Pourquoi un gouvernement mondial ne peut que réduire les communautés humaines à un esclavage moderne ?
Dans un article, « La Chine doit sortir de l’ancrage au dollar » (entretien avec la journaliste Emilie Lévèque de l’Express du 07 janvier 2010), Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à l’Université de Paris-X Nanterre, conseiller au CEPII, pense que le système monétaire international idéal serait polycentrique et son cerveau serait le FMI. A la première question de la journaliste : Y a-t-il un « désordre monétaire » international, comme le dénonce Nicolas Sarkozy ? Quelle en est l'origine ?
Michel Aglietta répond : « Depuis une dizaine d'année déjà. Le problème est que nous sommes sur un système monétaire international que j'appellerai semi-étalon-dollar, c'est-à-dire un petite poignée de monnaies à taux de change flexible déterminé par les marchés de capitaux, comme l'euro, la livre ou le yen, et une grande majorité de monnaies nationales liées au dollar. Un tel système fonctionne avec le dollar comme pivot. Or si les Etats-Unis mènent une politique économique incompatible avec les besoins en dollars pour les transactions internationales, il y a un manque ou excès de dollars. C'est ce qui s'est passé depuis le début des années 2000 : les Etats-Unis se sont endettés, donc ont émis des dollars, plus que leurs besoins de production. Cela a créé un double déséquilibre : d'un côté la volatilité des changes entre les monnaies flottantes s'est fortement accrue, de l'autre les pays dont les monnaies sont liées au dollar, ont financé la dette américaine en accumulant des dollars dans leurs réserves de change. Résultat, aujourd'hui, l'euro souffre d'une trop forte évaluation face au dollar, et les pays émergents, qui sont les principaux créanciers des Etats-Unis, sont prisonniers du dollar car s'il s'effondre, leurs réserves perdent de la valeur.
Les Etats-Unis mènent leur politique économique et monétaire en fonction de leurs besoins domestiques. »
A une deuxième question de la journaliste : « Cette situation est-elle dangereuse ? »
Michel Aglietta répond : « Oui. Aujourd'hui, il y a comme un jeu de dissuasion réciproque entre les Etats-Unis et ses créanciers. Mais cet équilibre est fragile. Les Etats-Unis mènent leur politique économique et monétaire en fonction de leurs besoins domestiques, sans aucune concertation internationale. Soit le reste du monde suit le rythme, soit il déclenche une crise.
Les disparités monétaires doivent être « au centre des débats internationaux » cette année, estime le chef de l'Etat français. Cette question de taux de change, notamment entre le dollar et l'euro et le yuan et le dollar, était déjà dans toutes les pensées en 2009. Pourtant, la question n'a jamais été évoquée lors des rencontres du G20...
Effectivement, ce qui montre que les questions monétaires soulèvent des conflits d'intérêts entre les Etats soucieux de conserver leur souveraineté. »
Enfin, selon Michel Aglietta, la Chine ne peut plus avoir le même modèle de croissance qu’avant, principalement fondé sur les exportations vers les économies occidentales car ses dernières vont avoir une croissance faible pendant de longues années. La Chine a besoin de se recentrer sur son marché intérieur. Et comme elle a commencé à utiliser sa monnaie nationale (yuan) dans les transactions commerciales avec ses partenaires plutôt que le dollar, la Chine a tout intérêt à sortir de l’ancrage du dollar. En créant sa propre zone régionale commerciale, où les monnaies seront fluctuantes comme le dispositif de l’ECU, de 1979 à 1993 (Système monétaire européen), il créerait leur monnaie commune, le yuan. Dans ce nouveau système monétaire asiatique, la puissance du dollar se réduira, et nous aurons un système polycentrique, avec trois principales monnaies de transaction internationales : l’euro, le yuan et le dollar.
Pour Michel Aglietta, la stabilité n’est toutefois pas acquise, des déséquilibres internationaux apparaîtront qui se traduiront non plus par un financement de la dette des États-Unis puisque le dollar aura perdu sa prééminence par rapport aux autres monnaies internationales mais par une forte volatilité des changes. Pour cela, il faut une une coopération internationale pour prévenir les déséquilibres. Il reviendra au FMI de jouer le rôle de régulateur de la finance mondiale. Pour cela, il faut une réforme, et redistribuer les quote-part au sein du FMI. En fusionnant tous les quotas des pays de la zone euro pour avoir une représentation unique au sein du FMI – à 20% de quotas, ils auraient déjà plus que les États-Unis – et libérer des quotas pour les pays émergents. Ces réformes transformeront le FMI en un forum de discussion entre les grandes puissances pour désamorcer les déséquilibres monétaires et les risques systémiques.
Pour les réserves de changes que détiennent les Chinois, en 2010, elles étaient de plus de 2000 milliards de dollars, en 2014, elles sont de plus 3000 milliards de dollars. Si les Chinois voulaient diversifier leur réserve de changes, il est clair qu’ils vont exploser les changes et ils seront les premiers perdants. Pour éviter une diversification qui créeraient une grave crise des changes dans le monde, Aglietta préconise de promouvoir le DTS (instrument de réserve crée ex nihilo par le FMI). En donnant au FMI la possibilité d’en émettre, et de libeller les réserves de changes en DTS, le FMI devient de facto le régulateur du système monétaire international. Il apparaîtrait comme le prêteur en dernier ressort pour les pays en difficultés qui ont besoin d’accroître leurs réserves de changes. Le DTS serait une monnaie de réserve ultime qui réduirait la domination du dollar.
- Les puissances « doivent sacrifier leur indépendance monétaire »
La proposition finale de Michel Aglietta porte sur une entité et une monnaie supranationale. Un système monétaire international dans un certain sens frère du système monétaire européen de la zone euro. Une Europe des Dix-huit étendue en quelque sorte à l’échelle mondiale.
Jacques Attali dans son livre de « Demain, qui gouvernera le monde », paru en 2011, a lui aussi énoncé cette proposition mais qui entre dans le cadre d’un « gouvernement mondial ». Le FMI, dans une étude du 13 avril 2010 (http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2010/041310.pdf), plaide lui aussi en faveur d’une monnaie planétaire. Il exhorte que le système monétaire international soit réformé, en plaçant dans un premier temps, le FMI comme une structure de régulation mondiale avec le DTS (Droits de tirages spéciaux) comme une monnaie internationale commune, utilisé comme l’a développé Michel Aglietta. « Le DTS sera aussi utilisé » pour libeller les matières premières, et le pétrole ». Les guerres au Moyen-Orient pour le pétrole perdront alors tout leur sens entre les grandes puissances. Et dans un deuxième temps d’utiliser le « bancor » comme l’a préconisé John Maynard Keynes, en 1944, lors de la Conférence de Bretton Woods qui a posé les assises du système monétaire international actuel. Avec cependant la fin de la convertibilité du dollar depuis 1971, et la Conférence de la Jamaïque depuis 1976 qui a définitivement mis fin à toute référence monétaire à l’or. Le Gold Exchange Standard ou l’« étalon-or » a été remplacé par les « changes flottants ».
Ces appels par les think tanks occidentaux à la réforme du système monétaire international laissent perplexe. D’autant plus qu’il est dit dans le document du FMI : « Devant de de telles dispositions, le Fonds pourrait servir de plateforme de coordination-clé entre les réserves de changes des pays émetteurs (par exemple, par le biais de son cadre de surveillance multilatérale) dans les efforts de ce dernier pour limiter les fluctuations des taux de leurs valeurs fondamentales de change. Concrètement, une approche serait de donner des directives aux pays émetteurs de réserves sur l’équilibre raisonnable réelle des monnaies de réserve (par exemple, cibler implicitement les zones), et de maintenir un dialogue continu pour maintenir le système dans une fourchette souhaitée. Un tel rôle (du FMI) exige une égale volonté de tous les émetteurs de monnaie de réserve à sacrifier leur indépendance monétaire dans l’intérêt de limiter les volatilités qu’entraîne le système monétaire international (IMS). Ce qui en fait une proposition ambitieuse, même à long terme ».
Il est évident que si le monde se dirige dans cette direction, et « que les grandes puissances acceptent de « sacrifier leur indépendance monétaire, l’humanité entièrement va se diriger progressivement après la création d’une entité et une monnaie supranationale vers aussi une entité politique supranationale ».
(Lire l’idée contenue dans dans le document du FMI en anglais, page 19, http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2010/041310.pdf).
En effet, si les grandes puissances se déchargent de leurs monnaies au profit d’une entité supranationale, dès lors quels conflits resteraient-ils entre les puissances puisqu’ils seront tous progressivement amenés à appliquer les règles d’or budgétaire, identiques à toutes les nations sans tenir compte des spécificités de chaque nation. Pourtant les spécificités nationales sont importantes. On ne peut comparer des nations comme les pays européens qui sont très avancées aux pays d’Asie et surtout d’Afrique où tout reste à construire. Les pays émergents (la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie…) sont en pleine construction. Les problèmes économiques qui se posent à ces pays sont bien plus complexes que ceux des pays occidentaux. Cependant, au-delà des spécificités nationales, pourquoi ce regain pour un une entité financière et monétaire supranationale ? Qui peut forcément mener vers une entité politique au niveau mondial, c’est-à-dire vers un « gouvernement mondial » ? Pourquoi aujourd’hui ? Et qu’en est-il d’un « gouvernement mondial » ?
- Un « gouvernement mondial sans contre-pouvoir » serait une calamité pour l’humanité
Il est certain que l’annonce d’un tel système supranational qui change de fond en comble l’architecture de puissance dans le monde soulève des questions. Est-ce pour le bien de l’humanité ? Evidemment des peuples qui deviennent un seul peuple du monde où la démocratie entre en force, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de discrimination fondée sur les races, les religions, les nationalités, que chaque homme a des droits comme tout homme d’une autre nation, peut paraître séduisant, et amener les peuples à croire à ce renouveau futuriste. Plus de guerre entre les peuples, tout au plus une « police pour mater les peuples qui seraient en conflits et n’obtempèrent pas aux résolutions du gouvernement mondial ».
Cependant, les peuples ne craindraient-ils pas que la situation sous un gouvernement mondial pourrait être pire que la situation d’aujourd’hui. Ne prenant que le conflit, aujourd’hui, sur les territoires palestiniens à Gaza. Que se passe-t-il à Gaza ? Une des plus grande armée du monde n’hésite pas à utiliser des chars, des avions F-15 et F-16, des hélicoptères Apache qui sont des armes de guerre hautement puissante, et qui tirent ou larguent bombes et missiles sur des populations civiles sans défense. Faisant des centaines de morts parmi les hommes, femmes, vieillards et enfants et de milliers de blessés parmi la population désarmée et dont le seul reproche est de se trouver à Gaza, sa terre d’origine . Et ceux qu’Israël traquent et qui tirent des roquettes et des missiles artisanales ne le font que parce qu’Israël bloque tout processus de paix et la constitution d’un Etat palestinien. 200, 300 morts, et 600 ou 1000 blessés palestiniens contre deux morts, deux blessés israéliens reste tout à fait normal pour les dirigeants occidentaux, qui vont jusqu’à interdire dans leurs pays toute manifestation pro-palestinienne pour arrêter le massacre perpétré par l’armée israélienne.
Quand la Chancelière allemande Angela Merkel dit qu’Israël a le droit de se défendre quitte à tuer une bonne partie des Palestiniens sans pour autant faire pression sur Israël pour octroyer les droits qui est leur dû. Ou le secrétaire d’Etat américain John Kerry aux affaires étrangères qui déclare qu’Israël doit éviter les dommages collatéraux et mieux viser les objectifs. N’est-ce pas là un blanc-seing à l’Etat israélien dans ses opérations de guerre contre les Hamas ! Que l’opinion internationale rejette, y compris les Israéliens pacifistes qui œuvrent pour la paix.
Cette guerre qui a commencé le 8 juillet 2014 et qui n’est pas terminée pose un problème de fond pour l’avenir de l’humanité. Qu’en sera-t-il si un gouvernement mondial viendrait à régir l’humanité ? Si aujourd’hui l’infamie est criante, qu’en sera-t-il demain ? Il est évident qu’un gouvernement mondial sans contre-pouvoirs, et qui, par exemple, viendrait à reconnaître Israël, seule nation reconnue et un Etat palestinien aux pouvoirs limités pour la sécurité d’Israël, ce même Israël n’aura alors plus à tirer sur les Palestiniens. Il reviendra à la « Police mondiale » de faire le travail à sa place. Désormais, les Palestiniens ne sont plus des Palestiniens mais des Palestiniens d’un degré inférieur par rapport aux Israéliens. Et c’est ce qui se passe même aujourd’hui. Ce sont les Israéliens de souche juive qui sont des citoyens du monde, et aux Palestiniens de se plier à l’ordre sioniste. Et ce n’est là qu’un début du partage du monde par les grandes puissances. Une nouvelle ère commencera pour l’humanité.
Les règlements dans le gouvernement mondial entre les Puissances globales – l’Occident d’un côté, la Chine, la Russie de l’autre – s’opèrent selon des « contrats donnants-donnants ». « Je vous accorde ceci pour que vous m’accordiez cela ». Ce qui se passe aujourd’hui en Israël se passera au Xinjiang en Chine, et dans d’autres localités du monde. Et probablement, le « gouvernement mondial sans contre-pouvoirs » ne s’arrêtera pas là. Les petits pays seraient certainement englobés dans des systèmes politiques plus grands avec des gouvernements régionaux qui relèveront du « gouvernement mondial ».
Plus d’opposants puisqu’il n’y a qu’« une armée et une police mondiale » disséminées entre les différentes régions du monde. Les pays en développement comme le monde arabe et les pays d’Afrique qui se différentient par leurs traditions, leurs religions, et surtout de leurs retard compteront peu dans le Nouvel Ordre Mondial. Ils seront probablement soumis à des procédés tyranniques. Par exemple, intégrés dans des structures régionales, ils seront assujettis à des gouvernements régionaux et locaux inféodés au gouvernement mondial.
La gouvernance mondiale se fera au dépens des peuples. La démocratie perdra tout son sens, ce sera désormais la démonstration de la force sur les faibles. Une dictature à l’échelle mondiale sous la direction discrète de la haute finance mondiale, posera les même problèmes en Occident ou en Asie. Les sociétés démocratiques vont perdre de leur sens. Tout au plus une démocratie de façade. Les citoyens européens-monde comme les Chinois-citoyens, les Indiens-citoyens du monde seront logés à la même enseigne. Ce qui s’est passé en Grèce se passera dans tous les pays occidentaux ou asiatiques qui ne remplieront pas les critères d’un « Maastricht mondial », ou de la « Troïka (FMI, BCE, Commission européenne) transformée en une Troïka mondiale (FMI, Gouvernement mondial, Gouvernement régional) » avec une application stricte des programmes d’austérité imposés à tout pays retardataire, ou lutte contre l’application des réformes néo-libérales.
Le monde se transformera en monde-esclave moderne. Des castes affairistes et clientélistes dans toutes les régions du monde aidées de polices politiques répressives, veilleront au Nouvel Ordre mondial. Il faudrait dire que tous ceux qui promeuvent ce nouvel ordre mondial sont soit fous soit anormaux soit naïfs pour croire « que l’homme qui recherche la puissance sait vraiment distinguer le mal du bien, surtout s’il n’y a rien qui l’empêcherait de s’arroger à tout prix le pouvoir pour dominer les autres ». Si ce processus de gouvernement mondial venait à aboutir et que les peuples auraient laissé faire, « le monde vivra alors la plus grande calamité de son histoire ». Il signera la fin de son histoire.
- Le concept-programme d’un gouvernement mondial pour le partage du monde
Ceci étant, « Pourquoi cette idée aujourd’hui ? ». Pourquoi cette idée se pose avec acuité au point que des livres ont été édités, le Fonds Monétaire International lui-même s’est joint pour exhorter les puissances à s’accorder pour créer une entité supranationale et une monnaie mondiale ?
Quels étaient les motifs qui ont amené aujourd’hui l’idée d’un gouvernement mondial ? Certainement des motifs puissants sont à l’origine de cette réflexion. Le FMI lui-même l’invoque comme sortie de crise au problème des déséquilibre dans les formidables réserves de changes accumulées par les pays émergents et les pays exportateurs de pétrole et de gaz. Alors que l’Occident croule sous le poids de l’endettement.
Il est évident que seul l’Histoire peut nous en donner des pistes d’explication à cet appel à un « structure supranationale » pour gouverner le monde. Si on part des premières trente années après le début du XXe siècle, on constaterait qu’un premier conflit mondial qui a duré presque quatre années et demie (28 juillet 1914 au 11 novembre 1918) et le krach boursier de New York (du 24 octobre au 29 octobre) ont constitué le premier ébranlement de la puissance occidentale dans le monde. Les deuxième trente années qui sont partie des années 1930 au début des années 1960 ont vu un deuxième conflit mondial. Il dura six années (du 1er septembre 1939 au 2 septembre 1945) et s’étendit à l’ensemble du monde. La fin de la Deuxième Guerre mondiale, suivie d’une série de guerres d’indépendance des pays colonisés, aboutit à une décolonisation du monde. Avec une naissance de plus d’une centaine de nouvelles nations entre 1945 et le début des années 960, la face du monde a complètement changé.
Les troisième trente années qui sont parties des années 1960 à la fin des années 1980 se termineront par la Chute du Mur de Berlin en 1989 et l’effondrement du bloc socialiste de l’Europe de l’Est. L’Union soviétique cessera d’exister le 26 décembre 1991. Une seconde fois le monde a changé. Les États-Unis restant la seule superpuissance du monde, a amené un monde multipolaire.
Les quatrième trente années qui sont parties des années 1990 aux années 2010 ne sont pas encore terminées. Nous sommes en juillet 2014. Leur échéance vient en 2020. Cependant des événements majeurs ont survenu et ont déjà ébranlé le monde, et surtout l’Occident et le monde arabo-musulman. Une guerre lancée par les États-Unis en 1990 puis de nouveau en 2003 s’est terminée par un retrait par des forces américaines en décembre 2011. Une guerre qui a fait perdre beaucoup de la notoriété de la première puissance du monde. Toutes les guerres menées après les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas rehaussé le prestige de l’Occident dans le monde. Le contingent des forces occidentales s’apprêtent à se retirer de l’Afghanistan en 2014. Un retrait sans gloire.
De plus les guerres menées par les États-Unis dans le monde arabo-musulman se sont avéré extrêmement coûteuses et constitué une part appréciable dans l’endettement des États-Unis et des pays de l’OTAN. La crise économique et financière de 2008 a constitué un tournant dans l’économie occidentale. Les pays émergents et les pays arabes exportateurs de pétrole ont accumulés des excédents commerciaux considérables alors que l’Occident croule sous l’endettement. Si la Chine maintient son taux de croissance entre 7 et 8% par an, il est probable que deuxième puissance mondiale fera passer ses réserves de changes entre excédents et IDE de 3800 aujourd’hui à 7000 à 8000 milliards de dollars en 2020. Elle se hisserait probablement au rang de première puissance économique du monde. Dès lors, l’Amérique perdrait non seulement le rang de première puissance économique du monde mais sera débitrice vis-à-vis de son premier créancier du monde, la Chine. Cet endettement extraordinaire des États-Unis nous a amené à penser que, pour parer à une riposte sur un avenir économique sombre de l’Occident – d’autant plus que les réserves de change de la Chine sont diversifiées, signifiant que la zone euro et la Grande-Bretagne sont aussi englobés dans l’endettement vis-à-vis de la Chine – , l’idée d’un « gouvernement mondial et d’une entité supranationale monétaire et financière » apparaît justement comme une panacée au déséquilibre entre l’Occident et la Chine.
Et le régime communiste chinois y compris russe ne poseraient pas de problème puisqu’ils coexisteraient avec le régime occidental libéral dans la domination et le partage du monde. Ce qui semble être l’idée maîtresse contenue dans ce « concept-programme d’un gouvernement mondial » de Jacques Attali et consorts.
- Conclusion
Il y a évidemment dans ce développement intellectualiste de « gouvernement mondial » tout au plus des idées. Reste leur faisabilité qui n’appartient pas à l’homme mais à l’Histoire.
L’homme spécule, abstrait, ruse aussi mais reste sans réponse de ses idées jusqu’à ce qu’elles se réalisent. Et seulement il saura s’il a vu juste ou faux. Souvent aussi ces idées restent au stade de l’abstraction. Et s’il les réalisent, et malgré ses erreurs, il récidive, avance les mêmes idées sous une autre forme, commet les mêmes erreurs, n’apprend rien de l’Histoire. Précisément, parce qu’il n’apprend pas de l’Histoire que « l’Histoire ruse sa ruse pour arriver non ce pourquoi il a agi mais pourquoi a agi l’Histoire ».
Pour comprendre la phénoménologie du développement du monde, prenons un passage de l’ouvrage de Hegel, « La Raison dans l’Histoire » (page 111-112, Kostas PAPAIOANNOU. Union générale d’éditions), et à bien des égards, il est révélateur du sens des événements historiques survenus dans le passé, présent et à venir. « Dans l’histoire universelle, il résulte des actions des hommes quelque chose d’autre que ce qu’ils ont projeté et atteint, que ce qu’ils savent et veulent immédiatement. Ils réalisent leurs intérêts, mais il se produit en même temps quelque autre chose qui y est cachée, dont leur conscience ne se rendait pas compte et qui n’entrait pas dans leurs vues. Comme exemple analogue, nous pouvons citer un homme qui, par vengeance peut-être juste, c’est-à-dire due à une offense injuste, met le feu à une maison d’un autre. Cet acte immédiat entraînera d’autres faits qui lui sont extérieurs et ne se rapportent pas à l’acte tel qu’il se présente en soi dans l’immédiat. En tant que tel, celui-ci se réduit, si l’on veut, au simple fait d’allumer une petite flamme à un certain endroit d’une poutre. Mais voilà comment ce qui n’a pas encore été fait se produira de lui-même par la suite : la partie enflammée de la poutre se rattache au reste ; la poutre, à la charpente de toute la maison ; celle-ci, à d’autres maisons, et un immense incendie se produit qui détruit la propriété, coûte même la vie à beaucoup de gens qui ne sont pas visés par la vengeance. Cela n’était compris ni dans l’acte tel qu’il se présente immédiatement ni dans l’intention de celui qui avait déclenché l’affaire. Mais l’opération contient aussi une autre détermination générale qui se manifestera par la suite : le but de l’auteur n’était qu’une vengeance contre un individu dont il s’agissait de détruire la propriété ; mais son acte devient un crime qui entraîne un châtiment ».
Quelque chose de prophétique dans la Philosophie de l’Histoire de Hegel peut-on constater. En rappelant les événements des quatre trente années qui se sont succédés, on voit bien que tous les conflits déclenchés par les grandes puissances entrent dans les développements qui ont donné le monde d’aujourd’hui.
Par exemple, les puissances européennes, en déclenchant deux guerres mondiales, ne savaient qu’elles allaient s’affaiblir et perdre non seulement leur leadership sur le monde mais aussi leurs colonies. Si elles savaient, elles n’auraient jamais franchi le Rubicon. Mais elle ne savaient pas, parce c’était aussi une « Ruse de l’Histoire » de le faire entrevoir qu’ils allaient dominer alors qu’ils couraient à leur perte . La même chose le fut pour l’URSS de franchir le Rubicon en Afghanistan. Si l’URSS savait sa défaite et son éclatement et sa disparition de la scène internationale à l’avance, c’est-à-dire avant le déclenchement des hostilités contre le peuple afghan en 1979, il n’aurait jamais franchi le Rubicon et aurait composé comme la Russie le fait aujourd’hui avec la république islamiste d’Iran et les communautés du Nord de l’Afghanistan. Mais l’URSS ne savait pas, parce que son destin était déjà scellé par l’Histoire. Son rôle dans l’histoire se terminait en décembre 1991.
De même pour les États-Unis qui, avant même que l’URSS se disloque, sous la pression de la Haute finance américaine qui visait le pétrole irakien a programmé son entrée en guerre contre l’Irak. Les États-Unis ne savaient pas qu’ils prenaient la suite de la débâcle soviétique. Pourtant 13 années d’embargo (1990-2003) après le premier conflit armé, durant lequel l’Irak a été affaibli et sa puissance militaire démantelée, et au début de l’année 2003, les États-Unis de nouveau lancèrent l’offensive finale. Bagdad prise, ainsi que les fabuleux gisements de pétrole irakiens, les États-Unis, assimilant la prise de Bagdad comme trophée de guerre, ont crié victoire. Ne sachant pas qu’il va survenir l’incroyable, le soulèvement du peuple créa un tel chaos dans les forces américaines que la guerre en Irak a vite été assimilée à la guerre du Vietnam. Les États-Unis vécurent le conflit irakien comme les Soviétiques le vécurent avant eux en Afghanistan. Une guerre contre un ennemi invisible redoutable doublée d’une guerre dans une guerre – une guerre interconfessionnelle. De surcroit au bourbier irakien, il faut ajouter la plus grave crise financière de l’histoire américaine depuis 1929, la crise financière de 2008. La boucle est bouclée, les États-Unis sortirent du conflit irakien, en 2011, fortement marqués.
Que constate-t-on dans le mouvement de ces 114 années d’Histoire depuis 1900 ? Visiblement un déclin continu de l’Occident ? En réalité, ce n’est pas une régression mais un simple réajustement économique entre les peuples du monde. A cela, il y a une « Raison dans l’Histoire » qui va au-delà des hommes.
Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective.
www.sens-du-monde. com
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