Pour une mobilisation sociale des classes moyennes et populaires
La grève des agriculteurs français, en cours depuis plusieurs jours, nous a rappelé à tous la précarité et les dures conditions de vie de ce métier pourtant essentiel à toute civilisation. Le confort citadin de notre société et sa déconnexion avec la nature peuvent faire parfois oublier que c'est le travail de ces millions d'hommes et de femmes qui nous permet de nous nourrir, alors qu'eux-mêmes sont parfois touchés à un niveau extrême par la pauvreté, voire la faim. D'après l'INSEE, un agriculteur français se donne ainsi la mort tous les trois jours. Sous cette froide statistique se cachent des vies brisées par la précarité et le désespoir, des familles endeuillées dont la douleur de la perte est encore aiguisée par le silence méprisant de la société. Nous affirmons donc notre total soutien envers les agriculteurs mobilisés, auxquels nous adressons en sus toute notre compassion et notre gratitude. Mesdames et messieurs les travailleurs de la terre, vous êtes les gardiens de notre subsistance : soyez-en remerciés.
La commisération et les douces paroles ne sont cependant guère suffisantes. La mobilisation des agriculteurs nous touche à juste titre moralement, elle doit aussi nous pousser à agir politiquement. Leur révolte s'inscrit en effet dans la tendance générale à la paupérisation des classes moyennes et populaires, dont nous éprouvons tous, à des degrés divers, les effets.
Au nom d'une guerre qui n'est pas la nôtre, nous avons vu depuis deux ans les prix alimentaires s'enfler à des proportions délirantes (à titre anecdotique, un steak du boucher qui coûtait 2,20€ en 2021 est désormais vendu à 3,60€). Cette flambée des prix touche aussi nos mutuelles, nos factures d'eau et d'électricité ainsi que nos loyers, augmentés chaque moi subrepticement. La tendance ne semble pas près de s'arrêter puisque encore la semaine dernière Bruno Le Maire a annoncé en direct une nouvelle augmentation de 8% du prix de l'électricité. Nous vous laissons apprécier sa rhétorique pleine de nuance et sa sensibilité au sort du peuple : "Si les prix de l’électricité ont flambé, c’est parce que Vladimir Poutine, l’ami de Madame Le Pen, a attaqué l’Ukraine et a fait flamber les prix de l’électricité et du gaz".
Le combat que livrent actuellement les agriculteurs pour une revalorisation de leur niveau de vie, est donc, à bien des égards, aussi le nôtre. Rejoindre la contestation n'est dès lors pas seulement une nécessité morale de solidarité, c'est aussi un impératif stratégique, puisque nous sommes tous victimes de la même politique anti-sociale du Gouvernement et des mêmes appétits prédateurs du capital.
Qui pourrait endosser la responsabilité d'être le porte-voix des mécontents et le déclencheur de leur mobilisation générale ? Les syndicats nous ont trahis lors de la lutte contre la réforme des retraites. Les partis politiques autorisés, mêmes ceux dits "extrêmes" sont embourgeoisés (nous tenons ici à rappeler que le RN a voté à l'unanimité l'augmentation des frais de mandat des députés et que LFI préfère combattre la loi immigration plutôt que la hausse des prix et la casse sociale). Le salut du peuple ne peut venir que de lui-même. Une mobilisation populaire spontanée, semblable à celle des Gilets Jaunes, apparaît de ce point de vue comme la meilleure option. Nous aurions cependant tendance à déconseiller l'utilisation de ce symbole du gilet jaune, traîné dans la boue et rendu sulfureux par les médias dominants. Plus que le symbole vestimentaire, c'est "l'esprit gilet jaune" que nous appelons de nos vœux : à savoir, une mobilisation apolitique de la France qui travaille et qui souffre de l'injustice sociale, celle qui est à découvert à la fin du mois et qui voit les élites se goberger insolemment. Si la pauvreté touchait seulement les classes populaires il y a encore une décennie, elle grignote désormais aussi les classes moyennes. Savez-vous, chers lecteurs, que des enseignantes (!) nous ont confié être obligées de voler de la nourriture pour subvenir aux besoins de leurs enfants ? Que nombre de jeunes avocats de province touchent moins que le SMIC ? Et nous ne parlons pas de ces petits artisans et commerçants pressurés par les taxes qui en sont réduits à contracter des crédits à la consommation pour partir en vacances ou s'acheter un réfrigérateur.
C'est cette France du travail et du courage, qui n'a que trop consenti aux sacrifices, qui doit faire désormais entendre sa voix et joindre sa saine colère à celle des agriculteurs, quelle que soit la forme prise par sa contestation (grèves, manifestations, blocages, sit-in, etc.). Si courageux et déterminés que soient les paysans, ils ne parviendront pas à faire plier l'État à eux seuls, sans le concours des autres catégories des classes populaires et moyennes. Le ministre Darmanin a d'ores et déjà annoncé l'envoi de blindés contre les agriculteurs pour empêcher le blocage de Rungis. Or, si l'État peut briser la révolte d'un corps professionnel, il ne peut en faire de même si l'ensemble des classes travailleuses embrassent la contestation.
En 2018, c'est l'annonce de l'augmentation des prix du carburant qui avait accouché de la mobilisation des Gilets Jaunes. L'état actuel du pays est bien plus alarmant, entre l'inflation, la précarité, l'injustice sociale, l'insécurité et le manque de considération du peuple. Et si en 2018, une partie des Français croyait encore dans l'esprit "disruptif" du macronisme, cinq ans de casse sociale, de copinages républicains et de mesures liberticides ont achevé de briser les illusions.
Le pouvoir semble réaliser lui-même que le moment est propice à une révolte sociale d'ampleur nationale, c'est ainsi que plusieurs journalistes ont analysé les déplacements de Gabriel Attal en personne auprès des agriculteurs pour tenter de calmer le jeu et surtout d'endiguer une potentielle extension de la grogne sociale. La situation est d'autant plus critique pour le Gouvernement qu'à peine nommé il est déjà affaibli par des scandales (contournement de Parcoursup par la Ministre de l'Education, soupçons de corruption sur la Ministre de la Culture, fils du Garde des Sceaux arrêté pour violences conjugales) et que sa propre majorité parlementaire s'est fissurée autour du débat sur l'immigration. En 2018, la Macronie était au fait de sa puissance, aujourd'hui elle est plus fragilisée que jamais.
Nous traversons un de ces rares moments où le peuple se languit que l'on mette des mots sur sa muette révolte et qu'on l'invite à l'exprimer publiquement. Ne laissons pas passer cette occasion.
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