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Pourquoi l’alternative à la transplantation cardiaque est-elle peu utilisée ?

Vous pouvez poser vos questions sur les transplantations d'organes sur la plateforme http://www.vosquestionssurlagreffe.fr/ jusqu'au 28 juin 2011. Cette plateforme est l'oeuvre de l'Agence de la biomédecine, dans le cadre de la journée nationale de réflexion sur le don d'organes (22 juin). Voici ma question, posée au Professeur Pascal Leprince, service de chirurgie cardiaque, Hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris.

 

Bonjour Professeur Leprince, j'aimerais savoir pourquoi la micro-turbine pour assister un coeur défaillant reste si peu utilisée, et si peu connue du grand public, alors que le traitement de l'insuffisance cardiaque sévère n'est pas la transplantation, mais justement ... cette micro-pompe qui permet aux ventricules cardiaques de récupérer ... et ça marche, depuis 2004 ! Nos populations européennes vieillissent - avec le cortège de maladies chroniques que cela suppose - dont l'insuffisance cardiaque. Ce ne sont pas les quelque 340 coeurs prélevés par an en France (moyenne annuelle sur les 5 dernières années, source : Agence de la biomédecine) qui vont répondre aux besoins de cet immense et juteux marché, comme vous vous en doutez. Faut-il parler des abus de ces cardiologues qui gardent des patients en insuffisance cardiaque bien plus longtemps qu'ils ne le devraient (encore une petite pilule, encore un petit "stent") alors que ces patients auraient dû être montrés depuis longtemps à un chirurgien (mais ces patients pour le cardiologue, c'est mieux qu'un livret A ...) ... si bien que quand le chirurgien cardiaque les voit, c'est trop tard ... Le "stent" (petit ressort qu'on met dans un vaisseau pour le dilater ou le retendre) n'est pas la panacée ... à terme, il cause ... l'insuffisance cardiaque ... et là, c'est trop tard pour opérer. Pourtant, certains cardiologues n'hésitent pas à implanter 15 stents dans un même patient ! Les laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent ces stents ont un savoir-faire en marketing aussi redoutable que celui d'Orange : ils recrutent des cardiologues prestigieux, baptisés leaders d'opinion, grassement payés, qui vont de congrès en congrès chanter les mérites de ces stents "nouvelle génération" accompagnés de médicaments (Paclitaxel par ex.) - or ces mérites font débat - ainsi que de très jolies (et disponibles) expertes en marketing pour charmer les cardiologues présents à ces congrès. Marketing rime avec dream team. Au fait, je salue au passage mon ancien patron (eh oui j'ai travaillé dans une de ces sociétés américaines qui fabriquent des stents), qui avait à l'époque quelques problèmes d'alcoolisme ... sans doute parce qu'il voyait et comprenait ce manège peu déontologique ... Ce Monsieur qui m'a expliqué bien des choses a toute mon admiration. Je me rappelle cet entretien que nous avons eu en privé, dans un restaurant où nous étions tous deux assis, silencieux et graves, tête baissée. Il a fini par me dire que la société ne me gardait pas uniquement à cause de mon incompétence dans mon travail, et non parce que j'avais déjà 34 ans, que j'aimais un peu trop mon mari ("ah, l'amour !"), que je n'étais pas habillée assez sexy pour le boulot, et que je n'étais pas assez "gentille" avec les cardiologues aux congrès ... Un temps de silence ... Je suis interloquée ... Il ajoute : "Vous avez fait un super boulot. Merci." Sur le coup, je l'ai mal pris et ai été quelque peu vexée. Avec le recul, j'apprécie son humour à sa juste valeur. Que ne l'ai-je fait avant ... Mais poursuivons ... Nous avons donc des patients en insuffisance cardiaque, pris en otage (à leur insu) par leur cardiologue, un petit stent par ci, une pilule par là ... Je salue au passage le cardiologue de mon mari, expert auprès des tribunaux, excellent médecin, et qui m'a confirmé tout ceci ...

Scénario 1) Un jour le patient en insuffisance cardiaque finit par aller voir un chirurgien (le stent, pour l'implanter, faut juste un trou d'aiguille. Faut dire que c'est mieux qu'une large incision comme celles qui sont pratiquées en chirurgie cardiaque ...) ... qui lui dit que c'est trop tard ... C'est comme cela qu'aujourd'hui des patients qui ont déjà un pied dans la tombe se retrouvent transplantés cardiaques (autant vous prévenir, les résultats ne sont pas fameux ...)

Nombre de chirurgiens transplanteurs français se plaignent que des patients se trouvant dans un état qu'ils jugent très (trop) grave bénéficient tout de même d'une transplantation cardiaque, coûteuse et ne servant finalement pas à grand-chose ... Propos recueillis aux Journées de l'Agence de la biomédecine, Paris, mai 2011.

Scénario 2) Un jour le patient en insuffisance cardiaque s'écroule dans la rue, il fait ce qu'on appelle un "arrêt cardiaque non contrôlé". Vous savez qu'on manque de reins à transplanter. Regardez comme la nature est bien faite, pourvu que la main de l'homme y pourvoie de temps à autre : depuis la loi du 21 avril 2005 - certes il a fallu attendre 2007 pour que ce décret de loi entre en application -, une situtation d'arrêt cardiaque peut faire de chacun de nous un donneur ... de reins ... selon un protocole que les experts américains (et certains français) trouvent largement contestable, si ce n'est choquant. Il s'appelle : "prélèvement 'à coeur arrêté'". Que dire du fait que l'usager de la santé n'est informé en rien de cette situation, alors qu'il est présumé, de par la loi, consentir au don de ses organes à sa mort ? Dr. Jean Leonetti (éminent cardiologue et maire d'Antibes), vous qui êtes l'homme clé des lois bioéthiques 2011, pourriez-vous nous éclairer sur ce point ? Par avance merci ... Voici donc le protocole français : vous faites un arrêt cardiaque dans la rue. Quelqu'un prévient les secours. On tente de vous réanimer une petite demi-heure. Si cela ne marche pas, on débranche tout, les toubibs gaulois se croisent les bras et attendent 5 mn. Au bout de 5 mn (on dirait la cuisson d'un plat au micro-ondes) ... Ding ! ... c'est prêt ! ... le patient est déclaré en état de mort par "arrêt cardio-respiratoire persistant". On va pouvoir l'emmener au bloc et prélever ses organes (reins et foie). Pour cela, au bout de ces fameuses 5 mn, une autre réanimation est entreprise, non plus dans l'intérêt du patient (il est dit "mort"), mais dans le but de conserver ses reins pour les prélever. Inutile de préciser que cette réanimation au profit des organes vitaux est invasive ... douloureuse ... J'ai vu des toubibs s'énerver grave quand ils ont eu connaissance de cette pratique (un certain médecin réanimateur au CHU de Brest, notamment que je remercie pour ses explications) ...

Vous êtes malade, sur le bord de la route, les secours arrivent. Est-ce pour vous réanimer, vous ? Ou pour vous déclarer mort et prélever vos organes ? Terrible ambiguité, n'est-ce pas ? Pénurie de reins et de coeurs à greffer, vieillissement de la population, très forte augmentation des maladies chroniques (diabète, hypertension, insuffisance cardiaque), stents, non-utilisation de la micro-turbine pour assister un coeur défaillant, prélèvements "à coeur arrêté" ... tout est lié ... Et ... pour illustrer cette petite histoire du don d'organes, voici l'histoire d'Aline Feuvrier-Boulanger, jeune (et jolie) auteure du livre "Mon coeur qui bat n'est pas le mien" : son père est décédé (jeune) d'une maladie génétique causant une malformation cardiaque. Aline a eu la même maladie, mais les médecins qui la suivaient ont fermé les yeux. Ils ont attendu qu'elle décède d'un arrêt cardiaque (à 19 ans) pour la rattraper in extremis, lui poser un "coeur artificiel" lourd et contraignant, faisant des bruits effrayants, la transplanter en hyper-urgence dans la foulée ... Bien des chirurgiens m'ont dit que si on avait utilisé la micro-turbine pour assister un coeur défaillant ... on aurait pu éviter à Aline tout ce calvaire ... Son histoire a été récupérée pour faire la promotion du don d'organes ("donnez-votre-coeur") ... J'ai fait un travail sur l'histoire d'Aline pour l'Académie Nationale de Médecine en février 2010 ... ils ont été intéressés ... surtout les chirurgiens spécialistes du coeur ... J'ai écrit à Aline ... J'ai rencontré Aline ... Une jeune femme très attachante, très sympathique ... J'ai bien du mal à cacher l'émotion que son histoire - toutes ces injustices - ont suscité et suscitent encore en moi ... La transplantation cardiaque, vitrine du grand supermarché du Don d'organes ? ... On aurait l'air malin, avouez, s'il fallait réclamer des pancréas et non plus des coeurs ... Réclamer un coeur, c'est sexy ... En espérant avoir assez précisé ma question.

Cordiales salutations.
C. Coste

 ==> La réponse du Pr. Pascal Leprince :

"Deux questions ressortent de ce courrier.

La première concerne l’utilisation des pompes d’assistance circulatoire à débit continu (le terme 'micro-pompe' est malheureusement inapproprié). Les dernières générations montrent de fait une réelle efficacité dans le cas de l’insuffisance cardiaque gauche et elles prennent une place de plus en plus importante dans son traitement. La France a un peu de retard par rapport par exemple à nos collègues allemands chez lesquels le taux d’utilisation de pompes d’assistance circulatoire est environ 7 fois plus important. Il est nécessaire que les dossiers des patients insuffisants cardiaques soient discutés de façon collégiale entre les cardiologues et les chirurgiens aussi précocement que possible afin de juger au mieux l’utilité potentielle de ces pompes chez chaque patient. Le recul avec ces pompes reste inférieur à celui que l’on a avec la transplantation. Il ne s’agit donc pas, dans l’état actuel des choses de remplacer la transplantation mais d’utiliser au mieux une ressource rare qu’est le greffon cardiaque et d’éviter que l’état clinique des patients ne se détériore en attendant la transplantation.

La seconde question concerne le don d’organe chez les patients décédés d’un arrêt du cœur. Il s’agit de patients pour lesquels toutes les mesures de réanimation (selon les recommandations internationales) ont été entreprises et pour lesquels il n’y a aucune chance de survie, même en cas d’implantation d’une assistance circulatoire périphérique. Les critères précis ont été définis par les différentes sociétés savantes françaises."

Pascal Leprince

Mon commentaire : En ce qui concerne les prélèvements dits "à coeur arrêté" et qui dans les faits permettent de prélever des reins et foies (les deux organes les plus demandés) à partir de patients se trouvant en arrêt cardio-respiratoire persistant, les "critères précis [qui] ont été définis par les différentes sociétés savantes françaises" ne font consensus, au sein de la communauté scientifique médicale, ni en France, ni dans les pays anglo-saxons. Il est intéressant de constater que ces "prélèvements à coeur arrêté" sont interdits en Allemagne, et qu'en France aucune information n'est donnée à ce sujet, alors que tout citoyen est présumé consentir au don de ses organes à sa mort ...


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4 réactions à cet article    


  • njama njama 23 juin 2011 23:05

    Bonjour Catherine

    Je suis avec intérêt vos articles ...
    Sur vos derniers questionnements, je confesse mon incompétence, mon ignorance du sujet, mais ils me rappellent par analogie quelques investigations que j’avais faites à propos du sérum isotonique de René Quinton comme substitut du sang ... de l’eau de mer en fait.

    D’un point de vue « physique » la question est qu’en cas d’hémorragie, bien évidemment il faut suppléer aux pertes de « liquide sanguin » pour maintenir (au moins) dans un premier temps une pression artérielle suffisante, et d’un autre point de vue « physiologique », maintenir l’ensemble des paramètres physico-chimiques de l’organisme etc. (homéostasie)... c’est aisé à comprendre ...

    Je n’ai pas le temps de développer [...] mais vous avez du talent pour les investigations, et, sans préjuger que des transfusions sanguines soient nécessaires dans certains cas bien précis, j’ai du mal à comprendre pourquoi on ignore une solution si simple et qu’on s’obstine à fidéliser des donneurs, à pleurer à la pénurie, et en chaque saison nous rabattre les oreilles avec les dons du sang !


    • Catherine Coste Catherine Coste 23 juin 2011 23:31

      @njama : Vraiment très intéressant ! Vous me donnez envie d’investiguer sur la question ! Je vais commencer par les sources que vous indiquez dans votre message, mais si vous en avez d’autres à m’indiquer, n’hésitez pas ! Merci beaucoup pour ce message smiley

      Catherine Coste
      [email protected]


      • mandrin45 mandrin45 9 juillet 2011 23:56

        Bonjour,

        Cela fait environ quatre ans que je lis vos articles avec intérêt. C’est eux en partie qui m’ont amené à m’inscrire au registre national du don d’organes pour m’opposer à cette éventualité. Mais ce registre est-il crédible ? J’en doute puisqu’il est géré par l’agence de Biomédecine qui est loin d’être un exemple de transparence, sachant que cet organisme fait avant tout de la propagande pour les greffes. Admettons que j’ai un arrêt cardiaque demain pont d’Austerlitz. Les secours seraient là très vite étant donné la proximité de La Pitié Salpêtrière. Disons que je meurs dans les dix minutes( et qu’est-ce que la mort ?). N’empêche que ces gens là n’iront jamais vérifier si je suis inscrit sur le registre national de refus du don d’organes avant de pratiquer des gestes invasifs sur mon soi-disant cadavre, style refroidissement corporel ou une circulation extra-corporelle. Je ne serais dans ce cas là pour eux qu’un réservoir d’organes jusqu’au moment où ils interrogeront la base de données de l’agence de biomédecine.

        Depuis que je vous le lis, je me suis posé la question, et surtout depuis que les prélévements à coeur arrêté ont repris. J’aimerais bien que vous y répondiez.


        • Catherine Coste Catherine Coste 11 juillet 2011 09:52

          @Mandrin45 : Merci pour votre message. Vous mettez le doigt sur LA faille dans le système du « don » consenti, anonyme et gratuit, dans un contexte juridique de consentement au don de nos organes à notre mort : le « consentement présumé ». Le registre national des refus, géré par l’Agence de la biomédecine, seul les personnels de santé y ont accès. Pas les usagers de la santé. L’usager de la santé (proche d’un potentiel donneur d’organes vitaux, par exemple) n’a aucun moyen de vérifier que les acteurs des transplantations consultent effectivement ce registre. D’ailleurs très peu de personnes y sont inscrites ... Selon une enquête de septembre 2010 (Optido), les acteurs de la santé pensent que ce registre des refus ne sert à rien ... Il n’y a donc aucune obligation de preuve pour les acteurs des transplantations lorsqu’ils disent que la loi les contraint à examiner ce registre avant toute chose, lorsqu’un patient est identifié comme potentiel donneur. Cette obligation est théorique. En pratique, elle n’est pas toujours respectée, notamment dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté », comme vous le mentionnez. Les prélèvements « à coeur arrêté », ce sont les prélèvements de reins et foie à partir d’un patient qui a fait un arrêt cardiaque et sur lequel les manoeuvres de réanimation « ont échoué ». Ledit patient se retrouve en « arrêt cardio-respiratoire persistant » ; on parle de « prélèvements ’à coeur arrêté’ » parce que c’est un terme plus rassurant que « arrêt cardio-respiratoire persistant » ... Pourtant seul ce dernier terme correspond à la réalité physiologique et scientifique du prélèvement de reins et de foie « à coeur arrêté » ...

          Le consentement présumé est un consentement obligatoire.

          L’Agence de la biomédecine dépend du ministère de la Santé. Elle a pour mission de promouvoir l’activité des transplantations d’organes dans tous les hôpitaux de France. Cette mission est inscrite dans ses statuts. La dernière loi bioéthique, votée en juin 2011, est l’oeuvre de l’agence de la biomédecine. Cette loi réglemente l’activité des transplantations d’organes et de tissus. Le citoyen usager de la santé n’a pas vraiment eu son mot à dire, pas plus qu’il n’est informé sur les « prélèvements à coeur arrêté », pour lesquels il est présumé consentant (loi) ... Rappelons que pour les prélèvements « à coeur arrêté », des manoeuvres de réanimation invasives, au seul bénéfice des organes à prélever, sont effectuées sur un patient avant même de pouvoir établir la volonté dudit patient ... Le Pr. Emmanuel Hirsch, directeur de l’Espace Ethique de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, a parlé d’un « grave déficit de démocratie dans la loi bioéthique de juin 2011 » (Forum Innov’Tech Santé, Les Echos, Paris, 30/06 - 01/07/2011). 

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