Pourquoi la vraie gauche n’existe pas (et ne saurait exister)
La politique fonctionne depuis toujours sur une opposition binaire entre deux camps principaux qui se disputent le pouvoir tour à tour, et qui sont censés offrir aux peuples une « alternative » entre deux positionnements idéologiques que l’on a l’habitude de considérer comme opposés. Il s’ensuivit la mise en place d’une sorte de ligne centrale verticale autour de laquelle s’installèrent peu à peu les différents partis politiques, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite en passant par le centre. Aujourd’hui il y a ceux qui sont à droite, et ceux qui sont à gauche de la ligne. Cela signifie qu’il n’y a donc ni droite absolue ni gauche absolue mais des droites et des gauches relatives. D’ailleurs pour expliquer la différence entre Démocrates et Républicains aux Etats-Unis par rapport à la droite et la gauche françaises, il suffit de déplacer le curseur central quelque peu sur la droite et le tour est joué.
Car quand il s’agit de définir la véritable différence entre la droite et la gauche institutionnelles, il apparaît rapidement qu’il n’y en a d’un point de vue politique aucune, ou si peu… Car que défend aujourd’hui « la gauche » par rapport à « la droite », si ce n’est un léger déplacement du curseur vertical quelques centimètres sur la gauche d’un curseur déjà bien à droite ?
Ces deux grandes forces politiques s’affrontent bien dans un cadre capitaliste que je sache, tandis qu’une « vraie » gauche devrait nécessairement se positionner sur une idéologie « socialiste » qui lutterait de fait CONTRE le capitalisme, et POUR la démocratie . Or ce n’est pas le cas. Cette gauche n’existe pas.
Ce qu’on peut dire maintenant, c’est que si la gauche en tant que force politique n’existe pas, il existe cependant bel et bien des gens qui se revendiquent « de gauche ». C’est ce que j’appellerais la gauche « réelle », ou la « quasi gauche », voire la « gauche complexée » en référence au PS que monsieur Lordon appelle « la droite complexée », c’est-à-dire la gauche qui milite pour lutter contre les excès du capitalisme.
Alors qu’à droite on croit aux vertus du capitalisme et qu’on s’imagine que la rationalité des individus conduit à la pérennité de la civilisation, cette gauche « réelle » croit au contraire que l’homme est suffisamment solidaire et altruiste pour s’opposer -et lutter- efficacement contre les « excès » du capitalisme.
Mais si tous deux sont de bonne foi, il apparaît qu’ils sont tous deux également dans l’erreur, car leur idéologie est exclusivement fondée sur une confusion majeure , à savoir que l’homme peut être ou parfaitement rationnel ou parfaitement irrationnel, ou tout bon ou tout mauvais, ou généreux ou égoïste, alors qu’en réalité il n’est rien de tout cela et tout cela en même temps. L’homme est, comme le disait déjà Spinoza, fait de passions et de raison, et il n’existe (et ne peut exister) aucun curseur capable de séparer l’âme humaine en deux.
Le capitalisme d’Ayn Rand (voir « là-bas si j’y suis ») serait sans doute « plus juste » qu’il ne l’est si les hommes étaient réellement des « agents rationnels », mais c’est sans compter sur la véritable nature de l’homme qui est tout simplement faible et malléable, ce qui entraîne nécessairement : d’une part la corruption qui s’appuie sur l’appât du gain et du pouvoir, et d’autre part la solidarité qui autorise des avancées démocratiques et sociales. Faiblesses humaines qui conduisent in fine à la destruction de la concurrence libre et non faussée (les fameuses « distorsions de concurrence »), à la dette, aux monopoles et à l’oligarchie. Les hommes finissent toujours par transgresser les règles.
Le capitalisme pourrait sans doute être également « moins injuste » si les hommes étaient simplement « socialistes » ou « communistes », mais c’est sans compter l’amour qu’on porte à ses proches plus qu’aux inconnus, la peur des étrangers, la faim ou la violence qui empêchent le « bien » de progresser : l’homme est faible et il ne pourra jamais lutter « à l’intérieur du cadre » sans se soumettre ni se laisser corrompre par ce cadre. Il protège d’abord – et « naturellement »- les siens avant de s’occuper du bien d’autrui.
C’est tout cela qui me fait dire que la « vraie » gauche (celle qu’aucun homme véritablement « de gauche » ne nommerait ainsi) non seulement n’existe pas, mais ne saurait tout simplement pas exister : car si les hommes pensaient d’abord aux autres avant de penser à eux-mêmes, ils supprimeraient le capitalisme pour le remplacer par le monde des fourmis ou des termites dans lequel le collectif prime sur l’individu qui ne vaut rien.
En réalité, il n’y a pas d’issue idéologique dans cette distinction « droite/gauche » : d’un côté il y a l’individu qui prime sur le collectif, et de l’autre le collectif qui s’impose à l’individu. Tout cela dans un cadre strictement capitaliste. Mais la démocratie ne peut souffrir le capitalisme, car le capitalisme conduit toujours à la dictature (qu’elle soit individuelle ou collective). Pour sortir de cette impasse il faut sortir du cadre de pensée qui nous est imposé par le capitalisme et de cette distinction stérile qui conduit à la perpétuation de nos misères collectives : l’homme doit passer par le collectif pour se libérer des contraintes individuelles et passer par l’individu pour se libérer du collectif. L’individu seul peut moins qu’allié avec les autres, mais ne doit pas tomber dans l’excès du collectif niant l’individu. Et puis surtout, on ne peut pas changer l’homme.
On ne peut pas changer l’homme, mais on peut changer le système. Surtout s’il n’est pas bon pour l’homme.
Maintenant, on me rétorquera peut-être que ceux qui veulent changer radicalement les choses s’illusionnent en s’imaginant être libres (de le faire) alors qu’ils ne le sont pas (le capitalisme est le seul système viable), mais je leur répondrai que là-aussi ils font erreur, et que ce sont eux-mêmes qui sont victimes de l’illusion contraire : celle de croire que nous ne sommes pas libres, alors qu’en réalité nous le sommes encore ; et nous le serons toujours
Cette prise de conscience est le nécessaire point de départ pour toute évolution vers une véritable démocratie.
Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr
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