Pourquoi les islamistes ont le vent en poupe dans les médias ?
Évidemment, ce n’est pas le musulman éclairé et tolérant qui intéresserait les médias de la bien-pensance, encore moins celui qui n’a gardé de cette épithète qu’une pâle appartenance culturelle, puisqu’il les prive de matière à railleries et à stigmatisation. C’est plutôt le vulgum pecus ignare et obscurantiste, conforme au poncif véhiculé, qui se prête aisément à cet exercice.
Dans le cadre du tumulte né autour de la question de la présence de l’Islam en France, nombreux sont les commentaires, que l’on peut lire çà et là, qui se réfèrent, de manière sous-jacente, au paradigme d’un musulman caricatural, conforme au prototype du cliché véhiculé : celui que les médias de la bien-pensance se délectent à nous présenter pour des raisons que l’on devine aisément, celui d’un individu inculte, y compris dans le domaine de sa propre religion et culture, celui qui se caractérise par sa propension pavlovienne à verser dans le dogmatisme et l’intolérance. Car, ce qui semble intéresser ces médias c’est moins la connaissance de la réalité historique complexe de cette culture, de par la diversité de ses sources et de ses références philosophico-culturelles, que le stéréotype d’une image caractérisée par un individu et un discours éminemment obscurantiste.
À cet égard, si l’on daigne, un tant soit peu, aborder cette question avec un minimum de sérieux et de manière apaisée, sous la lumière de la seule raison plutôt qu'au travers le prisme d'une vision, non moins fanatique, qui caractérise parfois les contempteurs de cette culture – nonobstant leurs légitimes critiques quand elles sont justifiées- l’on ne peut s’empêcher de constater la diversité d’opinions et la multiplicité de paradigmes au sein de cet ensemble culturel, avec toutes ses composantes historiques, qu’est le monde arabo-musulman. Ce qu'une vision étriquée des choses ne voit pas puisqu'elle réduit souvent le culturel au cultuel.
À titre d’anecdote, mais qui en dit long sur la complexité des référents historiques de cette culture et sur la finesse des messages que son fondateur voulait transmettre à la postérité, lesquels n’ont malheureusement été saisis que par une minorité, le prophète Muhammad, dans le cadre de ses relations diplomatiques avec les entités politiques voisines, a un jour honoré une invitation à la cour byzantine. Quelle n’a pas été la surprise -agréable du reste- de ses hôtes de voir le prophète de cette nouvelle religion se présenter vêtu à la mode byzantine ! Que signifie cette attitude de Mahomet dans cette circonstance ? Quel message voulait-il distiller à travers ce que l’on pourrait qualifier, à bien des égards, d’une grande action diplomatique ? Le profane -encore faut-il qu’il en soit informé- n’y verrait bien entendu pas grand-chose. Mais l’œil de l’initié ne tarde pas à y remarquer la subtilité d’un message que l’on pourrait traduire par ceci : « Eu égard au respect et la déférence que les règles de bienséance m’intime de manifester à votre endroit, c’est en arborant les indispensables de vos coutumes vestimentaires que j’ai l’honneur de me présenter à votre cour. Me présentant ainsi, c’est sous les auspices de la tolérance que j’entends dépeindre les relations qui pourraient s’établir entre nous. ».
Quel que soit le degré d'authenticité de cette anecdote, comment ne pas déceler dans cette attitude du prophète un profond hiatus vis-à-vis du déplorable poncif du musulman renfermé, intolérant et, partant, obscurantiste ? Ce qui autorise l’extrapolation consistant à penser que si ce personnage vivait à notre époque, c’est vêtu d’un jean, pourquoi pas un Lewis, ou d’un trois-pièces-cravate qu’il prodiguerait ses enseignements, au grand dam des adorateurs du voile et autres fichus.
Évidemment, ce n’est pas le musulman éclairé et tolérant qui intéresserait les médias de la bien-pensance, encore moins celui qui n’a gardé de cette épithète qu’une pâle appartenance culturelle, puisqu’il les prive de matière à railleries et à stigmatisation. C’est plutôt le vulgum pecus ignare et obscurantiste, conforme au poncif véhiculé, qui se prête aisément à cet exercice.
C’est ainsi qu’ il est déplorable de constater que les médias, en général, refusent de tendre l’oreille et d’ouvrir leurs portails à une intelligentsia de culture musulmane qui s’est affranchie du poids de l’archaïsme culturel, caractérisant sa société, et du poids du conformisme communautaire qu’elle ne cesse de dénoncer en même temps que tout obscurantisme religieux que l’Occident nourrit, en catimini, notamment dans le monde musulman, pour pouvoir légitimer ses basses besognes de domination néo-néocoloniale.
Du haut de mes 52 ans, je me souviens de mon enfance pendant les années 70 dans un pays de culture arabo-musulmane, où l’air de l’époque sentait à plein nez l’ouverture culturelle, l’aspiration à la liberté et à la modernité, et où l’observance du jeune du ramadan et des obligations religieuses, en général, était le dernier souci de la jeunesse d’alors qui chantait plutôt la gloire de l’athéisme. Inutile de vous dire qu’à cette époque-là, la recherche d’un intégriste religieux équivalait à la quête d’un emploi de la part d’un chômeur de longue durée, quinquagénaire, qui plus est, dans un pays en crise. D’ailleurs, c’est cette aspiration à la modernité et à la laïcité qui constituait, entre autres, les idéologies des régimes nassérien et baasiste en Egypte, en Irak, en Syrie et même au sein des milieux intellectuels de presque tout le monde arabe. Mais que s’est-il passé dans ces sociétés ? D’où vient ce revirement, ce retour à des valeurs archaïques, cette renaissance, ou mieux, cette naissance de l’obscurantisme religieux (je dis « naissance plutôt que « renaissance » car ces courants de pensée sont natifs de notre époque) ?
À cet égard, il est difficile de ne pas entrevoir la responsabilité des puissants de ce monde, en la personne des puissances occidentales, avec à leur tête l’oncle SAM, mais également leurs sbires et complices que sont les régimes politiques des pays du Tiers Monde. Car, la stratégie de la prédation est bien rôdée et les événements favorisant son entrée en action agissent sempiternellement tel un éternel recommencement. On commence par provoquer la déstabilisation et le chaos, on agite le spectre de la Charia et, in fine, on favorise l’accaparement à bon compte des ressources locales par les représentants des industries du pétrole et de l’armement, pendant que les populations locales achèvent de crever. Et pour garantir la pérennité de ce statuquo, rien de tel que l’installation d’un régime complice et nécessairement faussement légitime. Il faut reconnaître au néocolonialisme une certaine ingéniosité. Ce que les prédateurs obtenaient, à l’époque de l’ère coloniale, à savoir l’accaparement des richesses des populations sans défense, à des frais non négligeables (entretiens des forces armées en place pour réprimer d’éventuels risques de soulèvement populaire ou d’opposition armée, installations d’infrastructures en vue de l’exploitation des richesses locales, etc.), peuvent l’obtenir aujourd’hui avec la stratégie du néocolonialisme à moindres frais, puisque les basses manœuvres d’étouffement et d’oppression de toutes velléités d’aspiration à la démocratie, à la liberté et à la justice sont assurées par les régimes corrompus et complices.
Ne sont-ce pas là tous les ingrédients nécessaires à l’émergence de l’intégrisme religieux ? N’est-ce pas le seul refuge qui reste à des populations sous domination, gangrénées par la pauvreté, outrées par les innombrables injustices qui les frappent quotidiennement et essuyant des siècles d’humiliation ? N’est-il pas, eu égard à ces considérations, loisible de parier sur l’érosion de l’obscurantisme religieux parmi les plèbes musulmanes si leurs conditions matérielles s’améliorent ?
Outre cette condition humaine des plus étouffantes, la manipulation des esprits bat son plein, dans tous les pays et dans tous les régimes politiques, où les faiseurs d’opinions, rompus à l’exercice de la propagande, s’évertuent à polluer l’oxygène que nous respirons en y distillant le virus de l’orientation de l’opinion publique, dans la direction voulue par les cénacles du pouvoir.
Il est certes illusoire de croire que la prise de conscience de cet état de fait va changer quoi que ce soit à la marche monde. Mais elle n’en demeure pas moins salutaire, ne serait-ce que sur un plan purement intellectuel, en raison de sa vertu à éclairer toute tentative de compréhension de notre monde, afin d’éviter de se tromper de cible dans une entreprise critique.
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