Pour Villepin, les médias français c’est de la pâtée pour chat
L’ancien Premier ministre, M. Dominique de Villepin, n’y était pas allé de main morte devant des étudiants de l’université Paris-Dauphine, le 6 mai dernier. Il avait dit tout le mal qu’il pensait des médias français : « de la pâtée pour chat », un « esprit de cour » qui « est une véritable vérole », et donc une absence d’ « esprit d’indépendance » et d’ « esprit critique », un rôle de porte-parole du pouvoir à la façon des « bulletins officiels ».
Il est allé jusqu’à prétendre que « l’époque impériale paraissait plus libre à bien des égards que la lecture des quotidiens nationaux (d’aujourd’hui). » (sic)
Si violente soit-elle, sa charge mérite cependant qu’on y revienne pour certaines « vérités » toujours bonnes à rappeler.
La presse de l’entre-deux-guerres comme modèle ?
À cette servilité des médias d’aujourd’hui, il a cru, par exemple, pouvoir opposer ce qu’il a estimé être la liberté de la presse de l’entre-deux-guerres « infiniment plus courageuse, selon lui, plus venimeuse ». Courageuse ? C’est à voir, mais venimeuse et criminelle, certes oui ! Faut-il, cependant, prendre pour modèle les campagnes haineuses de la presse d’extrême-droite – les Gringoire, Je suis partout, et autre Candide ? Le ministre de l’Intérieur du Front populaire, Roger Salengro, accusé à tort de désertion pendant la Première Guerre mondiale, n’a pas résisté : il s’est suicidé, le 17 novembre 1936. On sait ce qu’il est advenu ensuite de cette presse qui a embrassé la Collaboration.
Une relecture des médias qui tue
En revanche, M. de Villepin a raison d’affirmer qu’ « un bon journaliste est un journaliste qui peut relire les papiers qu’il a écrits six mois, un an avant », et même davantage, est-on tenté d’ajouter. Rien n’est plus cruel pour les médias que de relire leurs productions des années plus tard. Si la relecture de Paris-Match soulève plutôt l’hilarité, celle de la presse de 14-18 est atterrante. Les paroles s’envolent, les écrits restent, disaient les Romains. Les médias ne s’en méfient pas assez. Avoir osé écrire, comme Le Matin de Paris (27/4/1915) parmi tant d’autres leurres, que « les balles allemandes ne (tuaient) pas » et que les gaz asphyxiants n’étaient pas bien méchants, ou, comme L’Echo de Paris (15/8/1914), que l’ennemi était un lâche qu’il fallait injurier pour l’obliger à combattre, est un sommet de propagande nationaliste qui glace le sang même près de cent ans plus tard.
« Des médias dans la main des industriels »
On ne peut que déplorer aussi avec M. de Villepin que « les médias (soient) dans la main d’industriels qui sont partie prenante du jeu politique et économique » et qu’il existe entre eux « une consanguinité » qui explique l’état des médias français. Il serait facile de lui reprocher de s’en apercevoir après avoir quitté le pouvoir. Il est néanmoins important qu’un ancien Premier ministre en vienne à dénoncer, même un peu tard, ces contraintes économiques incompatibles avec la liberté d’expression.
L’illusion de la transparence
Un autre aveu n’est pas moins important à relever dans la charge de M. de Villepin : « La transparence en politique, a-t-il reconnu, c’est toujours le maquillage de quelque chose. La transparence, c’est montrer ce qu’on veut bien montrer. » Parole d’expert ! On ne peut reprocher à M. de Villepin de parler de ce qu’il ne connaît pas. On ne l’a pas attendu pour s’en convaincre, objecteront certains. Sans doute ! Mais on ne s’attendait pas à une telle sortie de sa part.
Le titre premier de la loi du 12 avril 2000 s’intitule, par exemple : « Dispositions relatives à l’accès aux règles de droit et à la transparence ». On est loin d’imaginer que son article 6 a été conçu pour au contraire rétablir l’opacité administrative que l’article 6 bis de la loi du 17 juillet 1978 avait contribué à combattre : au nom de la transparence, il est interdit à une victime d’une lettre de dénonciation d’obtenir copie de celle-ci au motif que cette communication nuirait au dénonciateur. Mais, au nom de la transparence, les choses ne sont pas dites aussi crûment. Qu’on en juge à ce charabia ! « Ne sont communicables qu’à l’intéressé, est-il seulement précisé, les documents administratifs faisant apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. » Un chef-d’œuvre de transparence ! Comprenne qui pourra ! M. de Villepin a raison : « La transparence en politique c’est toujours le maquillage de quelque chose », « c’est toujours montrer ce que l’on veut bien montrer. »
Une illusion entretenue
Cette confirmation de la bouche d’un expert renforce ainsi la critique d’une illusion tenace selon laquelle on serait entré dans une ère où, grâce aux prodiges de la technologie électronique, toutes les informations sont désormais disponibles immédiatement. Cette transparence édifierait une sorte de « maison de verre » offerte dans tous ses recoins à la contemplation de tous.
Il n’est pas question de nier la vitesse des médias contemporains et leur confondante fidélité de représentation, mais de répéter une observation d’évidence : la qualité de l’information n’est pas proportionnelle aux performances des médias.
Or, les médias s’escriment à persuader leurs récepteurs du contraire. Ils entretiennent l’illusion dans leur propre promotion. La chaîne d’information continue France-Info , par exemple, traduit par son nom même la grande familiarité que l’on prétend avoir avec l’information nommée par son diminutif, « l’info ». Ses slogans promettent l’information exhaustive, en confondant répétition incessante des mêmes informations et exhaustivité : « France-info, l’information 24h sur 24 » ou encore « France-Info , pour être informé aussi vite qu’un journaliste ». Plus généralement, les médias prétendent tout dire pour tout savoir...
La primauté du secret
Cette frénésie promotionnelle ne peut masquer pourtant la place prépondérante que conserve le secret depuis toujours au point qu’il n’est pas imprudent de le comparer à la part immergée de l’iceberg, et la masse d’informations accessibles à sa part émergée. Cette primauté du secret est tout simplement contenue dans le principe fondamental de la relation d’information qui conduit l’émetteur à refouler et dissimuler toute information susceptible de lui nuire, qu’il soit individu ou groupe. La transparence, c’est montrer ce que l’on veut bien montrer. Etats, institutions, entreprises, professions, familles et individus, tous veillent attentivement à protéger des secrets qui assurent, d’une part, leur survie et, d’autre part, conditionnent l’efficacité de leurs stratégies de pouvoir depuis que le monde est monde.
M. de Villepin a beau appeler les journalistes à « regarder ce qu’il y a derrière le rideau », il n’est pas sûr qu’ils y parviennent vu les contraintes qui pèsent sur la relation d’information, comme les contraintes économiques qu’il dénonce. L’odyssée du journaliste Denis Robert en offre une illustration. Aussi, quelle que soit l’autorité dont aiment à se prévaloir les émetteurs, les récepteurs n’ont-ils d’autre moyen à leur disposition pour se protéger que l’exercice du doute méthodique. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit tant décrié des prescripteurs d’opinion.
Paul Villach
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