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Accueil du site > Tribune Libre > Pourquoi le stratagème « pétrodollar » ne travaille pas uniquement pour les (...)
#34 des Tendances

Pourquoi le stratagème « pétrodollar » ne travaille pas uniquement pour les États-Unis, mais pour l’ensemble des pays du monde ?

 Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan économique, financier et monétaire, et les fameuses politiques d’assouplissement monétaire non conventionnel appelées en anglais Quantitative easing ou QE, menées par les Banques centrales des quatre grands pays du monde (États-Unis, Europe monétaire des 20 (Zone euro), Grande-Bretagne et Japon), nous interpelle à maints égards. Parce que ces politiques ont des retentissements extraordinaires sur l’évolution de l’économie mondiale, notamment pour la reprise économique qui est, aujourd’hui, dépressive, et fait craindre dans les années à venir que le monde restera balloté dans l’indécision, voire dans l’attentisme d’une « nouvelle crise » qui viendra remettre les pendules à l’heure.

Et si ces politiques d’assouplissement monétaire non conventionnel qui remontent depuis la crise financière de 2008, en fait remontent loin, depuis au moins un demi-siècle, et ont fonctionné sans que l’on utilise le terme friedmanien, « monnaie hélicoptère » énoncé par Milton Friedman dans son livre, « The optimum quantity of money », paru en 1969. Ou plutôt grâce au génie de Milton Friedman, contrairement aux années 1930, ce terme de « monnaie hélicoptère » a commencé a joué depuis la fin du Deuxième Conflit mondial, sauf qu’à l’époque, ce terme n'était pas connu.

Ce terme de « monnaie hélicoptère » n’a commencé à avoir son sens que depuis la crise monétaire de 2008, suivie du quatrième choc pétrolier, 2009-2014 ; ce quatrième choc qui n’était pas qualifié comme tel parce qu’il n’y avait eu plus nécessité pour l’Occident de s’appesantir sur cette carte stratégique qu’est le « pétrole moyen-oriental » parce que celui-ci joue un rôle central, vital sur le plan économique, financier et monétaire dans les sorties de crises qui se sont succédé, en Occident, depuis 1971.

Le premier et deuxième choc pétrolier étant en 1973 et 1979, le troisième choc pétrolier, il faut rappeler, a suivi en 2003, avec l’entrée en guerre des États-Unis en Irak ; le baril de pétrole a atteint le record absolu le 11 juillet 2008, à 147,50 dollars. On comprend d’ailleurs pourquoi les conflits et guerres frappent les régions du Proche et du Moyen-orientales ; le conflit israélo-palestinien n’est que la partie visible de l’iceberg financier et monétaire mondial. Sans le pétrole, ces régions n’auraient pas eu l’importance qu’ils ont depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Qu’en est-il de cette carte stratégique pour l’Occident, qui repose sur le pétrole moyen-oriental ?
 

  1. Le premier choc pétrolier, analysé comme une imposture

 

 Eric Laurent, dans une analyse (1), écrit : « Le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences relèvent pour une bonne part d’une imposture gigantesque, efficacement orchestrée. La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n’y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole. Il suffit d’examiner les faits un à un. Pendant des décennies, le pétrole, abondant et bon marché, a servi à l’Occident d’euphorisant et d’anesthésiant. Il nous a rendus prospères, mais aussi arrogants et aveugles. A l’issue de la Première Guerre mondiale, il existait en tout et pour tout 2 millions de voitures et de camions à travers le monde. Au milieu des années 1950, le nombre de véhicules est passé à 100 millions, pour atteindre, au moment de l’embargo, plus de 300 millions de voitures et camions, dont 200 millions pour les seuls Etats-Unis. En quelques jours, des pays producteurs de pétrole, auxquels jusqu’ici personne ne semblait s’intéresser, prennent en otage l’économie mondiale, et la font vaciller. C’est du moins le souvenir durable que nous en avons gardé. Un souvenir totalement erroné, en grande partie fabriqué.
Le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences relèvent pour une bonne part d’une imposture gigantesque, efficacement orchestrée. Il suffit d’examiner les faits un à un.

Le 19 octobre, au moment même où le royaume saoudien et ses homologues arabes décident de l’entrée en vigueur de l’embargo, le président Richard Nixon annonce publiquement l’octroi d’une aide militaire d’un montant de 2,2 milliards de dollars à destination d’Israël. Dès le 8 octobre, deux jours après le déclenchement du conflit, le chef de l’Etat américain avait autorisé des avions d’El Al dépourvus d’immatriculation à se poser aux Etats-Unis pour approvisionner l’Etat hébreu en fournitures militaires.

Un soutien aussi appuyé à Jérusalem, alors que sur le terrain Tsahal a repris l’offensive et qu’un cessez-le-feu n’est toujours pas signé, aurait dû provoquer la fureur des pays producteurs et les inciter à durcir encore leurs positions. Il n’en est rien, et l’embargo s’achève au bout de trois mois comme il s’est déroulé : dans la plus grande confusion, sans que l’on sache exactement combien de temps il a duré, la rigueur avec laquelle il a été appliqué et pourquoi il y a été mis fin. Les pays producteurs n’ont pas obtenu le moindre gain politique.

La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n’y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole.

Je suis en revanche frappé par le climat d’hystérie qui règne dans les pays consommateurs. Pendant des décennies, le prix du baril a, agréablement pour nous, stagné à 1 ou 2 dollars. Pour la première fois de son histoire, le monde riche a atteint un niveau de bien-être et de développement économique sans précédent, grâce à une matière première achetée à un prix quasi symbolique. Ce constat rend les mouvements de panique encore plus indécents.

Aux Etats-Unis, sur la côte Est comme à Los Angeles, je vois les files de voitures s’allonger à proximité des stations-service en activité, les conducteurs maintenant les moteurs allumés et l’air conditionné branché, brûlant plus d’essence qu’ils ne pourront en acheter. Le consommateur américain vit désormais dans l’angoisse du « réservoir vide  » et ne pense qu’à faire le plein, alors que jusqu’à ce moment il circulait avec une jauge proche de zéro. Les stockages de précaution se multiplient et les Etats-Unis, comme l’Europe, confrontés cette année-là à un hiver glacial, déclenchent une forte augmentation de la demande mondiale en pétrole. Il existe pourtant une large capacité excédentaire mais, face à l’ampleur de cette demande, elle disparaît rapidement, provoquant une importante tension sur les prix. […]

La crise de 1973 vient de sonner le glas du pétrole bradé et de la toute-puissance des compagnies pétrolières, qui contrôlaient 80 % des exportations mondiales. Au plus fort de l’embargo, les « sept sœurs » - Exxon, Shell, Texaco, Mobil, BP, Chevron et Gulf - publient des bénéfices records. Ceux d’Exxon, par exemple, sont en hausse de 80 % par rapport à l’année précédente. Ces gains proviennent de la plus-value considérable réalisée sur les stocks détenus par ces compagnies.

Les consommateurs soupçonnent ces firmes d’avoir partie liée avec les pays producteurs. Après des décennies de règne sans partage, les grandes sociétés pétrolières voient une grande partie du pouvoir leur échapper, au profit de pays producteurs qu’elles ont pendant longtemps méprisés. Mais le soupçon des consommateurs n’est pas dénué de fondement. En coulisse, dans le plus grand secret, producteurs et majors du pétrole ont noué la plus improbable des alliances ; une vérité soigneusement cachée encore aujourd’hui. Sans cet accord, le « choc » pétrolier n’aurait jamais eu lieu.

Phénomène identique pour les prix. A la fin de l’année 1973, le coût du baril est passé de 5,20 à 11,65 dollars en deux mois. Mais, contrairement à ce qui a toujours été affirmé, ce n’est pas le bref embargo décrété par les producteurs qui a conduit au quadruplement des prix, même si désormais, la leçon retenue, les prix élevés agiront sur eux comme un aimant.

Le climat d’hystérie, la peur de manquer qui règnent dans les pays industrialisés provoquent la flambée des cours. Les consommateurs, en se comportant au fond comme des enfants gâtés et égoïstes refusant d’affronter la réalité, contribuent à amplifier la crise. […]
L’OPEP, un coupable tout trouvé.

Lorsque Richard Nixon apparaît à la télévision, le 27 novembre 1973, épuisé, butant sur les mots, son allocution marque les esprits : « Les Etats-Unis, lit-il, vont avoir à affronter les restrictions d’énergie les plus sévères qu’ils aient jamais connues, même pendant la Seconde Guerre mondiale. » Ces propos impressionnent, et très vite l’ensemble des responsables désignent le coupable tout trouvé : l’OPEP, et notamment ses membres arabes. Prenant la parole au Sénat, le sénateur Fullbright, président de la commission des Affaires étrangères, un des esprits les plus indépendants du Congrès, déclare : « Les producteurs arabes de pétrole n’ont que des forces militaires insignifiantes dans le monde d’aujourd’hui. Ils sont comme de faibles gazelles dans une jungle de grands fauves. Nous devons, comme amis, le leur rappeler. Ils prendraient pour eux-mêmes des risques terribles, s’ils en venaient à menacer vraiment l’équilibre économique et social des grandes puissances industrielles, la nôtre en particulier. »

L’avertissement est clair, mais les pays producteurs n’ont jamais songé à s’engager dans une épreuve de force avec l’Occident. Ils n’en ont ni la volonté ni les moyens. Pourtant, une campagne extrêmement efficace va souligner les dangers que ces pays en développement font peser sur notre indépendance et notre prospérité. Dans la presse, l’OPEP devient brusquement un « cartel » dictant sa loi, et aucun connaisseur du dossier ne prend la peine de rappeler qu’entre 1960, date de sa création, et 1971, date de la signature des accords de Téhéran, l’OPEP n’a jamais été en mesure d’arracher une seule hausse des prix du pétrole, même de quelques centimes. Pis, durant cette crise, le prix du pétrole, en valeur absolue, n’a cessé de baisser. »

Qu’en est-il réellement du premier choc pétrolier ? « Imposture » comme le dénonce le journaliste très connu des médias, Eric Laurent, ou « un processus historique naturel » ?
 

  • 2. La formation du prix du pétrole : la « monnaie du troisième protagoniste, le dollar »

 Dans les éléments de réponse qui vont suivre, on s’efforcera, par la logique du bon sens, de montrer les forces qui travaillent dans l’élaboration des prix dans le commerce au niveau d’un État, ou au niveau international. Ce qui nous évitera autant que possible d’utiliser les concepts scientifiques de l’économie, souvent rébarbatifs. Rendre simple ce qui apparaît complexe et, surtout le débat de spécialistes dont les approches sont sujettes à différentes interprétations. Comme aujourd’hui les politiques de Quantitative easing menées par les Banques centrales occidentales. Beaucoup d’économistes voit les QE comme utiles, d’autres comme négatives, d’autres encore comme ne servant à rien, sans effets.

Ceci étant, qu’en est-il du premier choc pétrolier ? Pourquoi, comme l’écrit Eric Laurent, le prix du pétrole est resté très bas, depuis 1860 à 1970, évoluant pratiquement entre 1 et 2 dollars pendant 110 ans (Voir le graphe sur le site d’Universalis en note 2) plus d’une décennie, et puis, au début des années 1970, il devient une matière première centrale dans le commerce mondial. Qu’a-t-il pu se passer pour que le pétrole a fait tant parler de lui, « au point que les pays arabes aient dicté leurs conditions un temps à l’Occident ?  » 

Interrogeons-nous, à juste titre : « Les pays arabes ont-ils été réellement, en 1973, à l’origine du quadruplement du prix de pétrole ? Ont-ils réellement imposé un embargo pétrolier contre les États-Unis, lors de la guerre israélo-arabe d’octobre 1973. Et si le quadruplement du prix du pétrole comme l’embargo leur a été dicté, rendant les pays arabes en simples instruments d’une stratégie de domination US du monde ? »

Pour comprendre, considérons un marché où deux protagonistes sont en prise dans une transaction commerciale. Un qui est vendeur d’un produit, un autre qui est acheteur de ce produit. Supposons qu’un prix donné est affiché, et qu’avec une conjoncture difficile, le vendeur qui a eu beaucoup de frais veut augmenter les prix pour se retrouver dans ses comptes. Et l’acheteur doit forcément se soumettre, évidemment s’il n’a pas d’alternative, et qu’il ait un pouvoir d’achat suffisant. Et par pouvoir, on l’entend « monétaire ». On désigne évidemment ces deux protagonistes comme la masse de vendeurs et d’acheteurs qui activent dans le commerce au sein d’une nation. Et on prend comme moyen d’échange et de mesure du coût de la transaction, i.e. le prix des produits fabriqués, matières premières et énergie, bien entendu, « la monnaie ». Celle-ci dépend de la situation monétaire de cette nation, dont le pilotage relève de la Banque centrale de ce pays.

Pour que le vendeur puisse augmenter les prix, et donc tous les commerçants de ce pays, i.e. les producteurs-vendeurs et intermédiaires-vendeurs en gros et au détail, il est clair que, pour que la hausse des prix se produise, il y a la nécessité d’un préalable. Dans le sens que la monnaie soit en quantité suffisante et disponible pour accompagner la hausse des prix, surtout si elle est importante. Un quadruplement du prix d’un produit donné, notamment l’énergie (pétrole, essence, gaz, électricité, etc.), et qui est central dans l’économie d’une nation, va influer sur tous les prix des autres produits dans l’économie de cette nation. Sans une augmentation conséquente de la masse monétaire et sa disponibilité, une hausse des prix est pratiquement impossible, ou très faible.

Le vendeur ne sera donc pas dans ses comptes. Ce qui nous fait dire qu’entre les deux protagonistes, il y a u troisième protagoniste, i.e. la Banque centrale (BC) et le système bancaire de ce pays, contrôlé par elle.

Donc une hausse des prix ne peut s’opérer que si la Banque centrale consent à cette hausse des prix. Et que l’augmentation de la masse monétaire ne porte pas préjudice à la bonne marche de l’économie nationale. Habituellement, la BC n’augmente la masse monétaire qu’en contrepartie d’actifs réels, i.e. de création de richesses prouvées. Et la politique monétaire qu’elle mène est avant tout « viser la stabilité et une faible inflation ». Lorsque l’économie croît, la BC augmente la masse monétaire, lorsqu’elle décroît, inversement. Un schéma vertueux, idyllique, qui n’est pas toujours vrai dans la pratique.

On constate que, dans la formation des prix dans une nation, la Banque centrale joue un rôle central en tant qu’émetteur de monnaie qui va soutenir les échanges, et les variations des prix. Et tous les marchés du monde sont dépendants de leurs pouvoirs financiers respectifs. Aussi, dès lors que les pays arabes quadruplent le prix du pétrole en 1973, et le pétrole arabe est facturé en dollars, il est évident que la Banque centrale des États-Unis ou Réserve fédérale (Fed) se trouve dans l’obligation de soutenir ce changement de prix, et doit donc émettre des quantités importantes de dollars qui vont se compter par centaines, voire par milliers de milliards de dollars, puisque chaque année, l’Occident est tenu d’importer du pétrole pour son économie.

Or, les États-Unis, sous embargo pétrolier par les pays arabes pour l’aide apportée à Israël, nous fait penser qu’il y a discordance entre l’annonce unilatérale des pays du Golfe d’augmenter le prix du baril de pétrole et la nécessité pour la Fed américaine d’augmenter la masse monétaire de dollars pour accompagner la hausse des prix pétroliers. Et même en supposant qu’il existait déjà un surplus de dollars sur les marchés, le besoin de liquidités du fait du quadruplement du prix du pétrole va se faire ressentir inéluctablement.

Et tout laisse croire que les États-Unis sous embargo par les pays arabes vont riposter non en augmentant la masse monétaire, mais en la diminuant, faisant ainsi échec à la hausse des prix du pétrole imposée par les pays arabes.

Se rappeler, la crise financière de 2008 lorsque l’économie américaine s’est pratiquement arrêtée, par manque de liquidités internationales. Les banques américaines se méfiaient les unes des autres, leurs avoirs étaient parasités par les «  subprimes » ; chaque banque ne prêtant pas à l’autre, craignant de ne pas recouvrer ses prêts. La grande Banque américaine Lehman Brothers avait fait faillite. Il a fallu le plan de sauvetage américain Paulson et le fonds de 700 milliards de dollars prévus pour recapitaliser les banques.

Et cela passe par le rachat d’actifs « toxiques » des banques américaines, en 2008, pour dénouer la crise ; il n’y avait pas d’autre alternative ; cela passait par des « programmes massifs de Quantitative easing » pour recapitaliser les banques, ramener la « confiance » entre les banques et « relancer » l’économie américaine. Les quantitative easing ont été le seul moyen pour dépasser la crise américaine, et en même temps, par son influence, les États-Unis en tant que premier émetteur de monnaie internationale, relancer l’économie mondiale.

Enfin, en revenant au choc pétrolier, il est évident qu’une telle riposte des États-Unis « fermer le robinet des dollars » mettrait à néant la stratégie arabe dans l’utilisation de l’arme pétrolière contre l’Occident. Or ce qui étonne, c’est que les Américains bien que sous embargo ont répondu positivement, favorablement aux doléances arabes ; ils ont augmenté la masse de dollars et permis aux pays consommateurs, notamment européens, de régler leurs importations de pétrole en dollars, avec un prix quadruplé.

La résolution du conflit monétaro-pétrolier parle de lui-même. Ce ne sont pas les pays arabes qui ont décidé d’augmenter le prix du pétrole mais bien les Américains. Surtout que le plus grand pays pétrolier du monde, l’Arabie saoudite, son régime monarchique est garanti par les États-Unis, depuis le Pacte du Quincy scellé entre le roi ibn Saoud, fondateur du royaume d'Arabie saoudite, et le président des États-Unis Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta, en Crimée, le 14 février 1945, sur le croiseur USS Quincy. Le Pacte stipulant : « accès au pétrole d’Arabie en échange de la protection militaire américaine ».

Mais alors pourquoi avoir permis l’augmentation du prix du pétrole ? Les États-Unis ont forcément un intérêt, et il est majeur pour accepter cette imposture « sous embargo par les pays arabes ». Il faut rappeler qu’à cette époque, l’Europe refusait les dollars américains. Les Américains monétisant leurs déficits extérieurs ; il apparaissait tout à fait légitime pour l’Europe de ne pas financer les déficits extérieurs, qui se traduisaient par une fuite de richesses de l’Europe vers l’Amérique sans contreparties.

Les crises monétaires entre les pays d’Europe et les États-Unis ont éclaté à la fin des années 1960. Les grands pays d’Europe, France, Allemagne et Royaume-Uni qui étaient détenteurs de monnaies internationales comme les États-Unis, depuis qu’ils avaient recouvrés la convertibilité de leurs monnaies en 1958, étaient en droit d’exiger de l’or à la masse de dollars qu’ils avaient accumulés, des excédents commerciaux avec les États-Unis.

Le problème est que le stock d’or des États-Unis avaient tari ; les sorties d’or massives avec les déficits extérieurs américains récurrents avec l’Europe ont été à l’origine des crises monétaires, qui relèvent d’un processus tout à fait naturel. Les États-Unis ne pouvaient, compte tenu de la guerre froide avec l’Union soviétique, et des guerres en Asie, notamment au Vietnam, se prévaloir d’une situation économique florissante du fait des dépenses en armements, dans la conquête spatiale en rivalité avec l’URSS et des dépenses des guerres. La détérioration de l’économie américaine et la monétisation des déficits commerciaux étaient inévitables.
 

  • 3. La Réserve fédérale des États-Unis, une entité monétaire supra-internationale de fait par les accords de Bretton Woods de 1944

 
 Aussi, peut-on dire que si l’analyse d’Eric Laurent est fondée, il demeure cependant que « ce processus n’est pas en soi une imposture », mais relève d’une conjoncture difficile, opposant certes, à l’époque, les États-Unis à l’Europe, mais aussi d’une situation de guerre froide ; les États-Unis cherchaient à endiguer l’influence de l’URSS sur les autres continents.

 Quant aux accords de Bretton Woods, qui ont fait du dollar-or, le centre du système monétaire international, il en va de même ; ils ne sont pas venus ex nihilo, mais relèvent du « cours naturel de l’Histoire. » Un processus qui, à maints égards s’avèrera utile pour l’économie occidentale et mondiale.

Approfondissons l’analyse économique et financière, toujours par la logique du bon sens, pour comprendre l’importance de la monnaie et l’entité qui la pilote, i.e. la Banque centrale. Imaginons un marché national d’un État où les agents économiques (producteurs, vendeurs et acheteurs) se confrontent dans les transactions commerciales. Supposons que des spéculateurs font monter les prix de certaines marchandises, qui risquent d’inférer sur les autres. Et toutes les transactions s’effectuent au moyen de la monnaie (espèce, chèque, etc.), et la monnaie en circulation relève du système bancaire. Quand la croissance monétaire accompagne la croissance économique, le problème de la spéculation ne se pose pas. Mais quand la croissance monétaire masque le ralentissement de l’économie, et augmente sur fond de spéculation (hausse des prix des actifs), elle engendre des dysfonctionnements dans l’économie d’un Etat donné, entraînant l’inflation, et donc une hausse des prix et une diminution du pouvoir d’achat.

Postulons qu’il existe une entité monétaire supranationale (Banque centrale) qui suit les échanges commerciaux et a pour tâche de réguler les flux financiers et monétaires pour assurer la stabilité du marché et éviter des dysfonctionnements, notamment la baisse du pouvoir d’achat qui peut engendrer des crises politiques et économiques, notamment par des grèves, l’instabilité politique, etc. D’où des corrections que le pouvoir politique opère, avec l’assentiment de l’entité supranationale (Banque centrale), dans la réévaluation des salaires, une hausse des subventions, une baisse d’impôts, etc.

Mais le contrôle échoit toujours à l’entité monétaire supranationale. Précisément, en contrôlant la monnaie, et donc les flux monétaires, en limitant, par exemple, la création monétaire lorsque le marché est en surchauffe, elle limite la spéculation. Si l’entité prend les mesures en retard, il lui reste toujours des moyens conventionnels (forte hausse du taux d’intérêt, diminution drastique de la masse monétaire, assèchement monétaire par la hausse du taux d’intérêt) pour dégonfler la bulle spéculative qui a pris dans le marché.

Evidemment, les politiques monétaires qui régissent le pilotage d’un marché sont souvent en butte avec la réalité, et donc aux crises.

Mais alors, la réalité et les crises ont un sens ? Le premier élément de réponse est qu’un État national n’est pas seul dans le commerce mondial ; son marché est immergé dans la mappemonde où tout est imbriqué, politique, économique, financier, monétaire, technologique, démographique, géopolitique, géostratégique… Dès lors, il faut admettre que l’évolution économique des États comme les crises qui jalonnent leur histoire s’inscrivent précisément dans le dépassement de leur état dans leurs stades historiques successifs. Il y a comme une auto-construction ouverte du monde, dans le temps et dans l’espace. Et si les crises sont là, se répètent, c’est qu’elles participent au développement du monde.

Pour avoir une idée du développement historique, postulons que la phase qui a donné le premier choc pétrolier de 1973 est en fait une phase historique qui rappelle la phase de la grande crise de 1929.

Postulons qu’une entité monétaire cette fois-ci supra-internationale, depuis les accords de juillet 1944, a agi, comme l’aurait fait une instance monétaire d’un État, dans les échanges internationaux. Postulons que le système économique mondial qui a fonctionné sans trop de heurt jusqu’au début des crises monétaires au début des années 1970 a été piloté, sur le plan monétaire, par la Réserve fédérale des États-Unis (Fed). Les accords de Bretton Woods ont fait de la Fed l’« entité monétaire supra-internationale », où le dollar était aussi « as good as gold » (aussi bon que l’or). La Fed américaine est devenue en quelque sorte la « Banque centrale du monde ». Mais la montée en puissance industrielle de l'Europe et du Japon a fragilisé l'édifice historique et rendu de moins en moins tolérables les privilèges conférés à la Fed américaine, et donc à la première puissance du monde.

La question qui se posait à l’époque : « l'affaiblissement de la puissance américaine allait-elle sonner le glas au système financier et monétaire hérité du dernier conflit mondial ? » D’autant plus que les États-Unis avaient fait entériner les conséquences monétaires d’une hégémonie militaire, politique et économique désormais incontestée dans le monde occidental, et même mondial puisque l’URSS ne contrebalançait que la supériorité américaine dans le domaine militaire, notamment nucléaire.

Pour ne donner que quelques événements clés qui ont marqué cette époque. Une Réunion s’est tenue, le 7 mai 1971, au Luxembourg des Six, « pour conjurer l’entrée massive de dollars en RFA. » En l’absence de solutions communautaires, la Deutsche Bundesbank laissait « flotter le deutschemark (DM) et la Banque de France maintenait la parité du franc. » Le 8 mai 1971, la recherche communautaire d’une solution commune à la crise monétaire n’a pas abouti.

Le président Nixon annonce, le 15 août, la suspension de la convertibilité en or du dollar et de l’instauration d’une taxe de 10% sur les importations. La France riposte et décide, le 18 août 1971, d’instituer un double marché de changes. Un jour après, le 19 août 1971, les ministres des Finances de la CEE, réunis à Bruxelles, n’arrivent pas à s’entendre pour fournir une réponse commune aux décisions du président Nixon. Le 24 août 1971, le GATT, devenu aujourd’hui l’OMC, condamne les décisions du président Nixon. Le Japon, à son tour, laisse, le 28 août 1971, flotter le yen. Le 13 septembre 1971, les ministres des Finances de l’Europe des Six, réunis à Bruxelles, décident de prendre une position commune face aux décisions américaines. Les pays européens réclament, le 16 septembre 1971, lors de la réunion des Dix à Londres, la dévaluation du dollar par rapport à l’or. Les États-Unis leur imposent un refus catégorique. (3)

 D’évidence, le monde vivait une crise grave, intense sur le plan économique, financier et monétaire, à cette époque. On peut même dire la plus grave crise monétaire que le monde ait vécue depuis 1945. En réalité, les effets de l’avant crise de 1929 ont refait surface. Sauf que les accords de Bretton Woods de 1944 et le choc pétrolier de 1973 qui a suivi sont venus solder, en quelque sorte, le reliquat de ce qui reste des accords de Gênes de 1922.

L’évolution monétaire sur le plan international après 1945 composait avec l’évolution politique et économique du monde. Ce qui n’était pas le cas après 1918. Et si les règles instituées pour les relations monétaires internationales portaient clairement la marque de la domination américaine, c’est simplement parce que c’était « nécessaire » au vu de la conjoncture géopolitique du monde qui a changé complètement, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.

La crise monétaire devenue ensuite pétrolière ne faisait en réalité que rebattre les cartes du monde, ouvrant une ère nouvelle pour l’économie mondiale. Il était évident qu’il était hors de question pour l’histoire de retourner à la case de départ comme ce qui a prévalu dans les années post-crise 1929 ; la création de zones monétaires, des mesures protectionnistes et la Grande dépression des années 1930 qui a donné la Deuxième Guerre mondiale.
 

  • 4. Conclusion

 
Le monde a tellement changé, des continents entiers ont été décolonisés, les grands empires ont disparu. Il ne restait plus que deux grandes puissances mondiales, les États-Unis et l’Union soviétique, et le reste du monde entier tantôt pro-américain, tantôt pro-soviétique selon l’évolution des relations internationales. Et l’Europe de l’Ouest était adossée à la superpuissance américaine ; elle ne devait sa survie en tant que « monde libre » qu’à l’existence, et donc la présence américaine sur le sol européen.

« Ce que l’on nomme « Guerre froide » était en réalité une guerre de survie de deux systèmes qui se faisaient face, dont un devait disparaître. Tel était l’enjeu de la partie jouée entre les Grands, à l’époque. »

Précisément, lorsque l’Europe s’est reconstruite et a commencé à peser sur le commerce mondial, et gagné de plus en plus de parts de marché au détriment des États-Unis, elle a commencé à remettre en cause l’hégémonie de la puissance financière et monétaire américaine. Les revendications européennes étaient légitimes, mais, au sens de la raison, il aurait été plus logique de s’interroger pourquoi les États-Unis accumulaient les déficits avec le reste du monde, notamment avec l’Europe. Ils utilisaient l’arme monétaire pour monétiser leurs déficits, ce qui en soi, en les répercutant sur le reste du monde via les masses de dollars émises ex nihilo (sans contreparties d’actifs), signifiait que les États-Unis prélevaient des richesses dont ils n’avaient pas le droit. Ce que le président français de Gaulle affirmait « vivre gratuitement », et ce que l’Europe n’avait pas accepté.

Le dollar américain, qui tient une place centrale dans le système de l’étalon-change-or, soit remis en cause par les Européens ? La production d’or dans le monde n’a-t-elle pas suivi la croissance démographique, économique, financière et monétaire ? En effet, plus d’agents économiques (population mondiale en croissance), plus de croissance économique, financière et monétaire appellent à plus de création monétaire, et donc à plus d’or pour maintenir le système monétaire international efficient. Ou bien la rigidité du taux de change-or fixe du dollar, sur la base de 35 dollars l’once d’or qui n’a pas varié depuis le 31 janvier 1934 est-elle un des facteurs de la crise entre les États-Unis et l’Europe ? Ou enfin la perte de compétitivité des États-Unis par rapport aux autres puissances développées ? 

C’est précisément là, « la nécessité de la face cachée du premier choc pétrolier », à comprendre, qui n’a pas été dite, qui n’a pas été rendue lisible et laissé sombre « le bras de fer monétaire États-Unis-Europe ». Où le premier choc pétrolier, et le deuxième choc pétrolier, et le troisième et quatrième choc pétrolier passés sous silence par les médias occidentaux qui ont suivi, n’ont été que la réponse à la financiarisation du monde. La popu dire que la population mondiale a plus que doublé ; et le besoin de liquidités financières suit cette évolution.

Sauf que l’Occident qui « financiarise le monde » ne peut pas produire des masses monétaires nécessaires pour l’ensemble de la population mondiale ; dans un rapport où les masses de liquidités monétaires s’adossent à ce que produit la population mondiale. Pour contourner cet obstacle dans la création monétaire, et pour ce faire, satisfaire l’ensemble des pays du monde, et donc l’Occident et les pays du reste du monde, un stratagème est trouvé, c’est le « pétrodollar », la monnaie de facturation des exportations pétrolières des pays arabes, étendue aux pays OPEP. Les prix des matières premières sont aussi facturées en monnaies occidentales et peu importe la monnaie internationale de facturation utilisée.

L’essentiel est que les quatre grands pays détenteurs de monnaies internationales, le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen, et depuis 2016, le yuan chinois, créent des liquidités monétaires internationale, que ce soit par le biais de leurs exportations ou par leurs déficits commerciaux avec les pays du reste du monde, en particulier pour les États-Unis qui ont des déficits structurels depuis plus de 50 ans, et dans une moindre mesure pour l’Europe, tous ces pays en fait « financiarise » l’économie mondiale.

Le monde aujourd’hui n’est plus comme dans les années 1930 où des zones monétaires cloisonnées ont été créées ; les zones monétaires bloc-dollar, bloc-Franc et bloc-livre sterling appartiennent à l’histoire passée ; aujourd’hui, combien même il y a cinq Banques centrales qui émettent des monnaies internationales, on peut les assimiler toutes les cinq à une seule Banque centrale.

« C’est comme si la planète-terre a une seule Banque centrale constituée de cinq Banques centrales les plus importantes du monde. » Et cette remarque est très importante dans la compréhension de l’évolution du monde.

Quant au « pétrodollar  », s’il active surtout pour les États-Unis puisqu’il leur permet de répercuter leurs déficits sur le reste du monde, il demeure que le dollar est lié « internationalement » sur les marchés monétaires aux autres monnaies internationales. Par conséquent, le stratagème « pétrodollar » ne travaille pas uniquement pour la Banque centrale américaine.

Il travaille pour les cinq Banques centrales détentrices de monnaies internationales, et ce faisant, puisque l’ensemble des pays du monde ont tous besoin tous de réserves de change en monnaies internationales, en plus d’un stock d’or, pour leur commerce international, le « pétrodollar » travaille aussi forcément à l’ensemble des pays du monde. 

Et le stratagème monétaire ne concerne pas uniquement le pétrole exporté mais toutes les matières premières du monde libellées en dollars ou toute autre monnaie internationale. Et cette situation n’a pas été choisie par les puissances ; quant à leurs déficits extérieurs, ils se sont imposés par la marche naturelle du monde parce que c’est le seul moyen de créer suffisamment de liquidités pour l’ensemble des pays du reste du monde.

Telle doit être comprise la marche du monde. Force de dire que le monde a besoin de comprendre comment s’opère la marche du monde ; elle est essentielle pour la compréhension et la paix du monde.
 

Medjdoub Hamed
Chercheur
 

Notes :

1. « L'imposture du choc pétrolier de 1973 », par Eric Laurent. 2 mai 2006.
www.agoravox.fr

2 Évolution du prix du baril de pétrole depuis 1890
https://www.universalis.fr/media/evolution-du-prix-du-baril-depuis-1860-de072584/

3. « CHRONOLOGIE DE L’ECONOMIE MONDIALE DEPUIS 1945  », par Bruno Benoit et Roland Saussac. Edition BREAL. 1992 France

 


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