Pour des médias publics aussi de gauche (et de droite)
La pluralité des opinions, la neutralité, la richesse des opinions sont des éléments totalement absents des médias du service public. Loin de reflèter la réalité du débat des idées ils ne servent au contraire que de porte voix aux idées les plus consensuelles et parfois les plus consternantes. Refuge d’une sorte de club d’animateurs-chroniqueurs-journalistes qui se renvoient l’ascenseur en permanence le service public a oublié depuis longtemps le public et n’a pas la moindre idée de ce à quoi correspond l’idée de service.
Jeudi 22 mai, au journal de 13 h 30 sur France Culture, la journaliste (Lise Joly) qui parlait des grèves expliquait que les Français n’étaient plus forcément contre le fait de travailler plus et que les syndicats devaient prendre ce nouveau point en considération. Jusque là rien que de très neutre. Pourtant elle n’a pas pu s’empêcher de parler de « réalisme » (à 5min40 dans le podcast) et ainsi tout le ton de son intervention était que bon, maintenant fini de rigoler, enfin ! ces abrutis (les français) avaient compris et que les syndicats ne pouvaient plus dire n’importe quoi. En substance c’était « ça aura été long de faire comprendre les réalités de notre monde (indiscutables bien sur) mais on a fini par y arriver ». C’était sidérant. La question que je me suis alors posé fut celle-ci : était-elle consciente et faisait-elle donc son travail mal volontairement, obsédée qu’elle pouvait être par ses idées et soucieuse de les promouvoir plutôt que de simplement relater les faits, ou bien n’en a-t-elle même pas eu conscience, auquel cas elle a simplement choisi de dire n’importe quoi parce que ça lui paraissait... naturel ?
Car enfin, en matière de politique sociale, il n’y a de réalisme que tant que l’on prend en considération les faits. Une politique qui déciderait de baisser l’age de la retraite à 25 ans serait réaliste si elle trouvait un moyen de le financer (consternante certes mais pas moins réaliste). Prétendre qu’est réaliste telle vision plutôt que telle autre de manière peremptoire sans prendre la peine de l’expliquer c’est aussi stupide que de dire "soyons réalistes, il faut suprimer le salaire minimum pour lutter contre le chômage". Ce n’est qu’une question de point de vue.
Je suis très clairement pour un journalisme partisan. Je pense qu’un journalisme objectif n’existe pas. Il n’existe pas par exemple à partir du moment où il fait le choix de parler davantage du mort français que de cent mille morts « pauvres d’ailleurs ». Il n’existe pas parce que le journalisme, l’information, c’est aussi le choix, la priorisation etc. Mais en revanche il doit alors annoncer la couleur. Il doit se dévoiler.
Sur l’antenne de France Culture le problème c’est qu’on ne sait pas trop où on est, on imagine, on espère, que faute d’objectivité le traitement des informations sera neutre (ça n’est pas exactement la même chose). Or il n’en est rien. Le cas auquel je fais référence n’est qu’un cas assez anecdotique mais il en est de même sur l’ensemble du service public.
Il est de bon ton d’accuser sans cesse le service public d’être une réunion de gauchistes irresponsables. Les lecteurs du figaro auditeurs de radio courtoisie qui font semblant de croire ça sont juste surpris qu’il puisse y avoir un Mermet au milieu des programmes alors qu’il ne devrait y avoir qu’une ode permanente au libre marché et à l’autoritarisme d’état. Du coup pour eux c’est la preuve ultime : radio France est une maison bourrée de gauchistes révolutionnaires qu’il conviendrait de virer manu militari.
La réalité est bien entendu toute autre. Plus complexe et plus mitigée mais ce que frappe tout de même c’est l’incroyable banalité des propos qui s’y tiennent. Plus qu’une pensée unique sur nos ondes s’épanouit aujourd’hui une parole dont le champ ne va jamais plus à gauche que ... Val (c’est à dire un type qui pense que Sarkozy aime la liberté, qui aime bien le MEDEF, qui est pour le TCE, qui n’aime pas Chomsky etc.) sinon avec Mermet (qui est donc une sorte d’alibi). Le spectre politique sur les antennes publique c’est aujourd’hui un incroyable glissement vers la droite la plus réactionnaire. On y adore Finkielkraut, on y parle entre Adler (l’homme qui s’est le plus trompé au monde), Slama (la droite que la gauche caviar adore) et Duhamel (Olivier, le socialisme déconnecté par excellence, qui a accepté de participer à une commission Sarkozy), on y trouve Demorand « incisif » (on voit aujourd’hui où ça le mène) et on écoute religieusement l’équipe de Charlie Hebdo recycler toujours les mêmes idées consensuelles qui s’imaginent voltairiennes avec Val sur Inter et Fourest sur Culture.
Aux heures les plus importantes de la journée (le matin) ces radios sont le reflet le plus terrifiant de la pensée unique, de la pensée raisonnable ou de la pensée de droite. Je précise parce que je ne m’explique toujours pas comment après ses nombreux et scandaleux dérapages Alain Finkielkraut peut être encore à l’antenne. De même que j’attends encore qu’on y dénonce les dérives d’une Hélène Carrère d’Encausse comme on y dénonce fermement la moindre ambiguïté de tout ce qui est à gauche de Bayrou. Redecker y est un dieu vivant (si ça leur fait plaisir), Slama se fâche tout rouge pour défendre Finkielkraut quand il est moqué à Science Po et, autour de la table personne ne proteste ou ne rit d’autant de ridicule corporatiste.
Il me semble qu’une radio de service public devrait être ouverte à la réalité de la diversité des opinions, qu’elle devrait éviter de participer au grand mercato des chroniqueurs et s’en trouver d’autres, plus originaux, plus compétents. Nous n’avons pas à subir Val 15 fois par semaine ou Adler en permanence. Les chaînes et radios privées se refilent suffisamment leurs chroniqueurs et "experts" pour qu’il ne soit pas nécessaire que le service public y participe. Qu’on nous propose des voix de droites intelligentes (il y en a !), des voix de gauche qui sont réellement à gauche (ce qui ne signifie pas nécessairement crypto-communistes), qu’on nous offre de vrais débats avec des invités variés et des journalistes qui cessent d’intervenir pour soutenir outrageusement un camp contre un autre (la plupart des talks de France Culture dans la journée sont caricatural pour ça avec la palme pour Brice Couturier).
Le service public devrait non pas être une voix mais le lieu ou toutes les voix s’entendent et débattent. Le canal de la diversité politique et non l’illusion de la neutralité qui n’est jamais qu’une soumission racoleuse aux puissances en place (qu’elles soient à droite ou à gauche).
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