Pour Stéphane Hessel : indignons-nous !
A supposer même que l’on ne soit pas du même bord politico-idéologique, comment ne pas donner raison à Alain Badiou, Etienne Balibar ou Jacques Rancière, éminents philosophes et anciens élèves de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, lorsqu’ils s’insurgent contre l’annulation, sous l’intolérable pression du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, de la rencontre initialement prévue ce mardi 18 janvier 2011, dans cette même université, avec Stéphane Hessel, ancien combattant de la France Libre aux côtés du Général De Gaulle et miraculeux rescapé du camp de concentration de Buchenwald, avant que d’avoir été l’exemplaire rédacteur de la Charte du Conseil National de la Résistance ainsi que de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?
Car, en effet, ce sont les mêmes sentiments de « stupeur » et d’ « indignation », pour reprendre les termes de Badiou et de ses amis pétitionnaires en cette pénible circonstance, qui m’étreignent ici, en tant qu’intellectuel juif mais aussi signataire du fameux « appel à la raison », promulgué en 2010 par le Jcall, face à la contreproductive, sinon désastreuse, politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens. Comment d’ailleurs ne pas dénoncer vigoureusement, ainsi que je le fis dans la presse francophone européenne, ce même Etat d’Israël lorsqu’il se livre impunément, comme en 2006, au bombardement massif et disproportionné, à l’injuste prix de milliers de morts de civils innocents, de Beyrouth et du Sud Liban, ou, comme en 2009, et de manière toujours aussi éhontée, de la Bande de Gaza ? Et ce, qui plus est, en allant à l’encontre du droit humanitaire le plus élémentaire ?
Il y a un certain temps, du reste, que le Crif, par ce genre de dérapage, où diffamation et autoritarisme s’allient en un dangereux et nocif cocktail idéologique, ne représente plus, contrairement à son appellation d’origine très contrôlée, bon nombre d’intellectuels ou de penseurs juifs.
Mais, surtout, c’est dans le déshonneur le plus affligeant et révoltant à la fois que l’Ecole Normale Supérieure, et sa directrice en particulier, Monique Canto Sperber, viennent de verser, en interdisant un être tel que Stéphane Hessel de s’y exprimer librement, de manière aussi lamentable.
C’est dire si, devant pareil acte de terrorisme intellectuel, où tout débat critique se voit arbitrairement confisqué par une sorte de nouvelle et scandaleuse police de la pensée, si ce n’est de la parole même, un Louis Althusser, un Jacques Lacan ou un Jacques Derrida, qui comptèrent parmi les professeurs les plus brillants et influents au sein de cette vénérable institution de la rue d’Ulm, doivent se retourner, aujourd’hui, dans leur tombe !
De même ne pourra-ton que regretter tout aussi amèrement que Monique Canto-Sperber, plutôt que de donner la parole à un intellectuel d’un aussi haut et incontestable rang que Stéphane Hessel, dont l’engagement s’est toujours avéré au-dessus de tout soupçon, préfère ouvrir ses portes, comme elle le fit dernièrement, à un pseudo-philosophe tel que Bernard-Henri Lévy, dont l’incompétence, en matière d’analyse conceptuelle, est aussi manifeste que consternante ainsi que le donne à voir, au mépris de tout sérieux professionnel comme de toute rigueur éditoriale, son récent opuscule « De la guerre en philosophie » (Grasset, 2010) : conférence prononcée le 6 avril 2009 dans la salle Dussane de cette même Ecole Normale Supérieure précisément, mais où l’on voit apparaître surtout, à la risée du monde entier, un certain Jean-Baptiste Botul !
Mais de ce genre de bévue, pour colossale qu’elle soit, Madame Monique Canto-Sperber, pourtant déjà ainsi couverte de ridicule, n’en a, semble-t-il, guère cure, puisque, renchérissant dans ce genre de registre burlesque, on la vit se pavaner ces jours derniers au Flore, y jouant le très peu enviable rôle de demi-mondaine, si ce n’est de précieuse ridicule justement, lors du vingtième anniversaire de la très béhachélienne « Règle du Jeu », revue philosophique de seconde zone (comparée, par exemple, au « Débat » de Pierre Nora et Marcel Gauchet, à « Cités » d’Yves Charles Zarka ou à « Esprit » de feu Emmanuel Mounier) et dont le germanopratisme ambiant, allié à un conformisme que même le très stalinien Jdanov n’aurait pu imaginer, l’éloigne définitivement, nonobstant quelque notable fond de commerce en forme de signatures littéraires, de toute réelle crédibilité, et non seulement morale.
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
* Philosophe, auteur de « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (Bourin Editeur), professeur de philosophie de l’art à l’Ecole Supérieure de l’Académie Royale des Beaux- Arts de Liège et professeur invité au « Collège Belgique », sous l’égide de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et le parrainage du Collège de France.
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