Pour quelle raison profonde la grande bourgeoisie française a-t-elle dû lier son sort à celui de l’Allemagne ?
Petite contradiction, tout au moins en apparence… Si la vidéo publiée par Alexandre Mirlicourtois le 15 avril 2013 est intitulée : Pas d’illusion, l’Allemagne va plonger aussi, celle que publie le même jour son collègue Olivier Passet dit tout autre chose : « L’Allemagne prend le large »… De fait, le premier ne fait alors qu’envisager le très court terme… tandis que son camarade reste sur la terrible lancée de ce qu’il a développé quatre jours plus tôt à propos d’une certaine déclaration de guerre.
Nous voici donc nouvellement mis en alerte. Cette fois, ce sera à partir de ceci que :
« L’euro a été bâti pour arrimer l’Allemagne réunifiée à l’Europe occidentale. »
Sans trop nous attarder, apportons quelques précisions : un peu plus de dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale – et parce que le parti communiste demeurait, d’élections en élections, le premier parti de France -, la nécessité s’est peu à peu imposée à l’impérialisme français – en voie d’être chassé de ses colonies anciennes – de parier sur une union économique aussi étroite que possible avec l’Allemagne – armée d’une monnaie forte à l’issue de ce qui s’appelait déjà le « miracle économique allemand » – pour ne pas aller jusqu’à perdre son siège au Conseil de Sécurité de l’ONU et risquer de dégringoler dans la pyramide des différents impérialismes en voie de recomposition, avec une victime de choix : la Grande-Bretagne.
Plus tard, au temps de François Mitterrand, c’est dans l’effroi de l’annonce d’une réunification allemande – qui n’avait plus besoin de l’accord de quiconque pour se faire – et de la prise en compte de ce que la disparition de l’Union soviétique venait d’autoriser comme sanction d’une victoire allemande qui ne faisait qu’effacer totalement sa capitulation sans condition de 1945, qu’il est devenu nécessaire de rendre les armes à la puissance d’outre-Rhin, sauf à prendre le risque de glisser très vite dans les poubelles de l’Histoire.
D’une certaine façon, la France historique s’est donc arrêtée là.
Mais la pente savonneuse lui avait été préparée depuis le temps de la Commune de Paris (1871), dont les lendemains resteront illustrés par la quête éperdue d’une bourgeoisie française qui ne voyait plus guère d’autre salut que du côté de la Prusse du prince Otto von Bismarck qui venait tout juste de faire proclamer l’Empire allemand dans la galerie des glaces du château de Versailles…
Alors, l’euro… Eh bien, il résulte d’un rapprochement qui a tout de même certaines limites. Autrement dit, l’Allemagne est une épouse qui n’a jamais affirmé qu’elle serait autre chose que volage. Comme tout le monde, Olivier Passet le sait parfaitement et la suite n’a pas pu le surprendre :
« Dès le tournant des années 2000, l’Histoire a repris ses droits. L’Allemagne est repartie à la reconquête économique pacifique de la Mitteleuropa. »
Peut-on lui en vouloir lorsqu’on se range du côté des intérêts de la grande bourgeoisie française ? Certainement pas. L’Allemagne est dans son rôle : elle entretient la bonne santé de son beau bébé, celui dont l’impérialisme française s’est désormais armé pour aller faire ses petites affaires avec les solides bretelles que lui donne l’enfant en question : l’euro.
Evidemment, vu sous un autre angle, qui est celui que choisit Olivier Passet, l’affaire n’est peut-être pas aussi réjouissante. Et pourtant, c’est là tout le mérite de la ligne prussienne qui n’a jamais été véritablement idyllique…
« Mais depuis 2008, l’Histoire s’accélère. S’opère alors une mutation spectaculaire du commerce extérieur allemand. Le pays n’accumule plus ses excédents au détriment de ses partenaires, mais bien davantage sur les marchés extra-européens. Les exportateurs dédaignent la zone euro enlisée dans la crise, et prennent désormais le large. »
Plus ou moins cacochyme, la France – la partie de la population française qui n’émarge ni directement ni indirectement aux richesses pompées très loin par les multinationales qui affichent le pavillon français – s’en va boitant, boitillant, et de façon de plus en plus préoccupante… Voilà qu’une partie d’elle s’est revêtue de jaune : on frémit d’interpréter le sens un peu trop voyant de ce que cela pourrait vouloir dire…
La belle s’est donc fait la paire, mais peut-être plus encore que nous ne l’aurions d’abord cru. C’est ce qu’Olivier Passet veut nous aider à comprendre… Première étape du raisonnement :
« La divergence des soldes commerciaux français et allemands nous délivre une information essentielle, mais trompeuse. Elle illustre bien le décrochage français et la situation préoccupante des entreprises françaises en termes de compétitivité. Ce point est incontestable. Mais la symétrie des courbes peut laisser penser que le renforcement se fait au détriment de ses partenaires. »
C’est donc bien que, loin de n’abuser que les petits copains de la zone euro, la belle Allemande va chercher fortune – et pour toujours maintenir le bébé euro dans les meilleures dispositions – loin, très loin, là où personne ne peut mener le bal comme elle le fait si bien, ou, tout au moins – parce qu’elle y rencontre aussi des becs – si courageusement…
Et d’où vient que tous les peuples de la zone euro ne tombent pas à genoux devant la grandeur de l’entreprise allemande de participation à la conquête du monde ? C’est qu’il ne la connaisse pas. Et cela parce qu’ils n’en retirent pas vraiment de bénéfices… sauf les miettes que lâche – de moins en moins – l’impérialisme français gonflé par… l’euro.
Voilà, cependant, qui devrait les aider à apprécier le char – l’Allemagne de Berlin (Prusse) – auquel ils ont abandonné leur souveraineté (ce dont ils se fichent royalement) :
« Le déplacement régional de son commerce est spectaculaire. Son appareil productif continue d’intégrer les activités sous-traitées en Europe de l’Est. Ses exportations accélèrent depuis 4 ans leur basculement vers le grand large. Ainsi, si son excédent commercial est assez stable – entre 2007, 195 milliards d’euros, et aujourd’hui, 188 milliards au cours des 12 derniers mois -, cela marque, en fait, une réorientation spectaculaire des ventes vers les marchés extra-européens. »
Et Olivier Passet de nous fournir un nouveau graphique tout en poursuivant son propos :
« Quelques chiffres saisissants pour s’en convaincre. L’excédent était aux deux tiers alimenté par l’Union européenne en 2007. Il est aujourd’hui généré aux trois quarts en dehors. Depuis le début de la crise, l’excédent allemand sur ses partenaires de l’Union a diminué de près de 80 milliards, un recul deux fois plus prononcé que celui de la France. »
Mais là où la comparaison devient très cruelle pour celle-ci, c’est dans l’allure du redéploiement effectué par chacun des deux pays… Pour l’Allemagne…
« Dans le même temps, il a progressé de 70 milliards en dehors de l’UE, quand il ne progressait que de 7 milliards pour la France. »
Fort heureusement, ce dixième se compte lui aussi dans la « kolossale » monnaie… Mais nous n’avons pas encore vu la totalité de la boucle qu’offre ce concept tout bonnement hégélien que constituent l’euro et son incrustation dans la chaîne d’exploitation du travail et de la crédulité des peuples des alentours…
NB. Cet article est le soixante-troisième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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