Pour une fiction citoyenne
« Les plus grandes séries ont toujours une dimension politique, et tout ce qui vise à réfuter ou à atténuer cette dimension-là est une censure insupportable. Une télévision qui ampute ou censure les fictions, oeuvres de création, ou cherche à minimiser leur portée symbolique, est une télévision qui méprise ses télespectateurs. Tôt ou tard, les spectateurs - qui sont aussi des citoyens - finiront par s’en rendre compte. » (Extrait du blog de Martin Winckler")
Et pour poursuivre sur les propos d’un de nos plus pertinents critiques de fiction télévisée (accessoirement romancier et toubib de son état)...
".. .pour moi, la fiction française d’aujourd’hui, c’est la peinture soviétique dans les années 30 : conformiste, d’une autocensure si considérable que ça casse toute volonté de création chez les scénaristes. C’est d’un immobilisme et d’un académisme le plus total, et en plus cela fait passer à mille lieues de toute réalité ; cela ne correspond en rien à ce qui se passe dans le monde."
Mais revenons-en au sujet : qu’est-ce qu’une fiction politiquement responsable ?
N’y a-t-il pas un vague oxymoron planqué sous cette dénomination, une fiction étant par définition quelque chose "qui n’existe pas ailleurs que dans l’imaginaire" ? Quant au terme de politiquement responsable... (au fait, n’est-il pas tout aussi imaginaire, pour ne pas dire illusoire ?).
Trêve de rhétorique, que peut-on entendre ou même souhaiter sous cette appellation non-contrôlée ?
Rien d’autre qu’une façon de présenter à la conscience des citoyens-spectateurs une vision du monde forcément simplifiée (dramaturgie oblige) , mais non simplificatrice, éclairante et synthétique mais non-réductrice, et qui fait appel à l’intelligence émotionnelle et rationnelle qui sommeille en chacun de nous.
Une fiction politiquement responsable est l’antidote à la doxa dont nous abreuvent à longueur d’antenne tous les intervenants politiques et autres expertologues censés expliquer le monde, quand ils ne font que le cantonner au spectre étroit de leurs convictions idiosyncrasiques.
A l’évidence, et dans sa quasi-intégralité, la fiction française est tout le contraire d’une fiction politiquement responsable. Pas plus dans les sujets abordés (90% de séries policières toutes chaînes confondues) que dans le traitement même des protagonistes-héros récurrents et récurés plus blancs que blanc.
En dehors du fameux "temps de cerveau disponible à Coca-Cola" proféré benoîtement par Le Lay, la question demeure pleine et entière : à qui profite la mièvrerie patentée de la fiction française, surtout lorsqu’elle est fourbie par les chaînes de service (dit) public ?
Au cynisme avéré des princes qui nous gouvernent (et qui nomment les responsables des chaînes par CSA (Conclave soumis aux archontes) interposé ? Pas si sûr. Les archontes en question méprisent souverainement la télé dès qu’il ne s’agit plus d’y étaler leur doxa.
A la médiocratie des responsables du genre (directeurs/trices de la fiction et leurs chargé(e)s de programme) et qui n’est somme toute que le reflet déformant de la médiocrité supposée des téléspectateurs auxquels ils servent la soupe du soir ? Un peu léger. Ils aimeraient bien "signer" des séries cultes et internationales, tous ces médiocres-là !
Au public lui-même, qui plébiscite les séries étasuniennes décapantes et innovantes... pourvu qu’elles restent étrangères, mais qui préfère se sentir rassuré dès que "ça" pense et parle la langue de Molière (ou ce qu’il en reste) ? Sans doute.
Faut-il pour autant renoncer à une audace imaginaire destinée au grand public qui contribuerait humblement à réveiller le germe du vieux rêve du "changer la vie" qui sommeille en chacun de nous - et rameuter ainsi la jeunesse qui déserte massivement la cathode à partir de 20h30 tapantes ?
Non. D’ailleurs, même le politique semble interpellé par l’ankylose de la fiction française.
La preuve : Matignon soi-même a débloqué l’an dernier la modique somme de 4M€/an sur trois ans gérée par le CNC pour créer un Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle ! Une manne pour les auteurs français, lassés d’épuiser leur talent dans les épisodes éminemment interchangeables des Cordier, Louis
Nous étions donc en droit d’attendre une relève de l’imaginaire français à la hauteur des espérances de ceux qui en vivent (et de ceux qui aiment vraiment la télé !).
Premier bilan au bout d’un an : seule une petite moitié de ce gros budget a profité à des projets "innovants" (le reste passera sans doute par pertes et profits dans d’autres poches que celles des créateurs, mais qui s’en soucie ?).
Un scanner rapide des projets sélectionnés laisse vaguement perplexe.
(Liste complète). Mais on peut se demander sérieusement s’ils ont une chance de voir le jour sur une télé dont l’innovation semble rester coûte que coûte le cadet des soucis.
Qu’en pensez-vous, chers téléphiles (ou téléphobes) ?
Cette question a-t-elle une once d’intérêt à vos yeux ?
Le débat est ouvert...
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