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Accueil du site > Tribune Libre > Postures et imposture... à quand la rupture ?

Postures et imposture... à quand la rupture ?

La posture est une maladie française endémique. Sur la scène du théâtre de la démocratie hexagonale, chacun a pris l’habitude de camper son rôle avec fougue et éloquence ; arc-bouté sur sa posture, chacun s’ingénie à faire porter le chapeau à l’Autre, en déplorant son « immobilisme » et sa position « idéologique », préférant le cloisonnement à l’échange, la polémique au débat.

Tout est grand dans la posture : grands concepts, grands mots, grands personnages ; des « droits de l’homme » par ci, des « Lumières » par là, et que je te mets du « 1789 » ou de « la grandeur de la France » dans la face, sans oublier évidemment de faire référence aux grands hommes (...la patrie reconnaissante !).

La Posture, majestueuse et grandiloquente, rechigne à s’abaisser au niveau des citoyens pour discuter du fond et du concret. Et quand elle le fait, elle parle moins des idées que des personnes qui les portent, les débats se réduisant alors à des querelles d’ego et de quéquettes (« qui a la plus grosse ? »).

La confrontation des postures, mélange explosif d’incompréhension, de parano et de dénigrement réciproques, finit ainsi souvent en queue de poisson... au grand dam des Français !

*

Une posture classique et très actuelle est celle qui veut opposer secteur privé au secteur public, marché à État. Elle affirme, plus ou moins explicitement, que ce qui est public est archaïque, inefficient et donc à réduire, alors que ce qui est privé est moderne, efficace et donc à développer.

Les difficultés récurrentes des derniers gouvernements français avec le mouvement des chercheurs mettent bien en lumière le caractère artificiel et stérile de cette posture.

Cette dernière se heurte en effet dans ce domaine de la recherche à une contradiction profonde : d’un côté, on voudrait, dans un souci d’économie, réduire le coût des chercheurs du secteur public dont beaucoup sont fonctionnaires et dont l’utilité économique ne se mesure souvent qu’à moyen et long terme, voire plus ; de l’autre, la recherche étant « le fondement de la compétitivité et de la croissance de demain » (Amen !), il faudrait augmenter massivement ses moyens, notamment ceux de la recherche publique fondamentale, celle qui n’est pas rentable à court terme mais qui peut aboutir à des ruptures technologiques importantes (« ceux qui ont découvert l’électricité ne cherchaient pas à améliorer la bougie »), les seules qui permettront demain de se différencier et d’exister face à des puissances industrielles et technologiques montantes comme la Chine et l’Inde...

D’une certaine manière, les chercheurs ont été pour ces gouvernements à la fois leur meilleur allié objectif (source de croissance) et leur pire ennemi subjectif (salauds de fonctionnaires !). Pas étonnant que les décideurs publics aient été effectivement bien emmerdés et n’aient pas su comment s’y prendre : un gros coup de bâton, un petit coup de carotte ; un petit coup de bâton, un gros coup de carotte... Au final, la France est infoutue de mettre en place une politique de développement de la recherche à la hauteur des enjeux.

Paradoxalement, les États-Unis - soi-disant « patrie du libéralisme » - sont sur ce sujet beaucoup moins dans la posture : ils ont depuis longtemps compris le rôle stratégique de la recherche et y investissent massivement de l’argent public.

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Une autre posture bien répandue consiste à opposer croissance économique et redistribution sociale (l’ensemble des aides et prestations sociales financées par des impôts ou des cotisations).

Il est de bon aloi à présent de considérer que ce qui est bon pour le social est forcément mauvais pour la croissance, voire même l’inverse : ce qui est mauvais pour le social est potentiellement bon pour la croissance ! Amis masochistes, welcome !

Dit plus crûment : s’il n’y a pas assez de croissance et d’emplois, c’est de la faute des personnes fragiles, en difficulté, âgées, dépendantes, etc. et du coût de leur « assistance »... Il faudrait ainsi fortement alléger le « fardeau » des dépenses sociales pour le bien de la croissance qui, comme chacun sait, amène la paix et la félicité partout où elle passe... (Amen !)

Cette opposition entre croissance et redistribution est plus idéologique que raisonnée. Pas besoin d’être économiste pour s’en rendre compte, de simples constats suffisent.

D’abord, une redistribution limitée n’est une condition ni nécessaire, ni suffisante de la performance économique. Ainsi, les dépenses sociales publiques deux fois plus élevées au Danemark et en Suède qu’aux USA1 n’empêchent aucunement ces pays scandinaves d’avoir des taux de chômage et de croissance n’ayant rien à envier à ceux des américains.

De plus, la réduction des dépenses sociales est loin de garantir la stimulation de l’économie : l’Allemagne en sait quelque chose, elle qui pendant l’ère Schröder a mis en œuvre des réformes draconiennes de ce type, sans pour autant renouer alors avec la croissance ou l’emploi.

Il semblerait en outre que cela soit moins le caractère « social » que « public » (et donc mutualisé) de ces dépenses qui suscite leur stigmatisation. Sinon, pourquoi parle-t-on si peu des dépenses sociales privées ?

Tout se passe comme si une dépense publique était par essence suspecte, au contraire des dépenses privées, forcément justifiées, quelle que soit leur nature ! On va reprocher aux gens de trop consommer de médocs s’ils sont remboursés par la Sécu, mais motus et bouche cousue quand ils les paient de leur poche...

Pourtant, fait peu connu et néanmoins remarquable, la somme des dépenses sociales publiques et privées nettes est du même ordre - autour d’un quart du PIB - pour de nombreux pays de l’OCDE aux politiques pourtant très différentes (Royaume-Uni, USA, Australie, Canada, Belgique, Autriche, Danemark, Pays-Bas, Italie,...)2.

Ce qui signifie que les besoins sociaux sont similaires d’un pays à l’autre (c’est rassurant !) mais que c’est la manière d’y répondre qui varie. Ce qui signifie aussi et surtout que comparer uniquement le niveau des dépenses sociales publiques brutes, en faisant abstraction à la fois de celui des dépenses sociales privées et de l’impact du système de fiscalité, n’a que peu de sens (c’est pourtant l’approche qui domine  !)... D’autant plus que les dépenses privées tendent à croître au détriment des dépenses publiques, perçues comme ringardes, déresponsabilisantes et inefficaces... (à tort d’ailleurs3).

Si la croissance est à n’en pas douter très utile pour financer les dépenses sociales (pour pouvoir distribuer des richesses économiques, il faut déjà les créer !), ces dernières sont aussi un moteur à part entière du développement économique : en améliorant la santé, la formation et le bien-être de la population active ; en créant des emplois pour répondre aux besoins sociaux ; en soutenant la demande par l’augmentation du pouvoir d’achat des (nombreux...) ménages modestes.

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Croissance et redistribution ne sont donc pas antinomiques mais complémentaires. Cette complémentarité se retrouve aussi dans les objectifs qu’elles poursuivent. La finalité de la croissance est économique alors que celle de la redistribution est sociale et politique, liée à un choix de société où égalité et solidarité ne sont pas des mots creux, un choix de société où, en fin de compte, on vit mieux ensemble.

Car quel que soit le taux de croissance, il n’y a pas de réduction durable des inégalités socio-économiques et de lutte efficace contre la pauvreté sans redistribution (pour peu bien sûr qu’elle soit menée efficacement, ce qui en France n’est pas vraiment le cas).

Le « rapport Hirsch » La nouvelle équation sociale ne dit pas autre chose : « Il n’y a aucun pays de l’Union européenne qui ait pu réduire la pauvreté avec un niveau de dépenses sociales faible4. » Même écho dans le rapport Unicef La pauvreté des enfants dans les pays riches 2005  : « Aucun pays de l’OCDE consacrant 10 % ou plus du PIB aux dépenses sociales n’a un taux de pauvreté des enfants supérieur à 10 %. Et aucun pays consacrant moins de 5 % du PIB à de telles dépenses n’a un taux inférieur à 15 %5.  » Implacable.

Ce constat peut aussi être illustré par la comparaison entre États-Unis et pays scandinaves, les premiers dépensant deux fois moins (en % du PIB) d’argent public pour le « social » que les seconds. Ainsi, aux USA, les 10 % les plus riches ont des revenus plus de seize fois supérieur aux 10 % les plus pauvres, soit un ratio trois fois plus élevé qu’au sein des pays scandinaves6.

Même observation sur le niveau de pauvreté  : au classement de l’indice de pauvreté humaine et salariale « IPH-2 » du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), indice qui mesure spécifiquement le niveau de pauvreté dans les pays riches, les pays scandinaves sont premiers (ils ont l’indice le plus bas) et les États-Unis bons derniers7... Idem avec la pauvreté des enfants : dans le classement établi par l’Unicef pour les pays riches, les pays scandinaves ont le taux le plus bas tandis que les USA sont avant-derniers (avant le Mexique) avec un taux cinq à dix fois supérieur8, cet écart s’expliquant notamment par le différentiel de dépenses sociales publiques.

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Bon, j’arrête là le massacre, j’en entends déjà maugréer que je caricature, que je retiens volontairement les chiffres les plus négatifs ou que je me lance dans une sempiternelle rengaine anti-américaine...

Dieu sait pourtant que j’aurais pu continuer encore longtemps tant il me reste de chiffres dans ma besace (sur le niveau de santé, la qualité de l’emploi, l’égalité hommes-femmes, le niveau d’endettement, le taux d’incarcération, le taux de pollution,...).

Des chiffres qui témoignent d’une part, du décalage objectif entre la réussite économique des USA et sa réalité sociale9 et d’autre part, de la possibilité de vivre bien mieux dans d’autres pays sans sacrifier pour autant la performance économique.

Pour autant, loin de moi l’envie de piquer une crise d’anti-américanisme primaire : les USA sont une grande Nation, a Nation of joiners, personne de sensé ou de bonne foi ne peut le nier. Ce qui me turlupine, c’est plus notre position vis-à-vis d’eux : depuis grosso modo l’effondrement de l’URSS et la chute du Mur de Berlin, les États-Unis apparaissent comme le must, The modèle de référence à copier ou même à... copier-coller  ! À l’inverse des Français et plus généralement des Européens continentaux, spécialistes de l’autodénigrement et de l’autoflagellation, les USA sont très bons pour vendre leur modèle (pour le « marketer » diraient les professionnels du télé-achat)10.

Mais si ce modèle américain se caractérise par une forte efficacité économique, il s’accompagne aussi d’une toute aussi forte « inefficacité sociale »... si je peux oser ce barbarisme ! Accroître activement son PIB ne suffit pas à faire société (même si cela peut bien sûr y aider) : à quoi ça sert d’avoir une économie qui marche du tonnerre, si à côté on n’est même pas foutu de bien vivre ensemble ? Si l’exclusion, la pauvreté et les inégalités perdurent et même progressent ? Le modèle américain n’est donc pas la panacée, l’apothéose de modernité, l’horizon unique et indépassable vers lequel tous les pays devraient tendre.

Pour paraphraser la célèbre formule thatchérienne : there are alternatives11  ! Comme par exemple celles (ce ne sont pas les seules) des pays scandinaves qui savent combiner performance économique et bien-être social, grâce notamment à une redistribution importante.

La France, elle, réussit l’exploit peu glorieux d’allier un haut niveau de dépenses sociales publiques, un chômage élevé et des inégalités persistantes. Beaucoup en concluent que le remède consiste évidemment à réduire les dépenses sociales qui seraient la source de tous nos problèmes. Pourtant, à la lumière de ce qui précède, il ne semble pas que cela soit la redistribution en tant que telle qui soit en cause  : elle est indispensable pour assurer la « cohésion sociale » et pour éviter de sombrer dans une société du chacun pour soi où comme l’a dit Luis Rego dans un sketch fameux, « nous serions tous unis les uns contre les autres » ; elle n’est pas « l’ennemi » de la croissance, elle permet même de la soutenir et de la nourrir.

Ce qui devrait faire question en France, c’est plutôt l’efficacité de la redistribution, c’est-à-dire ses modalités et ses mécanismes de fonctionnement qui eux pourraient être grandement améliorés.

Mais la « posturemania » rend difficile une telle démarche : en France, on est soit « pour » soit « contre » les dépenses sociales publiques, mais posture oblige, on ne discute que rarement du «  comment »...

*

Cette omniprésence de la posture est pour le moins paradoxale : alors que jamais autant d’analyses n’ont été produites et accessibles à qui le veut, les débats politiques et médiatiques demeurent souvent simplistes.

Tu es pour Bush : tu es impérialiste ; tu es contre : tu es anti-américain. Tu es pour le traité constitutionnel européen  : tu es ultralibéral ; tu es contre : tu es anti-européen. Tu es pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne : tu soutiens les islamistes ; tu es contre : tu es xénophobe. Tu es pour l’OMC : tu es un suppôt des multinationales ; tu es contre : tu es un obscurantiste bolchevik, etc. On étouffe là-dedans ! Le doute, la nuance et la complexité ne sont pas de mise. Toute pensée politique doit pouvoir être exprimée en moins de trente secondes ou de trois phrases, spectacle médiatique oblige !

Dans ce contexte, le « débat » se réduit alors fréquemment à des questions fermées de type « pour » ou « contre ». Cette dérive est accentuée par le rôle prépondérant des sondages qui instaurent une sorte d’état de référendum permanent.

Tout cela est d’autant plus foireux que la prise de position « pour ou contre » se fait souvent sur des concepts fourre-tout aux contours approximatifs : pour ou contre la mondialisation, pour ou contre le capitalisme, pour ou contre la croissance, pour ou contre le travail, pour ou contre les services publics, pour ou contre le « modèle social français », pour ou contre la discrimination positive, etc.

Ces termes génériques sont en effet des contenants élastiques, à géométrie variable, où chacun y met un peu ce qu’il veut, en fonction de ses connaissances, de son expérience et de la mode du moment, rendant improbable l’hypothèse d’échanges sérieux et constructifs.

Mais peut-être que si l’habitude a été prise de s’étriper sur les « contenants », c’est justement pour éviter d’avoir à débattre des contenus, c’est-à-dire du fond, du réel. Ce qui conduit aussi parfois à un grand décalage entre le contenu objectif d’un terme et son utilisation concrète.

Marx a dit ironiquement (à la fin de sa vie) qu’il n’était pas « marxiste », pour souligner, de manière assez prophétique, le décalage entre sa pensée et l’usage qui pouvait en être fait...

Autre exemple avec le mot « communisme ». Ainsi, la Suède est incontestablement l’un des pays les plus avancés dans la mise en œuvre des idéaux communistes (« de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ») alors que le courant politique « communiste » y a toujours été marginal12. A contrario, en Chine, pourtant gouvernée par le « Parti Communiste », non seulement on pratique un capitalisme d’État féroce, mais en plus, la redistribution est très limitée. De quoi perdre son latin... Par ailleurs, quand l’affrontement ne met pas en jeu des concepts flous et pompeux, il porte souvent sur des questions qui prennent les problèmes par le petit bout de la lorgnette : « pour ou contre le voile à l’école » en est, sans mauvais jeu de mot, un cas d’école13...

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Cette maladie de la posture cache en fait une grande... imposture qui est du reste un secret de Polichinelle. Il s’agit de la quasi-absence de représentativité et de légitimité de ceux qui sont supposés défendre nos intérêts et agir pour notre bien, à nous les grouillots de base.

La posture veut cacher l’imposture comme une fille qui aurait honte de sa mère : n’étant pas légitimement porteur de la voix des citoyens, la tentation est grande, dans une sorte de fuite en avant, de compenser ce manque par de la gesticulation, de la démagogie et de la surenchère - en un mot, par de la posture.

Si ce décrochage entre représentants et représentés n’est pas nouveau (et régulièrement remis au goût du jour pour être mieux oublié ensuite...), il s’est cependant notablement renforcé ces 25 dernières années. Le nombre d’adhérents dans les grands partis politiques a ainsi été divisé par deux en 25 ans14. Aucun parti en France ne dépasse plus les 350 000 adhérents. De même, le taux de syndicalisation est tombé à environ 8 % (5 % dans le privé !), soit deux fois moins qu’il y a 25 ans15. Alors que la CGT comptait en 1945 près de 5 millions de membres, soit pratiquement un salarié sur deux16, aucun effectif syndicat n’excède plus de nos jours le million d’adhérents. Autre symptôme de cette crise de la représentativité : la trop forte homogénéité socio-culturelle des « professionnels de la profession » politique qui sont majoritairement des hommes, « blancs », de plus de 50 ans, fonctionnaires ou professions libérales17...

Un bon contre-exemple de la France est donné par la Suède qui est en quelque sorte le pays de l’anti-posture (qu’il ne faut évidemment pas pour autant idéaliser). D’après Stéphane Boujnah, auteur d’une étude remarquée sur le modèle suédois, il existe dans ce pays « un sentiment généralisé selon lequel la décision publique est l’aboutissement d’un processus rationnel. La méfiance des Suédois pour le romantisme politique ou pour les idéologies lyriques a pour corollaire une obsession de la rationalité. On mesure le problème, on analyse les options, on pèse les alternatives, on consulte tout le monde, on atténue l’effet prévisible de la décision sur les minoritaires et l’on met immédiatement en œuvre sans revenir en arrière. Telle est la perception du processus de décision politique pour un très grand nombre de Suédois18. »

Le principal parti de gouvernement suédois, le parti social-démocrate, est puissant (ramené à la population française, il correspondrait à un parti socialiste d’un million d’adhérents...), tout comme LO, le syndicat le plus important (un syndicat français équivalent en taille compterait 13 millions d’adhérents...). De plus, le Parlement suédois (le Riksdag) a une composition bien plus représentative de la population que l’Assemblée nationale française, que ce soit en termes de sexe, d’âge, d’origine ethnique, géographique ou professionnelle.

Est-ce alors un hasard si la Suède, confrontée à de graves problèmes de chômage et de déficit public au début des années 90, a réussi, en une décennie, à surmonter ses difficultés sans remettre en cause son principe fondamental de redistribution ?

Probablement pas. On conviendra en effet aisément que plus les partenaires en charge de discuter, de négocier et d’appliquer les réformes sont représentatifs, crédibles et inspirent confiance, plus les solutions retenues auront la chance d’être efficaces, conformes à l’intérêt général et soutenues par une majorité de la population.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on en est encore loin en France où comme le pointe avec humour Göran Persson, ancien Premier ministre suédois emblématique, « on fait plus facilement la révolution qu’on ne réforme19 ».

La France gagnerait ainsi à apprendre de la Suède ; moins de ses réformes (s’inspirer de ce qui marche à l’étranger peut être utile, mais face à ses défis, chaque pays se doit d’inventer des solutions spécifiques à sa tradition, son histoire et sa culture) que de la façon dont elles sont réfléchies, construites et mises en œuvre - bref de son discours de la méthode20.

*

Le résultat du référendum du 29 mai 2005 et l’explosion des banlieues quelques mois plus tard ont remis (temporairement ?) sous les feux des projecteurs l’ampleur du « fossé entre peuple et élites » et l’imposture des « professionnels de la responsabilité » sur le plan de la représentativité et de la légitimité.

Tels des dommages collatéraux, la nécessité et la volonté de rupture ont alors fleuri dans tous les discours politiques, aussi bien à droite qu’à gauche ou au centre.

L’avenir nous dira si cette promesse de rupture sera tenue ou si elle n’était en fait qu’une énième... posture !

Amazir Zali

_______________

1 Les dépenses sociales publiques représentent 14,8% du PIB aux USA contre 29,2% au Danemark et 28,9% en Suède. Source : OCDE, Panorama de la société. Les indicateurs sociaux de l’OCDE, 2005.

2 OCDE, Panorama de la société, Les indicateurs sociaux de l’OCDE, 2005.

3 Exemple : pour l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le système de santé français, (encore) essentiellement public, est globalement le plus performant du monde ; le système des USA, majoritairement privé, est lui classé 37ème. Et en plus d’être plus efficace que celui des américains, le système français est également moins coûteux : moins de 10 % du PIB en France contre 14 % aux USA. Source : OMS, Rapport sur la Santé dans le monde 2000, pour un système de santé plus performant. Rapport disponible sur http://www.who.int/fr/.

4 Rapport Hirsch, Au possible nous sommes tenus, la nouvelle équation sociale, 15 résolutions pour combattre la pauvreté des enfants, avril 2005. Rapport disponible sur http://www.ladocfrancaise.gouv.fr.

5 À l’exception du Japon où les transferts sont en pratique probablement considérablement plus élevés du fait que l’aide sociale est dans certains cas fournie par les employeurs. Source : Unicef, Rapport sur la pauvreté des enfants 2005. Rapport disponible sur http://unicef.fr.

6 Rapport de 5,4 en Suède, 5,7 au Danemark, 5,3 en Norvège, 5,1 en Finlande. Source : Jean Gadrey, Socio-économie des services, La Découverte, 2003. L’OCDE dresse un constat similaire à travers l’évaluation du coefficient de Gini, indicateur qui mesure le niveau d’inégalité dans la répartition des revenus (plus il est élevé, plus les inégalités sont fortes). Voir OCDE, Panorama de la société, Les indicateurs sociaux de l’OCDE, 2005. Autre exemple de l’inégale répartition des richesses aux USA : 50% du surcroît de richesses créées aux États-Unis entre 1983 et 1998 a bénéficié au % des ménages les plus aisés, et 90% de cette même richesse aux 20% des ménages déjà les plus favorisés (parmi les plus aisés). Source : travaux de l’économiste américain Edward Wolff (qui parle « d’un retour à Marie-Antoinette »), cités par Jean-Paul Fitoussi dans La démocratie et le marché, Grasset, 2004.

7 L’IPH-2 mesure la pauvreté dans les pays riches de manière plus spécifique, plus exhaustive, plus complexe (et donc plus proche de la réalité) qu’un simple indicateur de « pauvreté monétaire ». Voir Rapport mondial pour le développement 2004, PNUD. Rapport disponible sur http://hdr.undp.org/reports/global/2004/francais/.

8 Danemark 2,4 %, Finlande 2,8 %, Norvège 3,4 %, Suède 4,2 %, États-Unis 21,9 %. Source : Unicef, Rapport sur la pauvreté des enfants 2005, op. cit.

9 Sur le sujet de la « dérive » du modèle américain, voir (entre autres) Paul Krugman, L’Amérique dérape, Flammarion, 2004 et Emmanuel Todd, Après l’Empire : essai sur la décomposition du système américain, Gallimard, 2002.

10 Sur ce sujet (optimisme américain, pessimisme voire masochisme européen et réalité de la situation), voir Jeremy Rifkin, Le rêve européen, Fayard, 2005.

11 Voir Bruno Amable, Les cinq capitalismes, diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Seuil, 2005. Dans ce livre, l’auteur met en évidence cinq types de capitalisme : libéral de marché (Australie, Canada, Royaume-Uni, USA) ; asiatique (Corée du Sud, Japon) ; européen continental (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Irlande, Norvège, Pays-Bas, Suisse) ; social-démocrate (Danemark, Finlande, Suède) ; méditerranéen (Espagne, Italie, Grèce, Portugal). Chacun de ces modèles a en fait sa légitimité, son histoire et sa propre cohérence, ses avantages et ses inconvénients. Ainsi, il n’existe pas un modèle unique de capitalisme (en l’occurrence le modèle libéral) qui serait « meilleur » que les autres et vers lequel devraient tendre tous les pays capitalistes. En particulier, le modèle social-démocrate, qui peut être aussi performant économiquement que socialement, représente une réelle alternative pour la France comme pour l’Europe.

12 «  Aucune société n’est probablement allée aussi loin dans le collectivisme librement consenti. En Suède, point de révolte des smicards contre les Rmistes. L’immense majorité de la population ne conteste pas le niveau élevé des prélèvements obligatoires, ni le niveau élevé des transferts sociaux, car chacun se perçoit comme un bénéficiaire en puissance du système. » Extrait de Stéphane Boujnah, L’inoxydable modèle suédois, du modèle de société au modèle de gouvernement, 2002. Étude disponible sur http://www.entempsreel.org.

13 En effet, la question du voile à l’école n’est qu’une des multiples facettes d’un sujet plus global, celui de la place des Français « issus de l’immigration » dans la société hexagonale. Or, ce sujet ne peut être traité de manière parcellaire, et surtout pas à travers le seul prisme du foulard, prisme aussi médiatique que réducteur

14 Le nombre de militants dans les grand partis politiques est passé de 900 000 en 1980 à environ 450 000 aujourd’hui (1% des électeurs). Chiffres officiels cités par Enjeux/Les Échos, Juillet-Août 2005.

15 Dares, Mythes et réalités de la syndicalisation en France, octobre 2004.

16 Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, La CGT, organisation et audience depuis 1945, La Découverte, 1997.

17 Une analyse sociologique de l’Assemblée issue des législatives de 2002 donne des éléments de réponse cinglants : 1,6 % seulement d’employés et d’ouvriers (57 % des actifs), 36 % de fonctionnaires (14 % des actifs), 20,5 % de professions libérales (2 % des actifs) dont presque 7 % d’avocats (0,15 % des actifs), 12,3 % de femmes, 75 % de plus de 50 ans, moins de 6 % de moins de 40 ans et aucun député d’origine africaine... Bref, une photographie très fidèle de la société française... d’en haut ! Source : Nicole Catzaras et Mariette Sineau, « Douzième législature : quel renouvellement du personnel parlementaire ? », Le Bulletin Quotidien, n°7371, 07/02 (étude citée par le mensuel Alternatives Économiques, avril 2005).

18 Stéphane Boujnah, L’inoxydable modèle suédois, op. cit.

19 Cité dans Magnus Falkehed, Le modèle suédois, Petite Bibliothèque Payot, 2005.

20 D’aucuns diront qu’on ne peut comparer un « grand pays » comme la France avec un « petit pays » comme la Suède. Pourtant, ces deux pays sont bien plus proches qu’on pourrait le croire, comme le souligne Stéphane Boujnah : « [...] très peu de nations européennes partagent tout à la fois un sentiment d’appartenance national fort conduisant parfois à des réflexes souverainistes, la conviction d’être porteur d’une voie morale universelle, source d’enseignement pour les autres peuples, une aspiration à préserver une certaine cohésion sociale grâce à un appareil redistributif puissant et enfin un attachement fort au rôle de l’État dans la construction européenne. Ces valeurs, même lorsqu’elles s’expriment à des degrés divers, fondent les identités politiques des deux nations. » Extrait de Stéphane Boujnah, L’inoxydable modèle suédois, op. cit.


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4 réactions à cet article    


  • levoisin (---.---.84.11) 3 avril 2007 13:21

    Bon article, mais je perd un peu le fil vers la fil car je ne vois pas où l’auteur veut en venir. A la limite, cet article illustre pratiquement l’attitude de « posture » de la part de l’auteur lui-même.

    Attention aussi aux clichés pour justifier son point de vue : « ceux qui ont découvert l’électricité ne cherchaient pas à améliorer la bougie », mais ceux qui ont découvert l’ampoule, si.


    • Blablabla (---.---.120.246) 4 avril 2007 06:38

      Vous dites : « La méfiance des Suédois pour le romantisme politique ou pour les idéologies lyriques a pour corollaire une obsession de la rationalité ».

      Ca s’appelle consensus politique, avec dans le cas de la Suède une large participation de la population.

      S’il n’y a pas de rupture, de fossé, entre les gens de pouvoir et la population comme en france, avec à la clé des solutions de société, c’est que la Suède n’a pas suivi l’exemple français en matière d’immigration.

      Non que la population freinerait l’immigration si elle était consultée sur ce sujet, c’est plutot un sentiment national très fort qui unit les classes suédoises.

      La france terre d’accueil, adorée des suédois eux-mêmes, a raté son histoire et n’a pas rendez-vous avec le consensus à la suédoise.


      • (---.---.1.1) 4 avril 2007 15:38

        Article très intéressant, même si j’ai crains un instant qu’il retombe dans le lieus communs (mais vous l’avez senti et vous avez rectifié).

        Ce que vous dites avec, finalement, beaucoup de clarté apparaît tellement vrai que nous ne sommes que 3 a déposer un commentaire. Votre article n’est pas polémiste, et cherche à s’éloigner de la « posture » justement, il est même critique pour nous autres Français, et il n’attire donc qu’un faible nombre de gens. Il exprime en tous cas ce que je ressens depuis longtemps maintenant, et qui me met dans une grande colère.

        Vous êtes aussi un des rares à avoir l’intelligence de comparer notre situation avec le modèle Suèdois.

        Je n’ai que des compliments à vous faire. Alors merci encore pour cet article. J’espère vous relire bientôt.


        • Emile Red Emile Red 8 avril 2007 10:55

          Que n’ais je vu cet article avant, dans le fouillis de la une d’AV.

          Je suis complètement envouté par votre démonstration qui est exactement celle que j’aurai aimé faire si j’avais eu un esprit moins volatile.

          J’espère avoir bien compris, en tout cas la démonstration que vous faites de la rationalité Suédoise démontre que c’est cette même rationalité que les Français refusent systématiquement parcequ’elle va à l’encontre de tant d’idéaux différents dont ils ne peuvent se libérer.

          En tout cas je vous félicite avec une petite parenthèse, les USA (et je ne suis pas un anti-américaniste primaire) n’ont pas réellement la croissance supposée puisqu’entièrement appuyée sur la dette de l’état et le crédit particulier, ce qui ne met en rien votre démonstration en cause mais au contraire la conforte.

          Merci encore et à vous lire souvent.

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