Pour la fin du monde, prends ta guitare...

En ces temps qui s’annoncent difficiles, où les re-localisations commencent à rentrer à pied au bercail, alors que le marché de la musique à la mode étend son filet sur les airs connus et brevetés, il n’est pas inutile de prendre les devants et de se préparer à animer soi même ses propres soirées à la bougie et au feu de bois. Pour ce faire, point n’est besoin de faire encore appel au commerce international, on a tous vu de nombreuses guitares accrochées au mur, sans cordes dans le fond du grenier, et même maintenant à partir de dix euros sur les trottoir de vide-grenier. Avec moins que ça en cordes neuves et un peu de bricole étalées sur un mois, on peut avoir entre les mains largement de quoi fêter ensemble la fin du monde, enfin je veux dire, la fin du grand marché cacophonique.

N’emportez pas votre bonne guitare quand vous allez faire un barbecue en ville, surtout si vous n’avez qu’une simple housse car en temps de pluie, l’humidité l’empêchera de sonner correctement une ou deux semaines durant. Des guitares, il y en a une presque dans chaque foyer, mais souvent accrochées au mur pour simple décoration sous prétexte qu’elle n’est pas immédiatement utilisable. Bien sûr la plupart nécessitent une courte restauration pour fracture de la fibre du bois, mais le plus souvent pour simple réglage. Beaucoup, de facture simplistes et bas de gamme, en matériaux communs et vernis de mauvaise qualité, ont peu de marge de manœuvre, mais tout est toujours possible. On trouve désormais des guitares intéressantes sur n’importe quelle brocante à partir de dix euros, mais la restauration même amateur peut coûter au prix du marché, cent euros ou plus, même pour une guitare qui, restaurée, en vaudra moins que ça. Voici ce qu’on peut déjà opérer soi même pour lui rendre son âme.

D’abord, avec la tranche d’une longue règle plate, il est possible de déterminer si le manche est droit, ou a subi la contrainte des temps humides au regard des soixante douze kilos de pression des six cordes tendues. C’est la capillarité de l’eau qui aide à voiler les manches en matériaux à la fibre légère et poreuse. La règle ne touchera donc plus que la première et dernière barrette, laissant peut-être passer toute la longueur de la lame d’un opinel voire plus encore en son milieu. A l’aide d’un serre joint et d’une large cale posée sur un chiffon au dos du manche, on peut contraindre celui-ci à se redresser en le serrant contre un plateau de table abritée sous balcon si celle-ci est en bois épais, et plus il pleut dehors et plus vite le bois jouera. Il n’est pas inutile de penser à appuyer l’une des deux barrettes citées sur deux pièces de monnaie, ce millimètre d’excès inverse disparaitra hors contrainte. Il est aussi important que l’appui se fasse bien sur les barrettes métalliques du manche et non sur le sillet de caisse que l’on peut démonter ou décoller pour l’occasion ou laisser en suspension. Une fois cette opération terminée, il n’est pas inutile de faire sécher le bois en appuyant quelques jours la guitare en biais contre un mur à coté d’un radiateur, mais évidemment, le face corde coté mur. Suite à cette opération, souvenez vous que l’humidité est la principale cause de panne, et hormis les chutes, casses, et pertes de cordes, c’est cette raison qui les rend inutilisables sauf en matière de déco murales. Elles peuvent être devenues inutilisables bien qu’entières, parce qu’au milieu du manche l’écart entre les cordes et la table excède souvent cinq millimètres et plus. Ces instruments, même complets, vont souvent se coucher avant la fin de la fête sous prétexte que, quelques soient les habitudes des joueurs, ce sont souvent leurs doigts qui fument le plus après cinq ou dix minutes d’utilisation.

Les sillets, ces barrettes souvent en plastique qui alignent les espaces exacts entre les cordes à chaque bout du manche, s’ils manquent à l’appel, on peut très bien les tailler dans n’importe quel bois de chêne sec et repérer l’écartement sur la deuxième barrette où les cordes ont laissé des traces. Sur les guitares de brocantes, de cette qualité qui a rebuté les propriétaires à les restaurer, ils sont souvent eux même mal ajustés. En effet, j’ai même constaté parfois sur des guitares neuves des écarts rebutants que l’on peut, à l’aide d’un simple couteau de cuisine denté, rattraper progressivement jusqu’à un bon millimètre de chaque coté. Il vaut mieux commencer par celui du haut du manche et peaufiner son réglage ensuite par l’autre, en rapprochant d’autant les cordes de la table, on facilite nettement l’effort des doigts et la pression de jeu, et l’on augmente d’autant le plaisir de jouer. Le sillet de caisse étant une lamelle insérée dans sa gorge, on gagne ce millimètre en limant la face cachée dans la gorge. L’opération nécessite souvent plusieurs interventions dont la dernière peut se solder par le fait que l’on est allé trop loin et qu’une ou deux cordes se mettent à friser. Il suffit alors de coincer un tout petit bout de fibre de bois d’allumette dans la gorge pour voir ce défaut disparaître instantanément. Il n’est pas inutile d’y arriver par ce stade car c’est celui qui assure que l’on a maximisé toutes les possibilités de réglage, et redonné à cet outil une une seconde vie, parfois plus facile que la première.

Si l’on a pris le soin de laver le manche nu au savon en grattant bien au spontex ou à la brosse entre les barrettes, qu’on l’a bien talqué dès qu’il est parfaitement sec, et que l’on a eu l’idée de se payer un jeu de cordes acier « filé plat », n’importe quelle guimbarde trouvée aux puces pour une modique somme deviendra cette bête tout terrain que l’on peut toujours emmener avec soi et qui peut devenir la cause de joie de bien des soirées à venir.

Avec une bonne guitare comme arme de main, la fin du monde devient nettement plus factice et illusoire, car la musique adoucit les mœurs.

Cordes de guitare métalliques filé plat.

Il y a exactement quarante ans déjà...