Portraits troublants : Nikita Mikhalkov, acteur russe et producteur, devenu un des meilleurs réalisateurs au monde
Une bouille de nounours, malgré un bon 1m85, une timidité trompeuse, cachée sous une épaisse moustache grise à la Brassens, une casquette de marin, un charisme hallucinant et une sensibilité à fleur de peau : tel pourrait être la description de Nikita MIKHALKOV, 68 ans, issu d'une longue lignée d'artistes russes, ami intime de Vladimir Poutine, patriote du fond de l'âme.
J'ai eu la chance de croiser ce grand Monsieur à l'occasion d'une partie du tournage de son nouveau bébé, qui se veut l'apothéose de sa carrière : "Sunstroke", sortie en Russie fin 2014, et prétendant aux Palmes d'Or du festival de Cannes 2015. Il n'avait pas loué le lac Léman, mais presque... : 3 bâteaux vapeur de la belle époque, 1 barge pour les prises de vue, un hélicoptère, un train vapeur d'époque, plus de 300 figurants suisses ou français engagés et (bien) payés, 2 villages du bord du Léman transfigurés, repoussés 100 ans en arrière, déguisés par des artistes des décors étonnants en débarcadères et en villages russes, Nikita n'a pas fait les choses à moitié.
Il se tourne très peu de films à l'ancienne, grandeur nature, comme l'a fait ce réalisateur de génie : en général, tout n'est que maquettes, illusions, effets spéciaux. Pas ici. Même les noms des bateaux-vapeur belle-époque du Léman ont été rebaptisés en lettres d'or pour l'occasion. Sont venus de Russie et d'Angleterre plusieurs semi-remorques de costumes d'époque, de matériel divers, d'accessoires (cannes, éventails, etc.), et surtout une équipe de tournage formidablement sympathique.
Nikita MIKHALKOV fait partie, comme moi-même, de ceux qui ne comprennent pas l'hermétisme de la France, voir de l'Europe, aux russes. Pourtant, nos parcours scolaires sont autant balisés de Tchekhov que de Victor Hugo, autant de Soljenitsyne que de Zola, autant de Tchaïkovski que de Beethoven, sans parler des dizaines d'autres auteurs ou compositeurs russes dont la liste seule est impressionnante (Prokofiev, Stravinski, Rachmaninov, Rubinstein, Moussorgsky, etc. pour les compositeurs, Alexandre Pouchkine, Fiodor Dostoïevski, Boris Pasternak, Ivan Tourgueniev, Léon Tolstoï, etc. pour les auteurs).
"Quand on vous a vus agir comme vous avez agi – réintégrer l'OTAN, par exemple –, nous nous sommes demandé : « Pourquoi ? » Puis est venu le stade de la rancoeur : « Pourquoi continuer à aimer des gens qui se fichent à tel point de nous ? » En dernier lieu, on s'est juste dit : « En quoi ces gens qui ne nous aiment plus nous sont-ils utiles ? » Mes propos vont me rendre très impopulaire, je sais, mais enfin, vous autres, les Européens, vous êtes des peuples de vieux, assis sur vos gros culs dans des fauteuils tout mous et vous donnez des leçons aux autres... Soyons cyniques jusqu'au bout : qu'avons-nous à gagner avec vous ? Des terres ? Non ! Du pétrole ? Même pas ! Du gaz ? C'est nous qui l'avons et pas vous ! Qu'est-ce qu'il vous reste, en France ? Votre gastronomie, géniale. Votre culture, magnifique : Orsay, le Louvre... L'Europe est un musée. Qu'elle le reste. L'énergie, aujourd'hui, vient de l'Inde, de la Chine, demain de l'Afrique... C'est avec eux désormais que la Russie va traiter". N.M.
Anti-américains ? Pas forcément. Nikita MIKHALKOV est le frère du réalisateur Andreï Kontchalovski, dont les réalisations hollywoodiennes les plus populaires sont "Runaway Train" en 1985 et "Tango et Cash en 1989, avec Sylvester Stallone et Kurt Russell. Kontchalovsky est retourné s'établir en Russie dans les années 1990, tout en continuant à produire des films historiques pour la télévision américaine ("L'Odyssée" en 1997, "Le Lion en hiver", en 2003).
Nikita MIKHALKOV n'en est pas à son coup d'essai, loin de là : avec "Soleil trompeur", achevé en 1994, (dont l'action se déroule pendant les Grandes Purges des années 1930 et dans lequel il se met en scène auprès d'Oleg Menchikov et de sa jeune fille Nadedja Mikhalkova), le réalisateur obtient le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 1994, et l' Oscar du meilleur film étranger en 1995. Son film "12" est un autre de ses succès. Il y dénonce l'antisémitisme qui règne en URSS, la xénophobie, le racisme... :
"Ces tares, je les ai toujours dénoncées, que ce soit dans Cinq Soirées ou dans La Parentèle. Je suis dur avec mon pays parce que je l'aime. Mes compatriotes le sentent : dans le film, je joue l'un des douze. Mais je suis chacun d'eux : le libéral, le juif, le médecin... Et je ne les regarde pas de haut. La Russie a connu une crise grave. Et elle commence à s'en relever. Ce pays, je l'ai parcouru de fond en comble – contrairement à certains dirigeants qui croient le connaître parce qu'ils vont de Moscou à Saint-Pétersbourg. L'élite russe, ou dite telle, c'est un petit théâtre de marionnettes. Je ne peux plus supporter ces supposés intellos qui discutent entre eux de problèmes qui les concernent. Les Russes les appellent : « Hé, on est là ! Ecoutez-nous un peu ! » Mais personne ne les entend... Bien des peuples se demandent : « Comment vivre ? » et c'est logique. Mais la seule question qui a toujours intéressé les Russes, c'est : « Pour quoi vivre ? » Et ça explique toutes les incompréhensions et les malentendus qui peuvent exister entre nous et l'Occident". N.M.
Nikita MIKHALKOV n'est pas complaisant y compris avec les dirigeants de son pays. Il a été régulièrement ennuyé par la censure soviétique. Ses films sont toujours emprunts de cette sensibilité exacerbée, ce romantisme que seuls les russes ont su garder, radicalement opposé à la violence gratuite à tout prix de la majorité des films américains.
Si après avoir regardé les liens de cet article, les russes ne vous sont toujours pas sympathiques, alors je ne sais plus quoi vous dire...
Gilles SONDEREGGER
- Nikita MIKHALKOV
- Nikita MIKHALKOV, au « Bouveret », village suisse transformé en village russe des années 1900...
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