Pourquoi suis-je si réac ?
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Tout ça me turlupine ; depuis que je suis gosse, j'ai toujours été rebelle, jamais supporté le pouvoir, les contraintes sans raisons, je me suis toujours identifiée, dans les histoires, les romans, les films, aux plus faibles, à l'exclu, au rejeté, même si ce n'était pas induit par le ton du récit ! J'ai toujours préféré l'audacieux qui part au couillon qui reste, mais aussi aux belles fins ! Une justice immanente, hein ! Quelle connerie. Qui m'a tenue longtemps !
À la fin de l'adolescence - mais j'étais du genre particulièrement immature et idéaliste-, je suis tombée sur Reich - lumineux-, sur Huxley - pas moins, sur Hesse - également - mais aussi sur les anti-consommateurs, sur les « Shelter », habitats écolos américains, qui ne laissaient pas de traces, sur Reiser, La Gueule ouverte, les anti nucléaires, bref tout un tas de gens qui m'ont autorisée à être moi-même, jusqu'à un homéopathe anthroposophe qui-ne-pouvait-rien-pour moi, mais qui pronostiqua que j'irais jusqu'au bout de moi-même ! La seule issue. Toujours du camp des vaincus, des discrets, des laissés pour compte, j'ai compris que la liberté se situait exactement là où la pudeur, le doute, la recherche, l'humilité se situaient.
Je n'ai jamais voulu d'enfant, mais, conscientisant la fécondation au moment où elle se produisait, à l'instant, j'ai voulu de grand cœur ce coup du destin comme étant un bonheur opportun. Cela confirma que la liberté n'était pas un choix a priori, mais l'acceptation humble de sa destinée. C'était l'époque où la libération de la femme ne passait pas par la dépendance d'un patron qui exploite, bien qu'il vous donne l'argent pour votre autonomie, c'est-à-dire ce lieu qui peut vous rendre absolument indifférente à votre voisin, mais par la sublimation et d'abord la confiance donnée à notre nature, en connaissance de cause, en en assumant les responsabilités. Notre liberté tenait toute entière dans le refus d'un rythme imposé et ses conséquences, mais dans l'accueil des conséquences de ce refus.
Donc, « être révolutionnaire », pour moi, a toujours été d'aller à l'encontre des poncifs culturels bourgeois, qui prônent la sécurité, le mariage, le boulot avec retraite ; bref, le contraire de l'aventure ; la précarité, ça...
Toute la société, depuis que j'en ai quitté les rangs, a fait des avancées vers la sécurité ; c'était très affolant pour moi ces cadres mis, que je ressentais comme des prisons, pour nous « protéger » ! Une année, on m'a fait comprendre qu'il n'était plus possible d'accepter ma carrière à trous et qu'à ma place on prendrait un titulaire qui doublerait sa paye pour l'occasion, qu"il n'était plus question d'avoir des intérimaires sur les bras parce que, dorénavant, des allocations de chômage seraient à verser ! Grand dieu du ciel, moi qui vivais un an avec deux mois de boulot ! Putain quand je me souviens de ce qu'on gagnait comme prof de fac !! les titulaires, avec quatre mois de vacances, pouvaient bien en sacrifier la moitié pour un double salaire, trois heures par jour, cinq jours par semaine !! tu parles Charles si je m'y colle !
J'ai vu l'impossibilité pour mon voisin d'être à la fois facteur sur la tournée du village et paysan : il fallait des fonctionnaires sécurisés à plein temps sur une tournée plus longue ; lui a giclé ! Pour moi, le monde se refermait à tout va ! Mais ce n'était rien à l'époque ! La gauche qui se préoccupait de protéger le prolétaire me semblait l'enfermer dans des carcans sécuritaires a minima, mais ne pas oeuvrer à déverrouiller une société trop frileuse. Je n'étais pas du tout politisée à l'époque, et ces remarques n'étaient que sensations agaçantes, sans plus. Bien que j'en fisse les frais.
Le progrès pour moi, et pour ceux qui étaient mes amis , mes voisins, mon « monde » à l'époque, et parce que j'étais motivée par ma grossesse, c'était l'accouchement à domicile ; enfin la femme serait libérée des toubibs, de la position allongée qui est pire que tout pour accoucher, et Leboyer, Odent étaient là, comme un chance, pour nous y aider ; Régine accoucha chez elle, nous étions quelques-uns avec elle et quand Anita est née, ce fut un pur moment de joie partagée ; moi, j'avais un peu peur, je n'osais pas me « lancer » ; j'optai pour Pithiviers et j'eus la chance d'être « accouchée » ( cela n'a rien à voir avec ce qu'on imagine, mais c'est un sujet à part entière !) par Michel Odent. Ce moment de vie d'une intensité incroyable, qui nous fait nous dépasser, connaître, dans son corps, dans son âme, l'initiation, plus l'exaltation, de conjuguer son animalité, sa spiritualité et l'amour, ce moment de vie, on le souhaite à tout le monde ! Je ne doutais pas un seul instant que cela était le désir, le but de chaque femme ! Quand quelques années plus tard j'allai à une conférence de Frédérick Leboyer, sur le souffle, la musique et la naissance, je ressentais l'optimisme d'une révolution en route. Seulement, en à peine cinq ans, le monde avait viré de bord, sans que j'en fusses prévenue ! Et après quelques questions qui volaient très bas, quand celui-ci annonça : « nous ne nous situons pas au même niveau, je suis désolé mais je dois interrompre cette conférence », je n'ai pas pris toute la mesure de la catastrophe qui s'annonçait ! Et je n'arrive toujours pas à en rire. Nos petits bonhommes sont prévus, naissent aux heures de bureau et sont éveillés très tôt par la sociabilisation.
C'est dommage pour les femmes, c'est dommage pour les pères et pour les enfants ! Et quand je vois les revendications des femmes « modernes », n'avoir de cesse qu' elles n'aient anesthésié ce qu'elles nomment souffrance, surtout si elles ne l'ont jamais vécue, qu'elles n'aient occulté leurs richesses, je ne peux que me sentir comblée par ce que j'ai vécu, désespérée par l'obsolescence de cette formidable ouverture. Quelques mois après cette conférence, j'ai commencé un travail sur la naissance et pour celui-ci, j'ai discuté ( plutôt qu'interrogé) avec une petite centaine de femmes, et, mises à part Régine pour son quatrième enfant, et moi, je n'ai eu que regrets, parfois vite occultés parce que, quand même le moment est si beau, ou colères. Mais le travail n'étant pas mon truc, n'y cherchant qu'à y voir clair ou à réaliser « mon oeuvre », aidée par personne, j'ai laissé tomber et je dois bien avoir encore, quelque part dans mes malles, les dizaines et les dizaines de feuillets que je noircissais de ma plume.
La révolution en marche était la sensibilité enfin reconnue, l'amour de la vie et de la terre, la fusion avec le monde et le rejet de tout carcan, de toute hypocrisie sociale, de tout détour qui nous éloignerait de nous-mêmes. La force de la femme est sa part sauvage, car sa véritable puissance, sa réelle maîtrise est active masculine qui prend sa vie en main ; c'est la terre dans laquelle elle puise ses énergies, l'énergie sexuelle et la colère qu'elle ne doit pas refuser ou occulter mais au contraire intégrer pour s'en servir, les avoir à disposition. Elle reçoit les énergies violentes mais les transforme en énergies cosmiques et humaines mêlées. « notre devenir est la beauté et la maîtrise, nous devons, femmes, transformer la puissance de nos énergies en force, calme et volupté ». Qui sont donc ces poules poudrées des cours et basses-cours dont l'énergie est agressive et dont la force est inhibée ? Serait-ce là un nouveau détour qui s'en méfie, femme, et te tient aussi éloignée de toi-même que possible, comme toujours au cours des siècles de « civilisation ? Pauvres folles qui s'y fient !...
Retournant à ma musique, à mes abeilles puis à mes vaches et mes chevaux, je laissai filer les années. Mais ne cessais de penser que la connaissance de soi était le point de départ, et je m'intéressai un peu à moi.
Pendant ce temps-là, non seulement tout ce qui s'était initié en matière d'écologie et de rejet de la consommation avait été, comme par enchantement, jeté aux oubliettes, mais nous avions rétrogradé bien au-delà du niveau de la société de mon enfance ; certes il n'y avait plus dans les campagnes de tas de fumier au bord de la route, une propreté remarquable avait gagné nos villages, les villes elles aussi avaient arboré un décor somptueux en leur centre, mais les quartiers populaires et les quartiers d'artisans avaient disparu, laissant la place à des boutiques de luxe, des appartements pour friqués snobs aseptisés, les villes avaient développé des suburbs en papier mâché, des routes, des routes encore, des bretelles, des autoroutes et des voies de trains rapides qui quadrillaient le territoire, les lotissements défiguraient les campagnes, la laideur avait envahi le monde. Tout ceci était non seulement toléré mais admis comme étant un progrès indéniable, preuve de l'accroissement du pouvoir d'achat des classes populaires ! Tout ce qui faisait la vie d'un quartier ou d'un village s'était réduit comme peau de chagrin et continuerait de le faire jusqu'à aujourd'hui où il ne semble guère possible d'aller plus loin.
Débarquant de Mars à ce moment, je n'en croyais pas mes yeux et n'arrivais pas à comprendre ce qui avait bien pu se passer pour que tout le monde acquiesce ou applaudisse au saccage méticuleux de tout. Chacun y allait de son petit caillou pour bâtir l'enfer ; serait-ce plus plaisant, plus facile, qu'ayant échafaudé des rêves, on s'avise d'y tirer des fils légers de lumière ? L'absence d'attachement à ce qu'on aime m'est un mystère épais que je n'ai pas encore réussi à élucider. Mais j'ai appris à voir l'absence totale de courage à lutter ; avant, on luttait pour gagner quelque chose, puis vint le moment où il aurait fallu lutter pour conserver quelque chose, de la beauté d'un pays, d'une culture et d'un peuple. Seulement cette lutte-là ne rassemblait pas les foules et les pauvres malheureux qui s'y collaient ne gagnaient que, ça et là, quelques confettis, rien à voir même, avec les réserves des indiens en Amérique !
J'ignore s'il y a plus d'alcooliques aujourd'hui que naguère, mais je sais qu'il y a plus de drogués ; je sais qu'une jeunesse « se torche » le samedi soir sans chercher autre chose que l'assommoir.
Alors, quand je vois, je ressens autant de souffrance autour de moi, je m'étonne du peu de cas que l'on en fait et, si, d'aventure on en fait cas, c'est pour promulguer quelques lois qui rétréciront encore davantage le champ d'action des citoyens ! Chacun en a pris son parti, les fabricants d'alarmes, les constructeurs de murs et Bouygues et son béton ont fait fortune. Les labos pharmaceutiques et leurs « molécules » éculées, et les marchands de rêves, plus soft mais aussi endettants.
Faible de tout ce constat, les choses ne s'arrêtent pas là ; personne pour redresser la barre, mais quelques allumés pour enfoncer le clou et au point où nous en sommes de vide tout acabit, ayant le verbe haut, ils se font entendre !
Quand on participe à la fête, le bruit ne nous dérange pas, au contraire il nous excite et nous égaye ; mais si on n'a pas été invité, c'est une véritable nuisance. C'est probablement ce qui s'est passé, tous ou presque tous, de l'organisateur au ramasseur de mégots, en passant par les musiciens et les courtisans, les femmes libérées qui veulent se vendre quand même, personne n'a entendu le bruit, personne n'en a été gêné. La terrible adaptabilité de l'humain qui en est devenu sourd !
On donne beaucoup de signification au mot « réactionnaire » ; ce fut celui qui était contre la révolution ; ce qui est drôle aujourd'hui c'est que ce sens semble très précieux pour tous ceux qui se vautrent dans la démesure, pensant sans doute être à la pointe de la révolution ; mais révolution ne veut rien dire, elle ne contient pas en son sème le bien ! Ce peut-être aussi celui qui veut revenir en arrière, plus rétro que le conservateur qui ne veut que garder les choses en l'état. Ou bien, réagir, à une agression, une attaque, une atteinte à son intégrité ou à l'intégrité d'un autre.
Je suis réactionnaire dans ces trois aspects : je ne suis pas pour la révolution qui se profile à l'horizon des égoïsmes affichés, la révolution de la science avec ses nanotechnologies et ses OGM, son nucléaire et son euthanasie, ses femmes dénaturées qui s'affichent libérées, ses transports rapides comme des amourettes, ses engins destructeurs, ses armes effroyables ; bon, ma révolution n'est pas celle-là, donc de celle-là je ne veux pas ; je veux revenir en arrière, oui, pas grand chose à conserver en l'état, peut-être bien encore ici ou là quelques îlots mais comme foncer droit devant est suicidaire, je suis pour un arrêt et pour un retour aux sources ; enfin je réagis, aux agressions que l'on m'inflige, aux injustices dont je suis le témoin, aux horreurs que je pressens ou dont on me parle, je réagis à l'élaboration de murs autour de moi et à la barbarie à l'égard de toute vie, la brutalité, l'infâme violence.
Donc, il n'y a pas à tortiller, je suis trois fois réactionnaire de quel bout qu'on prenne ce mot et je propose une association de réactionnaires ; quoique non, il pourrait s'y trouver des nostalgiques d'un temps que je ne voudrais pas connaître !
Une réactionnaire qui ne tolère pas le pouvoir, toujours pas, ni les contraintes, toujours pas...une réactionnaire qui aime la beauté et l'intelligence d'où qu'elles viennent, qui les reniflent, les repère et les dévore de bon appétit, s'en nourrit et en jouit. Une réac qui a envoyé son fils à l'école à six ans et demi, une réac qui a donné son temps et son énergie, par amour, une réac qui n'a jamais rien de mieux à faire qu'aider ou écouter l'autre. Un réactionnaire peut résister aussi ; c'est curieux cette aura blanche ou noire que l'on accepte sans broncher sur les mots ; j'y suis réfractaire aussi qui me contenterais que les mots veuillent encore dire quelque chose, de commun, d'entendu ; on s'est laissé bourrer le mou sans réagir quand il s'est agi de « réformes », de « progrès » de « démocratie »... un nouveau dictionnaire est à écrire, et je m'insurgerais contre lui !
...Une réactionnaire qui a illustré cet article avec une photo de Bernard Bouyé et qui a eu envie d'écrire ces mots après avoir écouté cette émission avec Alain Gérard Slama et Éric Cassen, que je vous donne en partage, une réactionnaire qui hait difficilement mais aime avec facilité, fidèle à ses amis et peu encline à définir ses ennemis, une réactionnaire enfin, pleine de reconnaissance pour votre patience.
Documents joints à cet article
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