensait aux humains de tous temps, affolés par tant de beauté si peu perceptible, qu'ils avaient besogné humblement et cette humilité s'étaient fait l'écho d'un monde éternel. Il volait, minuscule, dans ce monde mirobolant pour lui seul éphémère et son cœur se soulevait devant l'impossible possession d'une telle beauté ; les gouttelettes d'eau évaporées, retenues prisonnières de structures légères construites entre les branches des genêts scorpion, des brins de thym ou des hautes herbes sèches, par quelque épeire au ventre chatoyant, rendaient merveilleuse la certitude d'une reconstruction entêtée, toujours recommencée ; c'était des moments de pure joie, les seuls où il trouvait sa place et il devinait l'éternité en s'éloignant du monde temporel des hommes.
Un soir de printemps peut-être, quand la lumière est chaude de contrastes, il partira, gonflant ses poumons d'air jusqu'à en éclater ; il tombera doucement sur la mousse, lentement, il pensera qu'il n'a rien fait mais peut-être pas de mal et laissera un squelette aussi léger qu'une plume...
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