Pour en finir avec Trump
Un pourcentage non négligeable des lecteurs qui lisent ces lignes se demandent, « est-ce encore le pamphlet d'un naïf pro Biden, pro mondialiste et soumis à l'état profond ? ». Un autre pourcentage non négligeable se demande lui, « est-ce encore l'oeuvre d'un naïf pro-Trump, complotiste et adepte de la fachosphère ? ». Ma réponse aux deux catégories est : « US GO HOME ».

J'ai encore en mémoire l'intense publicité que la défunte chaîne de télévision « française », propriété de Berlusconi, « la cinq », avait faite à l'élection présidentielle américaine de 1988, remportée par George Bush père. On incitait, voire insistait pour que le téléspectateur français se positionne pour l'un ou l'autre camp, parti républicain ou démocrate. Déjà à l'époque, un certain Joe Biden, ainsi qu'un Al Gore, avaient été candidats malheureux aux primaires démocrates. « La cinq » premier introducteur, en masse, des séries américaines en France.
30 ans plus tard, on ne peut que constater que la formule Berlusconi est la norme plutôt que l’exception. Tout Français « politisé » étant sommé de choisir son candidat états-unien de prédilection. Très normal, puisque ce qu'on devrait appeler les « phénomènes de mode politiques » sont aujourd'hui directement diffusés en France, « en simultané », au même titre que les séries à succès, depuis les EU. LGBTQisme contre néo-virilisme, déboulonnage de statues contre « identitaires », dans tous les cas, c'est l'oncle Sam qui fait le programme. D'un Alain Soral, « français sans peur, catholique sans reproche » qui n'a apparemment jamais entendu parler d'amour courtois, à un BHL, champion de l'humanisme, y compris des « bombardements humanitaires », l'homme du système comme le dissident sait qui est le bon candidat.
Connu depuis les années 1980 aux États-Unis, personnage dans la tradition des « milliardaires excentriques », Trump a étendu sa notoriété par la « téléréalité », c'est-à-dire l'art de faire passer la fiction pour du réel. Et il me semble que c'est ici qu'on trouve l'origine du déchaînement de passion qu'il suscite, bien davantage que dans une politique prétendument nouvelle. Partisans comme opposants se contentent de commenter ad nauseam ses déclarations volontairement provocatrices, étendant dans le grand public le phénomène « d'entre-soi » médiatique bien analysé par le sociologue Pierre Bourdieu. Celui-ci montrait comment les journalistes vivent intellectuellement en vase clos, réagissant les uns par rapport aux autres, sans s'intéresser au monde réel, concluant que « l'opinion publique n'existe pas ». S'il est notoire que Trump a « subi » un acharnement médiatique de la majorité des groupes de presse, il faut constater que ça a été le principal moteur de sa notoriété. Et ce qui est remarquable, c'est que partisans comme opposants n'ont pas cherché à voir la réalité au-delà des déclarations de presse.
Deux exemples : d'abord, son élection.
À l'annonce des résultats, psychodrame à science po qui avait organisé une « soirée spéciale présidentielle US ». Une jeune fille, future « élite » française, fond en larmes. Consternation, mea-culpa sur la chaîne Arte. Et pour cause, voilà des mois que l'immense majorité des médias assurent que Hillary Clinton va gagner.
Personnellement, je n'ai pas été surpris, dans les sondages disponibles, l'écart entre les candidats était inférieur à la marge d'erreur... Et en parcourant des forums de discussion américains, en regardant des vidéos youtube, et jusque dans les messages de joueurs de jeux vidéo, une chose m'a marqué durant la campagne : l’extraordinaire enthousiasme et la diversité des partisans de Trump. Un véritable phénomène de masse que je n'avais jamais vu avant. Ma conviction était faite, sans recours à la boule de cristal, les « signes visibles » corroboraient les statistiques élémentaires des sondages... Mais nos chères futures élites de science po ne voulaient voir la réalité qu'à travers les journalistes...
Second exemple, dans le camp des partisans cette fois.
Encore récemment, j'ai entendu à de nombreuses reprises, dans l'inventaire des grandes qualités de la politique de Trump, que celui-ci serait contre la politique belliqueuse des EU, et aurait par exemple « retiré les troupes US de Syrie ». Cela relève de l’hallucination. Trump a fait des déclarations dans ce sens, mais au moment où j'écris, les troupes US surveillent toujours le pillage du pétrole de l'Est syrien, et encadrent leurs supplétifs des milices kurdes. Ajoutons qu'il a fait exécuter le chef des Gardiens de la Révolution iranienne, et que c'est durant son mandat que le cher Juan Guaidó, sorte de clone d'Obama, a été unilatéralement déclaré président du Venezuela. Il parlait de baisser le budget militaire, il l'a augmenté... et la liste est encore longue. Trump a dit des choses, mais rien ne s'est produit dans la réalité.
Ce que je voudrais développer maintenant, c'est l'insignifiance du personnage Trump, en commençant par un exemple.
On peut noter que durant son mandat, le chômage a reculé, corollaire d'un redémarrage économique. Mais il faut quitter l'idée que ceci ait un quelconque rapport avec la politique gouvernementale. J'ai déjà élaboré sur les rapports du pétrole avec l'économie dans un précédent article. On peut résumer la chose au diagramme suivant :
La corrélation entre la disponibilité en pétrole et la croissance du PIB est flagrante. Ce n'est pas un redémarrage économique qui fait augmenter la consommation de pétrole, c'est la disponibilité en pétrole qui fait croître l'économie. Je n'élaborerais pas plus ici sur ce sujet, qui ferait une trop longue digression. Or, le mandat de Trump a connu les premières livraisons de l'exploitation du pétrole de roche-mère aux EU, projet bien commencé bien avant son élection, propulsant le pays au rang de premier producteur mondial. C'est l'unique cause de l'éphémère « redémarrage économique », qui aurait eu lieu avec lui comme avec Mme Clinton...
Plus généralement, c'est à la structure du pouvoir aux EU qu'il faut s’intéresser. Là encore, Trump a embrouillé les esprits avec ses fameuses déclarations sur « l'état profond », concept mal défini, où chacun voit ce qu'il a envie d'y voir. Le meilleur spécialiste du pouvoir aux EU est certainement l'universitaire G. William Domhoff, qui a consacré 50 ans de recherches sur ce sujet. Le diagramme suivant illustre une partie de ses conclusions :
Ce que ceci montre, c'est que tout le circuit d'élaboration des lois et des politiques est irrigué par l'argent des grands groupes, des trusts, et des membres fortunés de la classe supérieure, qu'on peut donc appeler classe dirigeante. Les décisions politiques ne sont pas faites par un lancer de dés, mais sur la base des analyses, prospectives et autres rapports produits par des experts et autres consultants, qui peuvent être des fonctionnaires d'état (assez peu aux EU contrairement à l'Europe, même si on tend vers le modèle américain) ou des organisations indépendantes (voyez le rôle des « conseils scientifiques » dans l'actualité récente par exemple).
Mais plus intéressant encore M. Domhoff note la caractéristique des groupes de discussion, des groupes d'experts et de la plupart des « think tanks » : ceux-ci sont systématiquement « bipartisans » ou « non partisans », c'est-à-dire qu'ils font travailler ensemble des membres du parti démocrate et du parti républicain. Conclusion : c'est dans les organisations qui se disent « apolitiques » que s'élabore toute la politique.
Le cirque médiatique des titanesques combats électoraux est un simulacre, avant tout destiné à détourner l'attention des masses. D'autant que la majorité des lois non-structurelles qui passionnent l'électorat a généralement une forte teneur « sociétale », et n'est pas du ressort de l'état fédéral, mais de chaque état, et sont votées au suffrage direct. Républicains et démocrates sont les deux faces de la même pièce. Pour illustrer encore ce fait, voici un diagramme qui représente l'évolution de l'indice « Gini », c'est-à-dire des inégalités économiques, en corrélation avec le taux de syndicalisation du prolétariat. Les couleurs de fond représentent le parti au pouvoir, bleu pour les démocrates, rouge pour les républicains.
Conclusion : rien de concret ne change socialement depuis des décennies. On peut faire la même chose avec les conflits militaires ou le taux de taxation des riches, on ne trouve pas de corrélation avec la couleur du président... Ne vous étonnez pas d'un titre de presse récent (2019) : « US billionaires pay lower tax rate than working class for first time in history », soit « Les milliardaires américains ont pour la première fois dans l'Histoire un taux d'imposition plus bas que la classe ouvrière »... C'est la tendance depuis plus de 50 ans. Aussi quand un article de presse montre un diagramme « à charge », concluant que les baisses d’impôts de Trump profitent majoritairement aux riches, cela est tout à fait vrai, mais Trump ne fait que perpétuer la politique de ses prédécesseurs.
En conclusion, l'ardeur de la passion pour ou contre Trump qu'on trouve, en particulier chez des Français, qui ne devraient pas se sentir concernés, est avant tout proportionnelle à l'emprise des médias sur leur esprit. C'est l'incapacité de discerner les véritables enjeux, noyés dans une masse toujours croissante « d'information », en fait des signaux de brouillage. La fiction démocratique repose de plus en plus sur le clivage des électeurs, et pousse toujours davantage les politiques dans le rôle de communicant, simple objet marketing du grand marché de la consommation médiatique.
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