Pourquoi le déclin du monde arabo-musulman relève d’une fausse conception de l’Histoire ? (Les 144 années qui ont changé la face du monde ? Partie VII)
L’humanité, et cela est incroyable, malgré toute sa complexité, se lit au fond presque à livre ouvert. Et c’est cela qui fait sa richesse. Dans l’espace de son évolution, on lit, déroulées à travers son histoire, les strates passées qui se succèdent verticalement et horizontalement. Toujours vers un sommet, toujours vers plus d’espaces géographiques, toujours vers plus d’espace dans la pensée. Le monde se retreignant de plus en plus mais se développant et se dévoilant néanmoins.
Le plus étonnant, c’est cette Europe d’où vont partir, à partir de la Renaissance, les idées qui changeront la face du monde. Des philosophes, hommes de lettre, des savants, en Europe, impulseront un mouvement des idées sans égal dans l’histoire. Au point qu’ils annonceront sans le savoir la mort de la philosophie. La philosophie n’aura plus ou peu d’impact sur l’homme dès le XXe siècle. Mais est-elle morte la philosophie ? Des penseurs et savants du XVIIIe, du XIXe siècle et avant, ont révolutionné l’histoire et la science. De Descartes, Pascal,Newton … à Rousseau, Kant, Hegel…, de, Louis blanc, Owen Proudhon, Marx, Bakounine, Nietzsche… à Pasteur, Einstein… vont pour certains théoriser la condition humaine, d’autres, par une pensée pratique, montrer le nouveau chemin du monde. Ce qui est étonnant, c’est l’Europe qui va bénéficier, au départ, des innovations scientifiques, véritables révolutions scientifiques dans l’agriculture, l’industrie, les idées politiques et sociales…, qui l’élèveront sur un piédestal, l’érigeront en « centre du monde » ? Pourquoi les autres régions (Chine, Inde, monde musulman), qui ont des civilisations millénaires, furent-ils dominées ?
Après des siècles d’essor, le monde musulman a commencé à décliner. Les historiens situe le déclin à partir du XIIIe siècle. Est-ce que réellement il a décliné ? On sait que, à partie du deuxième millénaire, et pendant cinq siècles, il a été ravagé par des invasions asiatiques (seldjoukide, mongols, turques) et chrétiennes (croisades). Depuis l’« âge d’or » de l’empire des Abbasides, il n’a pas évolué, et de grandes régions d’islam furent maintenues à l’état féodal. Est-ce pour autant que le monde musulman a décliné ? Surtout depuis la colonisation européenne, à partir de 1800. Mais la domination européenne, à cette époque, n’a pas touché que le monde musulman. L’Asie aussi fut dominée. L’Inde en premier, la Chine a suivi, le Japon n’a échappé que par sa position insulaire et une politique de modernisation accélérée de son économie et de son système politique. Et si ce déclin du monde de l’Islam et des civilisations anciennes n’est pas un déclin, et, tout compte fait, n’est qu’un cours naturel de l’histoire. Ce qui veut dire que ce monde n’a pas décliné et que ce sont les conditions propres, uniques de l’Europe, totalement différentes des pays du reste du monde qui ont évolué et permis son augmentation de puissance et sa domination sur les autres civilisations, à partir du XVIIIe siècle.
- Un peu d’histoire sur le déclin du monde arabo-musulman ?
Pourquoi l’Europe a avancé et le monde musulman n’a pas changé ? Le monde musulman a-t-il régressé pour autant ? Il faut encore le redire. Ne doit-on plutôt penser que c’est l’Europe qui a avancé et que le monde musulman a stagné. Mais même avec la stagnation, la régression pour ce monde y est implicite. D’autre part, sur le plan purement religieux, est-ce que la lettre de l’Islam a changé ? L’Islam, au-delà des interprétations, n’est-il pas resté lui-même durant quatorze siècles ? A-t-il décliné ? L’Islam ne gagne-t-il pas des âmes, et encore aujourd’hui, au XXIe siècle ? L’Islam est une religion révélée comme les religions venues avant lui, le Judaïsme et le Christianisme. Et celles-ci sont citées dans la lettre de l’Islam. Qu’a-t-il l’Islam dans la stagnation ou le déclin des Musulmans ? L’Islam comme toute religion ne montre que la voie droite à suivre.
Comment expliquer qu’il y a, aujourd’hui, plus d’un milliard et demi de Musulmans dans le monde qui tiennent absolument à leur religion ? Comme les peuples d’Europe au Christianisme, les Juifs au Judaïsme, les Hindous au brahmanisme, les Chinois au bouddhisme (ou à défaut à l’idéologie communiste).
Si on part du postulat qu’il y a eu déclin du monde arabo-musulman, pourquoi alors l’Europe a « avancé » sur tous les plans au point de dominer non seulement le monde arabo-musulman mais l’ensemble du monde ? Il y a certainement des causes concrètes. On ne peut accepter qu’il y a des peuples surdoués et des peuples sous doués comme l’a tant vanté l’écrivain britannique Rudyard Kipling dans son poème « Le fardeau de l’homme blanc (The White Man’s Burden).
L’histoire d’un peuple, ou d’une civilisation, peut être comparée à l’histoire d’un homme. Et l’homme à travers son œuvre dans le monde. « L’Homme naît, grandit, vit, œuvre puis décline et meurt ». Un processus en somme naturel. Mais si l’homme meurt, il se reconstitue, en laissant une descendance, et cette descendance augmente, et forme des groupements humains, des peuples, puis des nations. Ainsi s’est constituée l’humanité, et au sein de laquelle l’histoire des peuples et des nations. Précisément, l’Europe comme d’ailleurs les autres régions du monde ont subi ce processus. Sauf que l’Europe, après l’arrivée de l’Islam sur ses terres, s’est mise sur la défensive dans un premier temps, puis a commencé, après s’être reconstituée, à « grandir » et à « sortir » de ses frontières, tel cet homme dont la descendance a grandi.
Le début d’expansion de l’Europe sur le monde arabo-musulman a commencé à la fin du XIe siècle (en 1095 à la demande du pape d’Urbain II). Des croisades qui ont duré plus de deux siècles. On fait état de huit croisades, probablement il y a eu plus. Et ces croisades n’ont été rendues possibles probablement que une expansion démographique qui a commandé ces croisades. Sans la poussée démographique en Europe, les croisades n’auraient pas été possibles. Ni d’ailleurs la colonisation des Amériques et du reste du monde.
Un deuxième élément de réponse. L’Europe était une mosaïque de peuples. Bien qu’ils aient une même religion, les peuples européens ne parlaient pas la même langue. Dans un espace aussi restreint, une formidable diversité ethnique, qui ne figure dans aucune région du monde, dénote, malgré les antagonismes, un avantage pour l’Europe. I.e. pousse à une organisation politique, économique et sociale de l’Europe
Le troisième élément, c’est le problème de subsistance. Le blé, par exemple, était distribué aux peuples par les souverains. Une donnée essentielle pour l’existence. Qui détient le blé en Europe commande aux pays d’Europe. Ce qui existait peu dans le monde musulman dont les territoires étaient immenses et sans frontières vraiment définies.
Enfin le quatrième et le cinquième élément portent respectivement sur le climat froid de l’Europe et les guerres qui ne cessaient pas en Europe et qui furent l’œuvre des souverains pour agrandir leurs fiefs. Ce qui n’était pas le cas pour le monde arabo-musulman qui avait un climat doux à chaud, donc nécessitait moins de subsistances contrairement aux Européens confrontés au froid. Et enfin moins de guerres compte tenu de l’unité religieuse et linguistique qui prévalait dans le monde arabo-musulman dont les territoires étaient immenses. Et dont une bonne partie de la population était nomade.
Toutes les caractéristiques qui ont joué dans l’expansion de l’Europe n’existaient pas dans le monde arabo-musulman. Ce qui explique les assauts des pays d’Europe pendant « neuf siècles » sur le monde arabo-musulman, et qui n’ont été interrompus que par la Mort noire (peste) qui a décimé un tiers de la population européenne au XIVe siècle et l’irruption de l’Empire Ottoman qui a joué un rôle de tampon entre l’Europe et les pays arabo-musulmans durant quatre siècles.
A partir de 1800, la situation se retourna. L’Empire Ottoman commença à s’effriter, le rôle de tampon s’amenuisait. La colonisation de l’Inde et une partie de l’Asie était déjà achevée pour l’essentiel en 1820. Le monde arabo-musulman et chinois est désormais aux prises avec l’Europe. La domination européenne qui suivit marqua un tournant dans l’histoire de l’humanité. L’Europe est à son apogée.
- L’affirmation de l’Europe par la démographie et par une situation de guerre incessante
Pour avoir une vision plus mesurée de l’évolution du monde, il est évident qu’il faut faire appel aux données chiffrées de l’évolution démographique de l’humanité pour comprendre les causes de l’affirmation de l’Europe sur le monde.
Selon les données de l’ONU, la population européenne (avec la Russie) est estimée à 86, 65 (chute due à la Peste noire), 84, 125, 195 millions d’habitants, respectivement en 1300, 1400, 1500, 1700, 1800. La population de la Chine (avec la Corée) est estimée, pour les mêmes dates, à 83, 70, 84, 150, 330 millions d’habitants.En Afrique du Nord, la population des cinq pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Lybie et Egypte) est estimée, pour les mêmes dates, à 9, 8, 8, 9, 9 millions d’habitants.
Comparativement à l’Europe et à la Chine, la population d’Afrique du Nord, pour un immense territoire d’environ 5,6 millions de km2, n’a pratiquement pas augmenté, pendant trois siècles. Le nombre d’habitants a même diminué entre 1400 et 1600. Sur le plan démographique, l’Europe était prépondérante. La France, par exemple, en 1801, année du premier recensement, avec 28 millions d’habitants, était classé « quatrième puissance démographique mondiale », après la Chine, l’Inde et le Japon. Le Japon comptait 30 millions d’habitants,en 1800. Le facteur démographique a donc été essentiel dans l’expansion de l’Europe et du Japon sur le reste du monde.
D’ailleurs ces chiffres ne manquent pas de montrer des disparités manifestes en termes de répartition des populations entre les différentes régions du monde. La France, par exemple, a une pression démographique de 50 habitants au km2 en 1801. Le Royaume-Uni qui comptait, à cette date, 11,9 millions d’habitants, a une pression démographique de 49 habitants au km2. A la même date, la Chine (avec la Corée) et l’Inde (avec le Pakistan et le Bangladesh) avait, en 1800, une pression démographique respectivement de 33 et 44,7 habitants au km2. Quant aux cinq pays d’Afrique du Nord, ils avaient une pression démographique incroyablement basse (presque négligeable) 1,6 habitant au km2. En ne prenant qu’un tiers de la superficie totale de l’Afrique du Nord, le reste étant des contrées désertiques (Sahara), la pression démographique des cinq pays n’était que de 4,8 habitants au.
Si on procède à des projections démographiques en 1300, 1400, 1500, 1700 et 1800 pour l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et que l’on garde les proportions du nombre d’habitants que ces pays ont aujourd’hui, on obtiendrait respectivement pour chacun d’eux les nombresapproximatifs d’habitants suivants : 3,25 millions pour l’Egypte, 2,25 millions pour l’Algérie, 2,25 millions pour le Maroc, 450 000 pour la Lybie et 800 000 pour la Tunisie. On aurait ainsi une population globale de 9 millions qui n’aurait pratiquement pas changé durant cinq siècles (données occidentales). Il faut aussi souligner que l’espérance de vie à la naissance,durant ces siècles, était très basse, de l’ordre de 25 à 30 ans, pour l’ensemble des pays du monde. Evidemment, ces chiffres ne sont que des extrapolations occidentales puisqu’il n’y avait pas de recensement dans les temps passés. Il faut attendre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle pourque ces données commencent à se constituer en Europe, puis étendues à l’ensemble du monde.
En 1900, la population nord-africaine a commencé à augmenter et « paradoxalement avec la colonisation ». Elle compta « 23 millions d’habitants » et la pression démographique sur la surface non désertique (1/3) passa, à cette date, à 12,3 habitants au km2. Une pression encore très faible, sans comparaison avec la pression démographique de la France qui était à la même date de 72,5 habitants au km2.
Doit-on penser que « la colonisation fut un mal nécessaire » ? Puisque les deux grands pays de la planète sont passés de 1800 à 1900, respectivement pour la Chine de 330 à 415 millions d’habitants, et pour l’Inde de 190 à 290 millions d’habitants. En 2000, ces deux pays ont respectivement 1273 et 1320 milliards d’habitants. Les cinq pays d’Afrique du Nord, en 2000, passent à 143 millions d’habitants avec une pression démographique dans les territoires non désertiques de 76, 6 habitants au km2 environ. Ce taux comparé à la pression démographique de la France (Population de 58,796 millions en 2000) qui est de 106,6 habitants au km2 montre que les pays d’Afrique du Nord ont évolué très positivement depuis leurs indépendances, et l’écart démographique avec la France a beaucoup diminué. D’autre part, l’espérance de vie à la naissancea beaucoup augmenté, elle se situe aujourd’hui entre 70 et 80 ans, et globalement pour l’ensemble des pays du monde. Et cela relève des formidables progrès faits dans la médecine et du confort qu’offre la vie moderne en termes de nutrition, d’habitations, de transports, d’emploi, de sécurité sociale, etc.
Cela étant, il demeure que l’Europe, avant la colonisation de l’Afrique du Nord, du Proche-Orient et de l’Asie,avait la plus grande pression démographique dans le monde. L’Europe était un territoire restreint qui n’assurait pas les subsistances nécessaires aux populations. Ce qui explique l’expansion coloniale. Cependant le problème démographique n’était pas le seul facteur. L’expansion européenne nécessitait un support. Il sera donné en partie par l’absence d’homogénéité linguistique, religieuse et politique qui a provoqué, par des antagonismes, de nombreuses guerres entre les nations européennes. Des guerres qui étaient très atténuées dans les grands ensembles indien, chinois et musulman, compte tenu de leurs systèmes politiques centralisés (Empire chinois, Empire moghol et califat ottoman). Contrairement à l’Europe dont le pouvoir politique était disséminé entre les rois. Des souverains absolutistes de droit divin, souvent liés par le sang, maintenaient, par un jeu d’alliances qui se faisaient et se défaisaient, l’Europe dans une situation de guerre incessante. Ainsi se comprend l’extrême agressivité de l’Europe qui a cherché à se tailler des empires sur le reste du monde.
Mais l’ambition coloniale nécessitait encore des moyens humains et matériels. Si les moyens humains sont donnés par la forte pression démographique, les moyens matériels seront donnés par les révolutions agricole et industrielle qui contribueront à la fois àl’augmentation de la population européenne et aux progrès des armements. L’essor des armements qui ne se trouve nulle part que dans l’Europe permettra d’asseoir sa puissance militaire sur le monde. Il faut donc se rendre compte, et cela est essentiel, que, sans les « progrès scientifiques qui ont donné les révolutions agricole et industrielle », il n’y aurait eu pour l’Europe ni pression démographique ni expansion coloniale. Dès lors, se pose la question sur l’origine de ses progrès qui ont joué un rôle central dans les avancées de l’Europe sur le monde.
- L’affirmation de l’Europe par la « Pensée » ?
Et là nous entrons de plein pied dans la « métaphysique de la transformation » du monde. Et il n’y a pas d’autres moyens de chercher ce qui a causé la révolution scientifique en Europe. Nous savons tous que l’Europe a beaucoup profité durant des siècles des progrès puisés dans le monde grec, musulman, chinois, etc. Donc les révolutions qui sont nées ne sont pas venues ex nihilo, mais ce qu’on peut remarquer, c’est que l’Europe a « merveilleusement » approfondi les sciences, augmenté les connaissances de l’homme, la compréhension du monde et des phénomènes dans tous les domaines qui touchent à l’humain (industrie civile et militaire, médecine, urbanisme, philosophie, psychologie, etc.). Au-delà de la colonisation et des horreurs indescriptibles ont suivi (esclavage, colonisation, génocides, épurations ethniques), les avancée scientifiques auront une portée majeure pour toute l’humanité au XXe et XXIe siècle. Les progrès scientifiques transformeront le visage du monde, y compris le mode de penser de l’humanité.
Comment cela a été possible ? Pourquoi, au-delà de ces avancées, des armements extrêmement destructeurs issus des progrès scientifiques sont tombés aux mains des colonisateurs européens ? Et cela nous mène aux savants européens qui ont élargi le champ de la science, le champ de la connaissance. Aussi peut-on se poser la question : « pourquoi les grandes découvertes scientifiques et les techniques qui en ont issues se sont réalisées en Europe et non dans les pays du reste du monde (qui constituaient la majorité de l’humanité) ? » Si ces avancées scientifiques avaient lieu un peu partout, en Europe, en Chine, en Inde et dans le monde musulman, une telle expansion n’aurait pas eu lieu. L’Europe se serait cantonnée à l’Amérique et même ses acquisitions territoriales américainesseraient disputées avec les autres puissances du monde.
Evidemment, une réponse à cette situation ne peut pas être « physique » dans le sens de la rationalité, mais « métaphysique » dans le sens du dépassement de la rationalité. Et une réponse métaphysique,si elle respecte le processus de la raison, peut dans un certain sens être rationnelle et compréhensible. Aussi, sans verser trop dans la philosophie, un savant est comme tout homme qui pense une situation ou qui entreprend un raisonnement pour résoudre un problème. Si les données d’un problème ainsi que les méthodes de résolution sont connues, n’importe quel homme qui a suffisamment de connaissances, peut réfléchir pour apporter la solution. Qu’en est-il du savant qui connaît les données mais ne connaît pas la solution, et reste encore au stade de la recherche théorique et expérimentale pour résoudre, par exemple, un phénomène nucléaire non encore élucidé, ou encore apporté un remède à une maladie incurable, etc. ? Le savant, en face du problème, consacre des efforts durant des années pour découvrir ce pourquoi il travaille.
Que se passe-t-il dans sa recherche ? S’il ne trouve pas, il va continuer à chercher, à faire des expériences, etc. et sa pensée restera toujours en activité. Est-il maître de sa pensée ? Tout concorde à dire oui, et l’entourage qui le côtoie peut le confirmer. Cependant, on ne peut s’empêcher de dire que c’est « avec sa pensée dont il ne connaît rien » qu’il cherche. Il cherche avec une pensée qui est bien à lui, qu’il guide pour aboutir à sa recherche. Mais, dans l’absolu, dès lors qu’il ne connaît pas l’essence même de sa pensée, puisqu’« elle lui est donnée, il n’a pas de prise sur elle sinon qu’il pense et l’utilise pour chercher, et elle est son essence », peut-on penser que réellement il guide sa pensée pour sa recherche ? Et si c’est sa pensée qui le meut dans sa recherche et répond non seulement à son vœu pour la recherche mais le guide dans sa recherche. Le savant croit chercher et l’entourage ou le public atteste que, en cas de découverte, c’en est bien lui l’auteur. Mais, dans la réalité métaphysique, i.e. dans l’absolu de la réalité comme « dépassement de la rationalité », ce n’est pas le savant qui est l’auteur de la découverte mais sa pensée dont il ne sait rien de son essence. On peut citer, à ce propos, la phrase de Benda : « La puissance de création appartient indéniablement à l'irrationnel ». Et c’est vrai, l’homme, dans ses recherches, ne peut que suivre ses intuitions qui sont des pensées qui viennent de ce qui dépassent l’homme. Précisément, l’Europe a bénéficié de la « Pensée », et on ne peut en disconvenir, et le mouvement de son expansion sur le monde appartient aussi à l’« herméneutique de l’Essence ».
Accepterons-nous cette vision de l’évolution de l’Europe et de ce qui fut sa force pour dominer le monde ? Là est la question. Mais c’est aussi la question sur cette Raison divine qui domine le monde. « Notre proposition : la Raison gouverne et a gouverné le monde, peut donc s’énoncer sous une forme religieuse et signifier que la Providence. […] On entend souvent dire qu’il est présomptueux de vouloir connaître le plan de la Providence. C’est là une conséquence de l’opinion, devenue aujourd’hui un axiome, selon laquelle il est impossible de connaître Dieu. Lorsque la théologie elle-même en doute, il faut se réfugier dans la philosophie si l'on veut connaître et honorer Dieu en toutes choses et en premier lieu dans l’histoire. […] La nature occupe un rang inférieur à l’histoire La nature est l’existence inconsciente de l’Idée divine ; c’est seulement dans le domaine de l’Esprit que l’Idée se manifeste dans son propre élément et devient connaissable. Armés de ce concept de la Raison, nous devons aborder sans crainte n’importe quelle matière. » (Pages 60-62, la Raison dans l’Histoire, Hegel).
Cette proposition de Hegel montre simplement les possibilités qu’offre la pensée. Nous existons par la Pensée, et nous sommes en quelque sorte la « pensée » de la Pensée. Aussi, en revenant à notre sujet, l’Histoire de l’Europe a été l’Histoire du monde. Et personne ne peut en disconvenir par les destructions qu’elle a opérées sur le monde et aussi sur elle-même, par les deux conflits mondiaux qui l’ont ravagée. « Subit-elle un déclin aujourd’hui ? » Ne continue-t-elle pas à marquer de son empreinte le monde ?
De même, pour le monde arabo-musulman, témoigne-t-il d’un déclin ? Un déclin, comme le cours de la vie d’un homme, n’appelle-t-il pas à un crépuscule d’une existence, et ensuite son extinction ? Comme cela fut pour les civilisations passées (sumérienne, babylonienne, égyptienne, athénienne, romaine…) qui ont vécu puis se sont éteintes. Et même éteintes, elles existent encore dans la Mémoire universelle de l’humanité. Est-ce que le monde arabo-musulman va-t-il au crépuscule de son existence, puisque l’opinion qui court est qu’il est en déclin.
Aujourd’hui, n’est-il pas assailli de toutes part, ne perturbe-t-il pas des certitudes, ne témoigne-t-il pas, au contraire, d’une vitalité d’existence qui semble de plus en plus abandonner les autres mondes ? Ne s’assaille-t-il pas lui-même par ses remises en questions et sa volonté de changer sa destinée ? Et si ce déclin qu’on lui attribue n’est qu’un moyen pour le diminuer ? Ce qui est normal quand on assiste à cette effervescence politique, géopolitique et guerrière qui se joue en son sein. Et si ce retard du monde arabo-musulman est « nécessaire » pour faire avancer l’Histoire ? Et que l’idée fausse du déclin, en réalité, fait l’impasse sur le cours naturel de l’Histoire, qui ne tient pas compte de la démographie, de la géographie et de la religion qui font son identité et de la « dynamique de l’Histoire ».
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde.com
Note :
1. Les 144 années qui ont changé la face du monde ? (Partie I, II, III, IV, V, VI), par Medjdoub Hamed. www.agoravox.fr
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