Pourquoi la guerre du Haut Karabagh ?
Texte mis à jour le 18 décembre 2020
L’intangibilité des frontières héritées de la colonisation est un principe absolu auquel adhère la totalité des pays membres de l’ONU. Les autres arguments comme ceux présentés par les Arméniens pour justifier une éventuelle indépendance du Haut-Karabagh (le Haut-Karabagh est peuplé d’Arméniens pas d’Azéris, nous Arméniens sommes là depuis 2500 ans, nous avons ici nos monuments historiques, nous parlons une autre langue, nous pratiquons une autre religion, même l’écriture est différente) n’ont absolument aucune valeur. Le seul fondement du droit international est le décret de Staline du 4 juillet 1921 rattachant le Haut Karabagh à l’Azerbaïdjan.
Le cas du Katanga.
Le 11 juillet 1960, le leader séparatiste Moïse Tshombé proclamait l’indépendance du Katanga depuis Elisabethville l’actuelle Lubumbashi. Une sécession qui précipita le Congo tout juste indépendant dans une sanglante guerre civile sur fond de guerre froide. Et aussitôt ce fut haro sur le baudet, La guerre civile prit une dimension internationale, avec l’invention des casques bleus contre les Katangais, une force internationale envoyée par l’ONU pour mettre fin à une sécession inacceptable. Moïse Tshombé s’exila en Espagne quand les Nations unies mirent fin à la sécession en janvier 1963. Troublant la « pax Mobutu », le Katanga refit parler la poudre en 1978, quand des rebelles séparatistes s’emparèrent de la cité minière de Kolwezi où ils tuèrent Congolais et Occidentaux. Ils s’en prenaient surtout aux Français, qu’ils accusaient d’être des mercenaires. Mobutu mobilisa ses soutiens étrangers, et la France envoya ses parachutistes de la Légion étrangère pour mater la rébellion.
La bataille de Kolwezi : Entrée dans la légende de l'armée française, la bataille de Kolwezi fit plus de 1 000 morts. Les derniers nostalgiques de Tshombé reprirent de loin en loin les armes. En mars 2013, près de 250 combattants du mouvement « Kata Katanga » (détacher le Katanga) défièrent une dernière fois les forces de sécurité à Lubumbashi (une trentaine de morts), avant de se rendre... aux Nations unies
Le cas du Biafra
Le Nigeria, lui aussi indépendant en 1960, est un pays immense peuplé à l’époque de 40 millions d’habitants (aujourd’hui plus de 100 millions). Les lbos au lgbos au sud-est sont chrétiens, alors que la plupart des Nigérians au nord, Haussas et Yorubas, sont musulmans. Cela commença par des pogroms anti-ibos. 30 000 lbos installés dans le Nord furent massacrés en 1966. Des massacres reprirent la même année contre les quelques lbos encore restés dans le Nord et qui ne s’étaient pas réfugiés dans la province à majorité lbo située dans le Sud-Est. Et comme les pogromes ne suffisaient pas, le pouvoir central modifia la constitution enlevant à la province lbo su Sud-Est ses pouvoirs et ses revenus.
Le 26 mai 1967, le Conseil consultatif de la région de l’Est vota la sécession de la région. Le 30 mai Ojukwu, le gouverneur, proclama l’indépendance de la région, qui prit le nom de République du Biafra, avec Enugu pour capitale. L’armée biafraise comptait alors environ 100 000 hommes. L’état d’urgence décrété au Nigeria le 26 mai 1967 permit au gouvernement central d’instaurer des mesures policières visant à reprendre le contrôle du Biafra. La guerre éclata. Fin 1969 la rébellion biafraise était définitivement écrasée. Elle aura fait un million de morts. Mais qu’est-ce que un million de morts face au respect de la sacro-sainte intangibilité des frontière héritées de la colonisation. ?
De Gaulle voulait soutenir le Biafra, espérant diminuer l’influence britannique et le poids d’un géant anglophone en Afrique de l’Ouest. Mais il ne pouvait pas le faire ouvertement, toujours en raison du sacro-saint principe. Cinq pays reconnurent l’indépendance du Biafra : le Gabon, la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, la Zambie et Haïti.
D’autres exemples
On pourrait multiplier les exemples, parler de l’écrasement de la rébellion tamoule à Ceylan dans l’indifférence générale. Et que dire du Tibet ? Les Américains, qui enverront jusqu’à 500 000 hommes au Viet Nam pour lutter contre le communisme, ne bougèrent pas le petit doigt quand Mao Tsé Toung occupa ce qui était censé être une province chinoise. En Europe il ya eu, et il y a toujours, le cas de la Catalogne. Les leaders catalans furent arrêtés et jugés pour avoir organisé un référendum illégal. Et une fois de plus la communauté internationale approuva, en particulier l’UE. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker déclara qu'il ne souhaitait pas que la Catalogne devienne indépendante, craignant un effet domino en Europe. « Si nous laissons la Catalogne se séparer — mais ce n'est pas notre affaire —, d'autres le feront. Je ne souhaite pas cela », avait-il martelé dans un discours devant des étudiants à l'université du Luxembourg. Il s'était dit « très inquiet » face aux menaces séparatistes en Europe. « Je ne veux pas d'une Union européenne qui comprendrait 98 États dans 15 ans. C'est déjà relativement difficile à 28, pas plus facile à 27, mais à 98, ça me semble impossible », avait ajouté Juncker, appelant à « la responsabilité de tous les acteurs ». 98 pays ! Amusant de la part de l’ancien premier ministre du Luxembourg. Si tous les États d’Europe avaient la taille du Grand Duché, il y aurait plus de 98 pays ! (Pourquoi précisément 98 et non pas 97 ou 99 ?).
Le cas du Haut-Karabagh
Venons-en à l’Arménie. L’affaire commença comme au Nigeria, par des pogromes, des pogromes anti-arméniens, en particulier à Soumgaït, une banlieue de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. 500 000 Arméniens fuirent le pays. Les Arméniens réclamaient l’indépendance du Haut-Karabagh, peuplé à 95% d’Arméniens. C’est Staline qui avait donné le Haut-Karabagh à l’Azerbaïdjan par son décret du 4 juillet 1921. Dans le même texte il donnait une autre province, arménienne, le Djavakh (ou Javakh), à la Géorgie. Et ce décret du 4 juillet 1921 est désormais le fondement du droit international.
Mais, à la différence du Katanga, du Biafra, ou de l’Eelam ceylanais, le Haut-Karabagh fut soutenu par son voisin, l’Arménie nouvellement indépendante. En 1994, les Arméniens avaient gagné la guerre, mais l’indépendance de Haut-Karabagh ne fut reconnue par personne. La guerre reprit donc le 27 septembre 2020. Cette fois-ci les Azerbaïdjanais sont vainqueurs, pour nombre de raisons : pays plus peuplé, plus riche, mieux armé, soutenu par la Turquie, etc. Mais une fois de plus le discours quant à l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation fait chorus.
Ainsi l’Iran. Mardi 3 novembre 2020, dans un discours télévisé, le guide suprême, Ali Khamenei a appelé les deux voisins de l'Iran à cesser les hostilités et à ne pas violer « les frontières internationales ». L'ayatollah a assuré Bakou de son soutien politique : « Bien entendu, les territoires dont s'est emparée l'Arménie doivent être libérés et rendus. Ces terres appartiennent à l'Azerbaïdjan, qui a plein droit dessus. Mais, la sécurité des Arméniens qui y vivent doit être assurée ». Voilà un pays ami et allié de l’Arménie, laquelle Arménie avait refusé d’entrer dans le boycott de l’Iran imposé par Trump, voilà l’ennemi juré d’Israël, allié de l’Azerbaïdjan, qui prend parti pour l’Azerbaïdjan. C’est que sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières s’applique particulièrement à l’Iran. L’Iran a une minorité kurde, une minorité arabe (dans le Khouzistan) et une importante minorité azérie (entre 16 et 25 % de la population iranienne selon les estimations soit entre 12,7 et 15 millions d’Azéris en Iran, contre 10 millions d’habitants dans l’Azerbaïdjan indépendant qui ne sont pas tous Azéris). De même la Géorgie, qui a laissé passer les armements turcs sur son territoire, possède une province arménienne que lui a offerte Staline.
Et l’Azerbaïdjan l’a emporté grâce au soutien militaire turc. Cette Turquie qui envoie des mercenaires en Lybie, intervient à Chypre, entend forer dans les eaux territoriales grecques et transforme Sainte-Sophie en mosquée. On pourrait penser que pour toutes ces raisons la communauté internationale, exaspérée par les rodomontades d’Erdogan, soutiendrait l’Arménie. Pas du tout. Rien ne déroge au principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Erdogan le savait et jouait sur du velours.
Il n’existe que deux moyens pour une région, une province d’obtenir son indépendance. La première est que l’indépendance est accordée par la puissance coloniale. C’est le cas de la plupart des pays d’Afrique et d’une grande partie des pays d’Asie. La seconde est que les provinces décident ensemble de se séparer. C’est le cas de l’URSS, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie.
Parlons de la Yougoslavie. Apparemment c’est simple : six républiques fédérées, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, le Monténégro, la Bosnie et la Macédoine se séparent. Pour la Slovénie, le Monténégro et la Macédoine ce fut effectivement très simple. Pour le reste ce fut très compliqué. Pourquoi ? Parce que, si la Croatie et la Serbie sont des États homogènes, une grande partie de la population de Bosnie est serbe ou croate. La logique aurait voulu que la partie croate de la Bosnie (l’Herzégovine) rejoigne la Croatie et la partie serbe rejoigne la Serbie. Mais une fois de plus on ne touche pas aux frontières issues du découpage titiste. À cause de ce principe il y eu une guerre atroce.
Il n’y a qu’une seule exception : l’indépendance du Kosovo, détaché de la Serbie, proclamée le 17 février 2008. Pourquoi ? Parce que Milosevitch, le président serbe, posait beaucoup plus de soucis qu’Erdogan.
Finalement, entre le 24 mars 1999 et le 10 juin 1999, l'OTAN procéda à des frappes aériennes sur la Serbie (Opération Force alliée) et contraignit Milosevitch à se retirer du Kosovo. La région passa sous l'administration des Nations unies en vertu de la résolution 1244 du Conseil de sécurité en date du 10 juin 1999. Près d'un million de Kosovars revinrent progressivement sur leurs terres. Le Kosovo était devenu indépendant grâce à un nouveau concept, comme l’explique un groupe d’universitaires dans le texte d’une pétition Il y a une nouvelle approche : la « sécession remède » (remedial secession en anglais), un concept émergent dans le droit international depuis un demi-siècle environ. L’idée est celle-ci : l’intangibilité des frontières prime sauf en cas d’extrême nécessité, lorsque l’intégrité physique de la population qui demande son autodétermination est en danger. Cet argument avait prévalu lors de la déclaration d’indépendance du Kosovo en septembre 2008, suivie de sa reconnaissance par une grande partie de la communauté internationale. Outre le fait que le Kosovo est peuplé à 90 % d’Albanais, sa population avait été victime, au moment du démembrement de la Yougoslavie, de crimes de guerre perpétrés par l’État serbe, rendant inconcevable la coexistence dans le même État des Albanais du Kosovo et des Serbes. Les puissances avaient insisté à ce moment-là sur le fait que le Kosovo ne pourrait servir de précédent. Et effectivement il ne constitue pas un précédent pour le Haut-Karabagh..
Mais apparemment les crimes de guerre d’Aliev, le président de l’Azerbaïdjan, ne sont pas assez graves aux yeux de la communauté internationale. On pouvait espérer que les frasques d’Erdogan amèneraient une intervention du même genre que celle de l’OTAN au Kosovo. Mais la Turquie n’est pas la Serbie. 82 millions d’habitants et une des premières armées de l’OTAN.
Et encore, l’indépendance du Kosovo se heurte-t-elle à des résistances. Seuls 111 pays l’ont reconnue. Le Kosovo n’a pu entrer ni à l’ONU (résolution 1244), ni à l’UNESCO (novembre 2015).
On peut comprendre l’application de cette sacro-sainte règle en Afrique-noire. Ces États ne sont pas des États-nations mais des États artificiels résultant d’un découpage colonial. Le Nigeria se compose de 250 ethnies. Si on accorde l’indépendance aux Ibos du Biafra, pourquoi ne pas l’accorder aux Yorubas, aux Haoussas, etc. ? Mais ce raisonnement est-il valable pour la vieille Europe, Caucase compris, composé de véritable États-nations qui ont leur langue, leur littérature, leur histoire, leurs monuments ?
Derniers événements
Le 11 décembre les 27 membres de l’UE n’ont décidé que des sanctions symboliques contre la Turquie. Et ceci uniquement à cause de ses forages illégaux en Méditerranée. Les mots Haut-Karabagh, Arménie, Azerbaïdjan n’ont même pas été prononcés. Résultat Aliev et Erdogan se croient tout permis.
Ainsi l’Azerbaïdjan n’hésite-t-il pas à grignoter du terrain non seulement dans la partie du haut Karabagh qui lui échappe encore (villages de Hin Taghlar et Khtsaberd) mais en Arménie même. Dans son discours lors du défilé militaire organisé à Bakou le 10 décembre en présence du président turc Recep Tayyip Erdogan, pour célébrer la victoire, le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a clairement annoncé la couleur, rapporte le site Panarmenian : “Zanguezour, Gueuïtcha et Irevan [région d’Erevan] sont les terres historiques des Azéris. Depuis dix-sept ans, je répète que si l’Arménie ne nous rend pas nos terres, nous réglerons cette question par la voie militaire.” Rien que cela ! Erévan, à lui seul représente 1.350.000 habitants sur les à peine 3 millions que compte l’Arménie.
À son tour, Erdogan a évoqué dans son discours Enver Pacha, ministre ottoman de la Défense et l’un des trois principaux instigateurs du génocide arménien de 1915 : “Enver Pacha et tous les héros du monde turc ont trouvé la paix [après la victoire dans la deuxième guerre du Karabakh].” Puis il a fait l’éloge de l’Armée islamique du Caucase, une unité militaire de l’Empire ottoman active pendant la Première guerre mondiale en Orient.
Et la communauté internationale ? Aliev et Erdogan s’en moquent complètement. Recevant le samedi 12 décembre les représentants du groupe de Minsk (Etats-Unis, Russie et France) chargé par l’OSCE de trouver une solution au conflit du Haut Karabagh Aliev leur à déclaré : « Je vous écoute, car c’était votre idée de venir ici. Devant les caméras, je veux vous le répéter, je ne vous ai pas invité ici, mais une fois que vous êtes arrivé, parlez devant les caméras. Si vous ne voulez pas parler devant les caméras, vous partirez ». Et il a ajouté parlant des Arméniens : « Ils doivent savoir que si le fascisme arménien relève de nouveau la tête, cette fois, nous les détruirons complètement. Que personne n’en doute ».
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