Pour une réhabilitation du « Beauf »
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Tout le monde connaît les « Beaufs », cette création du dessinateur Cabu dans les années 70. Définition rapide : des français blancs, de souche, égoïstes, veules, lâches et intolérants.Au surplus racistes et machos. Pour simplifier nous dirons que le Beauf c'est le peuple, le « petit peuple », celui qui bosse à l'usine ou conduit son tracteur, l'artisan plombier qui bosse 12 heures par jour ou le patron de café, tous forcément fascistes....
Les victimes du Beauf ? Entre autres, et surtout, les immigrés , forcément honnêtes et tolérants. Et puis les jeunes (saufs les jeunes blancs, ouvriers ou artisans bien sur). Qui dénonce le Beauf ? De petits bourgeois des beaux quartiers, propres sur eux, qui voient en ces Beaufs la France moisie, rance. Et puis des enfants de Beaufs, qui ont « réussit », et que la honte d'avoir des parents ouvriers ou paysans rend particulièrement agressifs envers ceux-ci.
Les beaufs c'est, en gros, la France qui vote « non » au référendum sur l'Europe en 2005, la France dont une bonne partie vote LePen ou PC, la France qui s'accroche à son boulot, quand elle en a encore un, la France qui croit encore aux valeurs de la République, la France qui croit encore en ces valeurs démodées : la fraternité, la liberté, la tolérance, l'honneur.... Les Beaufs c'est la France qui conspire contre le « bien », la bien bien-pensance et le politiquement correct de la classe sélect du Fouquet's et de ses officines , de SOS Racisme au Club du Siècle. Ces Beaufs on les voit à l'œuvre dans les dessins de Cabu, dans la chanson de Renaud, mais aussi dans ces petites gens bousculées par la vie que nous décrit F. D'Aubenas dans les « Quais de Ouistreham » (1). Ce sont ces ouvriers méchants et racistes dépeint par Eribon dans « Retour à Reims ». Ce sont ces paumés commerçants, paysans dans « Les dessaisis » (2). C'est aussi « Dupont La joie » (3) qui est au Beauf (et au français de souche) ce que le « Juif Suss » est aux Juifs ; Dupont Lajoie petit patron de bistrot, violeur et assassin, à la moustache petite et aux doigts crochus, est raciste. Forcément raciste.
Néanmoins ce Beauf, quand on regarde bien, quand on gratte le vernis infâme dont l'accablent tous les beaux esprits désireux de trouver un bouc émissaire à leur vacuité , qui est il vraiment ? Le Beauf , le français de souche, de « petite souche »,on le trouve tout au long de l'Histoire : au Moyen Age il est un paysan ou un artisan révolté, devient un Jacques ou un Cabochard. Plus tard il est un émeutier de la Fronde puis un insurgé de la Bastille , un massacreur de Septembre ou un soldat de Valmy. Ces Beaufs, ces mal vêtus, vulgaires, violents, Flaubert marche sur leurs cadavres lors des émeutes et journées révolutionnaires de 1848 , ces Beaufs « qui puent des pieds » , que plus tard on fusillera par milliers dans les rues de la Commune.... Ces Beaufs peu apprêtés, mi-Thenardier, mi-Jean Valjean, âpres au gain (parce qu'ils ont l'indélicatesse d'avoir toujours faim), on les retrouve plus tard dans les émeutes ouvrières de la fin du 19 ème siècle, « foules échauffées et maladives dira Zola dans « La débâcle »...
Ces Beaufs iront mourir par centaines de milliers en 1914 pour une certaine idée de la France puis on les retrouvera aux Gliéres, au Vercors, au Mt Mouchet, à St Marcel , maquisards de peu, résistants sans gloire. Tandis que la résistance « bling- bling » s'accaparera les places laissées vacantes par l'exclusion des juifs, comme Sartre et d'autres, nos Beaufs sauveront 75 % des Juifs de France par leur action et leur silence. Tandis que la France des beaux quartiers fera ses petites affaires en toute quiétude, nos Beaufs eux, se battront et mourront par milliers dans les maquis d'Auvergne et d'ailleurs. Le prix à payer, pour ces Beaufs d'alors, sera la négation de leur lutte et la création du fantasme d'une France Collabo (4).....Fantasme créé par les quelques Collabos (et enfants de Collabos...) qui n'ont jamais digéré leur trahison, leur propre veulerie.
Nos Beaufs d'aujourd'hui , ceux honnis par Cabu ou BHL, on les retrouve dans les banlieues lointaines et les provinces française si bien décrites Christophe Guilloui (5), essayant de survivre au désastre social conduit par la Gauche et la Droite réunies, tachant de garder la tête haute dans la grande débâcle culturelle et identitaire générée par une libéralisation qui est à l'ouverture au monde ce que la prostitution est à l'amour.. .
Ce peuple, trop présent, trop « vulgaire », qui ne correspond jamais à l'image d'Epinal qu'une certaine Gauche compatissante s'en fait....Ce peuple de Beaufs qui vote mal ou ne vote pas, ce peuple méprisé, renié, tapi dans le silence des misères indignes, mais des révoltes sociales toujours possibles, la France des petits maîtres a décidé d'en finir avec lui et de le remplacer au sens physique du terme. L'immigré, l 'étranger est devenu dans l'esprit pervers de nos élites, la figure parfaite du « bon peuple », du « bon travailleur ». Le Beauf ?« Le Juif Suss » de nos élites, est devenu à l'homme à abattre.
Néanmoins si le Beauf n'est qu'une construction mentale de nos petites élites, le citoyen égoïste, avare, lubrique, raciste qu'il décrit existe bien. Différence fondamentale avec le Beauf : il n'est pas pauvre. Il appartient à la classe dominante, celle de l'argent, du pouvoir et des médias. Eh oui ! cet individu borné, prés de ses sous, intolérant, va avec Sarkozy fêter sa victoire au Fouquet's ; cet individu bas du front, fouilleur de poubelles, dénonciateur de Juifs un jour, dénonciateur de mals-pensants ou de franchouillards l'autre, cet individu a sa tribune dans tous les médias. Un jour il officie dans la grande Presse de référence, l'autre il donne des leçons de morale au petit peuple via les écrans de télévision ou la radio. Il a sa conscience pour lui quand il va « trousser la domestique » sur les quais de Ouistreham. Jamais gêné. S'il est une star du football, il dénoncera avec aplomb le trop nombreux « petit » personnel blanc qui le sert ou fera payer à prix d'or des « conférences sur le racisme » qu'il donnera avec l'aplomb d'un mythomane consommé. Car si le Beauf est forcément blanc, forcément Français, la bêtise et la cuistrerie, elles, restent internationales.
1. « Le quai de Ouistreham » de Florence Aubenas
2. « Les dessaisis » de Gérard Desportes
3. « Dupont la Joie » de Yves Boisset (1974)
4. Lire le récit de la construction de cette France « collabo » dans « le chagrin et le venin »de Pierre Laborie
5. « Fractures françaises » de Christophe Guilluy
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