Pourquoi je vote Emmanuel Macron... version Heavy Metal !
Dois-je le confesser ? Je ne m'intéresse pas aux primaires de la Gauche (celles de la Droite et du Centre nous avaient au moins offert le plaisir de remettre à leur place le favori des sondages et l'ancien agité de l'Élysée) et je n'attends rien de l'élection présidentielle, à part peut-être le léger frisson que les téléspectateurs ressentent à 20h au moment de la divulgation des résultats par David Pujadas. C'est un bon spectacle pour un dimanche soir, qui vaut bien un mauvais film ou un match de football.
Des militants en bancs de poissons
A quoi bon s'enthousiasmer pour un candidat qui n'est bon qu'à racoler et à tromper ? On a beau le savoir, qu'une promesse n'engage que celui qui y croit, on est toujours tenté de croire que la prochaine fois sera peut-être la bonne, qu'un homme courageux et droit finira par accéder au pouvoir. Et invariablement, le même spectacle : des foules ivres de joie le soir de l'élection, frisant l'orgasme collectif, plongées dès le lendemain matin dans une longue gueule de bois de cinq années. Post coïtum animal triste.
Parfois, le changement d'attitude vis-à-vis de son champion n'attend même pas le lendemain de sa victoire finale. Le système des primaires permet d'en être déçu et de le rejeter avant même que l'élection reine ne commence. Il n'est qu'à voir le cas de François Fillon : adulé hier sur les réseaux sociaux par tous les "natios", frustrés par un "marinisme" trop mou, au seul motif qu'il s'était dit catholique et avait signifié que l'islam était la seule religion qui faisait problème en France, dégommé par les mêmes à présent, surnommé "Farid Fillon", car entre-temps ces fans ultra-droitiers sont sortis de leur rêve, ont ouvert les yeux, et ont soudain vu l'homme tel qu'il était : pas le Sauveur, mais un simple politicien qui parle bien et dont l'épaisseur des convictions ne doit pas l'empêcher de retourner sa veste si le besoin s'en fait sentir (voir sa spectaculaire volte-face vis-à-vis de Bachar el-Assad).
L'opinion est versatile et, à l'heure de Twitter, on la voit presque évoluer sous nos yeux, à la manière d'un banc de poissons : si un leader plein de followers dit "à droite", tout le banc de twittos part à droite avec enthousiasme, s'il dit "à gauche", le banc ne bonche pas et part à gauche, avec un enthousiasme intact.
Des candidats dans la surenchère rebelle
Nos candidats ne sont guère plus innovants : ils ont vu un gros poisson nommé Trump gagner une élection aux USA en rentrant dans le lard du "système" et des médias, et les voilà tous, nos poissons made in France, qui se présentent à nous comme des rebelles, en lutte contre une caste qui tient tous les pouvoirs. Un simple exemple :
Mon projet perturbe les castes bien établies. Tous ceux qui, au fond, profitent du système. Tous ceux qui veulent conserver leur pré carré. pic.twitter.com/pgEaoUaGYv
— François Fillon (@FrancoisFillon) 21 janvier 2017
Rappelons juste que l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy envisagerait, d'après La Tribune, de nommer Henri de Castries, ex-PDG d'Axa, Young Leader de la French-American Foundation et président du comité de direction du groupe Bilderberg, au poste de ministre des Finances. De la rebellitude en barre.
"Début novembre [2011], hors agenda officiel, le Premier ministre reçoit à dîner à Matignon le PDG d’Axa et une trentaine de membres du groupe Bilderberg, banquiers d’affaires américains, patrons de multinationales et responsables politiques transatlantiques. Quand, quelques mois plus tard, Castries prend la présidence de ce cercle autoproclamé des « maîtres du monde », Fillon est l’invité vedette de sa très fermée réunion annuelle. Le début d’un compagnonnage aussi actif que discret" (Libération, 16 janvier 2017).
En fait, avec nos politicards, il faut seulement s'entendre sur le sens des mots. Les "castes bien établies" qui "profitent du système" ne sont évidemment pas les patrons du CAC 40, qui, à leur façon, sont bel et bien des rebelles, c'est-à-dire des libéraux intégraux, toujours prêts à chambouler tous les conservatismes pour accroître leurs profits. De Castries, dans un discours prononcé en 2012 face à un Fillon ravi, livrait déjà le credo du futur candidat : éloge du risque et du travail qui libère, à condition de n'être pas freiné par une législation absurde qui fixe un âge de départ à la retraite et entrave le travail le samedi et le dimanche. Ce sont les couches basses et moyennes de la société qui se cramponnent à leurs acquis et qui, dans la bouche de nos rebelles d'en haut, "profitent du système".
"Les ouvriers et la petite-bourgeoisie (...) ont un sens des limites plus hautement développé que les classes supérieures" (Christopher Lasch, La Révolte des élites et la trahison de la démocratie, Champs-Flammarion, p. 39).
Les quelques lignes qui suivent, rendant compte du livre de Jacques Ellul L'Illusion politique, n'incitent pas non plus à trop se passionner pour une compétition politique, dont le vainqueur n'aura pour fonction que de nous faire accepter ce qu'il n'aura même pas lui-même choisi :
"La bureaucratie (composée d'experts techniciens et influencée par des groupes de pression) élabore des décisions, et les organes dits de démocratie représentative ne servent qu'à avaliser ces décisions. (...) Lorsque l'État prend une décision, son application se fait de manière autoritaire et est toujours sans appel. (...) Face à cet autoritarisme, l'administration a mis en place les "relations publiques" : il s'agit d'amener le citoyen à comprendre pourquoi la décision prise a été nécessaire, et d'aider le citoyen à collaborer activement avec l'administration. (...) Le seul apport du politique, c'est la forme, l'apparence : il séduit le citoyen pour lui faire accepter l'inacceptable."
Nos bonimenteurs mis en boîte... musicale
Le seul apport du politique, c'est la forme, l'apparence... De beaux discours, et pourquoi pas de belles chansons. Certains l'ont compris, à l'image de Khaled Freak, qui propose sur sa chaîne YouTube "un contenu qui donne le sourire basé sur des remixs de personnalités publiques, politiques", etc. On y retrouve tous nos bonimenteurs médiatiques, dont des bribes de leurs discours remixés ont été mis en musique. Tantôt chansons à textes, tantôt morceaux plus sommaires, le résultat est souvent excellent.
Les vidéos les plus réussies sont sans doute celles mettant en scène Jean-Luc Mélenchon. Pas de hasard, puisqu'il s'agit du meilleur de nos tribuns actuels. Il y a du fond, des messages forts, un refrain qu'on retient ; ces remix pourraient presque devenir, à l'insu de leur auteur, de véritables armes de propagande politique aux mains du leader du Front de Gauche, dont l'accession au second tour de la présidentielle, si elle est improbable, n'en reste pas moins possible. Mélenchon a lui-même salué le travail.
- Jean-Luc Mélenchon : "Hypocrites"
- Jean-Luc Mélenchon : "Le problème c'est celui de ceux qui se gavent"
Voici la vidéo de Khaled Freak qui a été le plus visionnée (près de 2 millions de fois) : remix d'un débat à l'Assemblée nationale entre Dominique Dord (UMP) et Bernard Cazeneuve (PS) concernant les problèmes de finance.
- Dord vs Cazeneuve : "C'est pas de votre faute"
On pourrait encore citer les remix de Sarkozy sur la double ration de frites, d'André Chassaigne sur le triple coup de force du 49-3, de François Hollande avec son tube "J'ai décidé de ne pas être candidat", de Marine Le Pen faisant du raï en duo avec "Cheb Jean-Marie", ou encore d'Alain Finkielkraut avec son fameux "Taisez-vous !". Les styles musicaux sont variés et chaque création révèle une part de vérité des personnages.
Mais j'avoue que j'ai un faible pour le remix du discours du possédé Emmanuel Macron, façon Heavy Metal (à écouter le son à fond !). Le propos est ici totalement vide de sens (on est loin de Mélenchon) et hystérisé à l'extrême, bien à l'image de la baudruche du mouvement En Marche. On pourrait dire que nous avons là, dans sa pureté cristalline, le seul message que tout politicien veut nous faire passer, le reste n'étant généralement que de l'enrobage. En voyant la foule qui entoure le possédé, je me mets à prendre au sérieux ces propos de Seymour Martin Lipset, dans L'Homme et la politique :
« Des études très sérieuses ont montré que l'accroissement rapide de la participation électorale est dangereuse pour la démocratie, car ce sont les citoyens les moins éclairés qui se mettent soudain en mouvement. Par conséquent, l'apolitisme n'est pas automatiquement et en soi condamnable. »
Pour encore plus de rigolade, regardez bien la fille en jaune derrière Macron. Mi-fascinée, mi-amusée, on a un peu l'impression qu'à un moment donné, lorsqu'elle se tourne vers sa copine, elle se fout franchement de sa gueule... Drôlatique !
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