Pour en finir avec l’aura de la blogosphère
Quelques impressions mais sans argumentation ni démonstration précise. La presse parle de la blogosphère, notamment à l’occasion des élections prochaines. Je ne vois que de l’esbroufe. La blogosphère n’apporte pas de changement significatif dans le déroulement de la campagne électorale. Tout me semble exagéré, surfait et falsifié. Du moins à l’échelle sociale, car les personnes influentes sur le Net sont bien réelles et efficaces. Aussi efficaces qu’un chanteur local qui remplit les salles de cent personnes et parvient à avoir un public convaincu de deux ou trois milliers de fans, à comparer avec les dix millions de téléspectateurs lors d’une soirée sur TF1.
Bref, le blog est devenu un spectacle pour les badauds autant qu’un moyen d’expression pour les anonymes, ceux qui veulent accéder à une célébrité toute confidentielle, ou bien sont en mal de communication. Quant aux blogs créés par des personnalités confirmées, on ne peut qu’y voir un effet de mode, voire une manifestation de snobisme. Non sans quelque sincérité, car il est vrai qu’en certains lieux, on sent une démarche expérimentale visant à court-circuiter la bienséance des cercles élitaires et à tenter un peu d’audace participative. Le blog, c’est un peu la soupape pour les journalistes sous la pression de l’autocensure. Comme l’a dit Léotard chez Ruquier, le monde des affaires politiques ne permet pas d’écart. Il faut maintenir le pack uni dans la bonne opinion. Mais la liberté d’expression, ce n’est pas le lot de la majorité de nos people qui ouvrent leur blog parce que c’est tendance. Leur blog est aussi nécessaire à leurs yeux que l’animal de compagnie à une âme seule.
L’Internet n’améliore pas le monde. C’est juste un outil, très perfectionné, permettant quelques orientations mondaines et, en quelque sorte, c’est un GPS social où on se situe intellectuellement dans le monde partagé des valeurs, idées, tendances, opinions, classes sociales. Croire que la blogosphère rendra la société meilleure est un leurre, une illusion héritée des Lumières. Le Net n’accroît que l’efficacité des partages littéraires, renforce les positions dominantes de ceux qui dominent, sans offrir aux zones d’exclusion les instruments d’une ascension sociale équitable ou du moins d’une échelle de visibilité. Le pouvoir de la blogosphère est une imposture si on s’imagine qu’il a une légitimité éthique. Les blogueurs influents et connus calquent leur comportement journalistique sur ceux des médias grand public. La véritable révolution eût été inverse : une attitude subversive des internautes qui peu à peu contaminât les grands médias. La belle aventure du Net est achevée. Le système de la domination s’est une fois de plus dévoilé, s’emparant des instruments pour son profit et pour sa gloire. Les blogueurs influents sont du même moule et de la même pensée que les people. Ils utilisent les mêmes ficelles en se donnant les apparences de la rébellion.
Les politiques qui utilisent le Net le font par opportunisme et souci d’efficacité. En ce sens, Sarkozy est plus honnête, plus linéaire que sa concurrente (perverse ?) Royal qui, elle, laisse croire à une écoute participative, alors que son « désir d’avenir point com » n’est qu’une astuce propagandiste, un élément de publicité politique populiste. La blogosphère, lieu des partages libérés, a été investie par la caste des gens de pouvoir et les gens de peu se sont précipités là où ils sont assurés de voir leurs commentaires lus par une audience limitée mais supérieure à celle des blogs intimistes, marginaux, créatifs. La blogosphère ne fait que reproduire les mécanismes sociaux. Elle est une représentation virtuelle de la comédie humaine. Une représentation de l’imposture devenue imposture elle-même dès lors qu’on croit qu’elle transgresse le voile des jeux de pouvoir avérés. La comédie des vœux de Royal, Sarkozy, Voynet, de Villiers, est grotesque. Et dire que c’est cela qui ressemble à la nouveauté et est présenté comme tel par les médias. Je préfère douter et me comporter en mécréant. Tout ce cirque n’a aucune valeur démocratique, pas plus qu’éthique. Juste un dispositif, des postures, et donc des impostures.
Ellul, dans son livre sur la propagande, avait très bien compris la complicité des individus dans la société de masse. L’Internet n’est que la redite plus sophistiquée d’une même partie qui se joue, se poursuit comme la précédente. Les internautes ne sont pas un peuple éclairé, mais ressemblent plus à la masse qu’on a connue dans les années 1930, une masse plus instruite, cynique, mécréante, « rebelle labellisée » mais au bout du compte, bien trop docile pour représenter une quelconque espérance de révolution et de temps nouveaux. Ellul l’a bien vu, la propagande s’adresse à des gens qui savent lire et ont une instruction. Le Net est devenu un espace de propagande, avec comme cibles ceux qui disposent d’un bagage culturel moyen et d’une aptitude à circuler sur la toile pour chercher la propagande parmi les blogs estampillés du sceau de l’influence. Ce faisant, ils croient être libres. Ils n’ont que la liberté de choisir leur maître ; avant, quelques dizaines de journaux, maintenant, quelques centaines de blogs, mais c’est toujours le même processus qui se déroule, la servitude du cerveau. Toute servitude est l’antichambre de la libération, alors, le Net, une antichambre ? On va dire ça pour rester optimiste.
Bonne année à tous, libres et esclaves de la pensée, vous restez hommes !
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