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Accueil du site > Tribune Libre > Prédation économique : la fronde des entrepreneurs

Prédation économique : la fronde des entrepreneurs

En économie comme dans la nature, les prédateurs sont ceux qui se nourrissent de leurs proies pour assurer leur propre existence. Sauf qu’en matière économique, les premières victimes sont les (petites) entreprises, mais aussi l’écosystème dans son ensemble, en incluant la compétitivité et l’emploi. Pour les petits entrepreneurs, le temps de la révolte contre ces pratiques est arrivé.

Les prédateurs ne sont pas seulement étrangers

Pour illustrer la notion de prédation économique, Christian Harbulot, le directeur de l’Ecole de Guerre Economique (1), prend l’exemple de la Chine et de la façon dont elle s’est imposée sur le marché mondial du photovoltaïque. Par une politique agressive sur les prix, voire par dumping, elle est en effet parvenue à étrangler le marché occidental, aboutissant à une délocalisation forcée. Plus récemment, Arnaud Montebourg a assuré à FagorBrandt qu’il protégerait l’entreprise, en attente d’un repreneur, des « prédateurs économiques » - comprendre les étrangers qui voudraient s’emparer de la marque pour produire hors de France.

Mais dans le quotidien des PME, naturellement plus touchées par les phénomènes de prédation parce qu’elles sont plus petites, la menace vient surtout des grands groupes, étrangers… ou non. Plusieurs actions en cours témoignent cependant que certains ont décidé de lutter.

Lutter contre les abus de pouvoir 

En France, les entreprises indépendantes de taille intermédiaire sont rares. Et pour cause, dès qu’elles grossissent, elles passent sous le giron des grands groupes. Cette réalité, mise en évidence par le rapport de Bruno Retailleau publié en 2010 (2), relève malheureusement bien souvent d’un phénomène de prédation. Car une fois absorbées, les PME sont trop régulièrement sacrifiées au profit des « stratégies de groupe »… qui servent alors de justification pour démanteler ces petites entreprises, les départir de leur savoir-faire, et au final, les affaiblir dangereusement. C’est ce qu’a vécu Jean-Michel Germa quand GDF-Suez, géant du secteur dirigé par Gérard Mestrallet, est entré au capital de son entreprise du secteur de l’éolien, la Compagnie du Vent, pour finalement lui ôter les moyens de se positionner sur certains appel d’offres cruciaux pour la survie de son entreprises. C’est pourquoi, s’inspirant du droit allemand, cet entrepreneur a décidé de proposer une modification de notre législation. Il suggère ainsi que l’actionnaire majoritaire d’une entreprise soit tenu de dédommager la société qu’il contrôle et les actionnaires minoritaires en cas de décision qui lui serait non favorable. De quoi dissuader les « gros » de jouer aux prédateurs sans scrupules vis à vis de sociétés non cotées.

Le projet de Jean-Michel Germa rencontre un écho favorable, à la fois auprès de plusieurs parlementaires qui le soutiennent, et des chefs d’entreprises. Stéphanie Andrieu par exemple, DG d’Urbasolar, livre ainsi un témoignage édifiant sur les pratiques des « prédateurs » : « quand j’étais directrice de BP Solar, on m’a demandé de licencier 80 personnes alors que nous étions rentables ». Elle ajoute, illustrant les conséquences collatérales de ces abus de pouvoir : « actuellement, je refuse toute entrée de grands groupes dans le capital de mon entreprise par peur, justement, de l’absorption ». En résulte pour les PME une difficulté supplémentaire à financer leur développement, quand l’accès au crédit dispensé par les banques est déjà très difficile dans le contexte actuel.

C’est un autre phénomène de prédation qu’a également dénoncé SolaireDirect en assignant EDF pour abus de position dominante dans le domaine du solaire. La décision récemment rendue par l’Autorité de la Concurrence confirme que le groupe a «  favorisé de manière abusive sa filiale EDF Energie nouvelle, active sur le marché émergent du solaire photovoltaïque  », en utilisant des moyens « non reproductibles par la concurrence ». Thierry Lepercq, le fondateur de SolaireDirect, estime que cette condamnation est un premier pas, mais qu’elle doit surtout aboutir à « une réforme énergétique laissant toute leur place aux initiatives indépendantes de production d'énergie décentralisée, qui sont aujourd'hui injustement étouffées  ». En clair, il faut faire cesser la loi du plus fort pour rétablir un marché équilibré.

Le rôle de la médiation inter-entreprises

Depuis 2010, la médiation inter-entreprises permet également aux entrepreneurs de faire entendre leur voix quant aux dérives de leurs relations avec les grands groupes. Cet organe gouvernemental permet ainsi, quand il rend compte des plaintes dont il est saisi, de prendre la mesure des phénomènes de prédation. Le non-respect des délais de paiement, qui arrive en tête des motifs de saisine, en est une illustration. Beaucoup le dénoncent, et c’est un comble : les PME deviennent les banquiers des grands groupes.

« Nous assistons à des comportements peu responsables, voire sauvages, de sauve-qui-peut, nos entreprises servent d’amortisseurs aux aléas que les peurs amplifient de manière excessive  », déplore Paul Raguin, président d’Eolane, société de services industriels en électronique professionnelle. L’élaboration de chartes (3) est certes une avancée concrète, mais la réalité du terrain reste peu glorieuse. Car outre ces problématiques de délais de paiement, le pillage de savoir-faire, y compris dans les phases d’appel d’offre, les ruptures abusives de contrat, l’auto-facturation, les pénalités abusives, et même le scandaleux racket au CICE dont plusieurs dizaines de PME ont été victimes (4) sont encore très répandus.

Aujourd’hui la colère des entrepreneurs prend des visages de plus en plus concrets : saisie de la médiation inter-entreprises, actions judiciaires, propositions concrètes pour faire évoluer le droit des affaires… Persuadés que la crise économique est suffisamment pénalisante pour tous, ils se battent pour que les luttes intestines ne fassent pas davantage de victimes. « Il faut coopérer avec les fournisseurs, chasser en meute comme le font les allemands », plaide Stanislas de Brentzmann (5), qui dirige Croissance Plus. En bref, collaborer, plutôt que s’entretuer. 

(1) Dans une tribune vidéo publiée sur Xerfi Canal : http://www.xerficanal.com/emission/D%C3%A9veloppement,-confrontation-et-pr%C3%A9dation-%C3%A9conomique_400.html

(2) « Les entreprises de taille intermédiaire au cœur d'une nouvelle dynamique de croissance » 

(3) http://www.redressement-productif.gouv.fr/mediation-interentreprises/charte

(4) http://www.leparisien.fr/economie/c-est-de-l-abus-de-position-dominante-18-07-2013-2990667.php

(5) http://www.challenges.fr/entreprise/20131121.CHA7408/cac-40-pme-pourquoi-la-confiance-n-est-pas-encore-au-rendez-vous.html


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6 réactions à cet article    


  • Jean Keim Jean Keim 12 avril 2014 13:00

    Un monde sans profit est-ce possible ? Dans l’affirmative le problème est réglé.


    • julius 1ER 12 avril 2014 16:20

      la tendance à la concentration et au monopolisme est inscrite dans les gènes du Capitalisme

      au siècle dernier et celui d’avant, les gouvernements mettaient en place des lois anti-trusts.. justement pour empêcher ce phénomène concentrationnaire. or depuis 50 ans le laisser-fairisme a engendré le too-big too fail et la farce de la taille critique qui soit-disant était l’alpha et l’oméga de l’entreprise, il fallait être gros pour survivre et on s’aperçoit que c’est une escroquerie, car la taille n’empêche pas la mort d’une entreprise mais simplement c’est un moyen de pression supplémentaire dans les périodes de crises pour que les gouvernants se préoccupent de leur sort, bien avant n’importe quel PME.... mais en cela Marx avait déjà écrit un grand chapitre sur la tendance au monopole, c’est fou comme Marx était un visionnaire et il y en a tant et tant qui chaque année veulent l’enterrer !!!!!! 

      • Le421... Refuznik !! Le421 12 avril 2014 20:12

        Le jour ou on commencera à dire que la gauche (la vraie, celle qui se fait traiter de révolutionnaire-marxiste-trotskiste et tout le toutim) n’a rien contre les petites ou les grandes entreprises dans la mesure ou les patrons se comportent de façon honnête et responsable (une bonne majorité, heureusement !!), on aura fait un progrès incroyable.
        Les gens de gauche ne sont pas des imbéciles irréfléchis. Ils savent parfaitement ce qui fait vivre un pays et un peuple.
        Par contre, elle n’accepte pas des écarts de salaires fantasmagoriques, par exemple.

        Oui, quand les gens auront compris cela et cesseront de nous prendre pour des connards de gauchos, on aura fait un sacré pas en avant !!

        Mais comme les puissants ne veulent pas de ça, on continue à dire que la gauche est contre les patrons, quels qu’ils soient.


        • julius 1ER 13 avril 2014 08:26

          les gauchistes haïssent les pme, ça correspond pas à un monde prolétarisé entièrement et à une vision binaire grand patronat et salariat. ils veulent que les petits/moyens bourgeois avec la classe moyenne se prolétarisent et soient écrasés par le grand capital et oligopoles privés avec qui de facto les gauchos s’allient. l’indépendance économique suscité par un grand nombre de pme est détesté par les gauchos, car le prolétariat dans ce schéma est plus restreint. les gauchos 

          @bleu
          çà c’est du lourd, c’est une vision du gauchisme fantasmée, et périmée si jamais elle a existé mais bon tout le monde a le droit de dire des conneries même en rafales ....

        • Donquichuchote 12 avril 2014 20:16

          C’est un très bon article à mon sens posant une véritable problématique.
          Je suis d’accord avec Julius 1er qui note bien que la prédation est dans l’essence même du capitalisme en tant que conséquence de la recherche du profit maximal, mais l’article apporte des précisions intéressantes sur au moins tois points :
          - dans son 1er exemple, le solaire, il montre que la loi du profit, au moins dans un premier temps, a été ignorée par la puissance publique chinoise dans le cadre d’une guerre économique menée par un Etat stratège.
          - dans la 2ème partie « lutte contre les abus de pouvoir » il montre concrètement, bien que ne le théorisant pas, en quoi et comment le capitalisme financier agit en prédateur du capitalisme industriel qui, des deux, est pourtant le seul pourvoyeur d’emplois.
          -et enfin dans sa 3ème partie, il montre la nécessité d’une régulation et d’un arbitrage conforme au respect de l’intérêt des PME.
          Mine de rien, il y a là un appel à la refondation de la nature de l’interventionnisme étatique en matière économique : il ne s’agit pas d’avoir un Etat qui réglemente tout dans le moindre détail mais d’un Etat arbitre entre les entreprises de tailles incomparables dans le cadre d’une stratégie industrielle assumée prenant en compte l’intérêt général industriel du pays.
          De l’intérêt général industriel découle une stratégie nationale qui autorise l’arbitrage inter entreprises.
          Venant de chefs d’entreprises c’est quand même une sacrée claque à l’ultra libéralisme béat , pour rester gentil, et hors réalités économiques tant internes qu’internationales de nos hommes politiques.


          • christophe nicolas christophe nicolas 13 avril 2014 11:41

            Est-ce que vous vous regardez ? « Chasser en meute pour éviter de s’entretuer ! »

            « La logique du débile mental », voila le titre que devrait prendre votre article !

            Vous êtes dans l’escalade, vous reprochez qu’on vous pille, et vous proposer de piller l’autre ! A votre avis, que va faire l’autre ? Si la Chine agit comme cela, c’est parce qu’elle a bien appris la leçon. L’occident a voulu l’exploiter, elle a attendu patiemment de recouvrer ses forces et maintenant, elle nous retourne la monnaie de la pièce, inutile de chialer et vous poussez à la surenchère...

            Vous vous faites complice des gens qui organisent le combat entre les peuples pour les pressurer et, sans doute, en retirer de substantiels avantages pour service rendu à vos maîtres. Le sens est complétement opposé à la méthode, ce qui révèle une pure intention de manipulation et c’est bien normal car vous cherchez à gagner ce qui aveugle l’esprit.

            Vous récupérez le formalisme du discours adverse pour le mettre à votre profit, c’est typique des maîtres de l’argent.

            Si encore vous utilisiez le langage guerrier dans un but de changer de logique, cela sonnerait comme un avertissement après bien des erreurs, là ça sonne comme un cri pour aller à la guerre en déplaçant le champ de bataille.

            La sortie de l’Europe et la reprise de souveraineté à pour but d’arrêter la bataille pour de nouvelles solutions car l’esprit de compétition gangrène les esprits. Il y a une forme d’élévation et de sanction dans les résultats mais c’est une conséquence, ce ne doit pas être une volonté sinon c’est l’aveuglement et la sanction comme c’est le cas actuellement à cause de ce mauvais esprit de compétition. La forme intentionnelle de bonté permet d’avoir un esprit de vérité qui fait trouver les bonnes solutions, lesquelles seront source de richesse.

            Le langage châtié sert à dénoncer le mauvais esprit parce que le conditionnent est devenu si profond que les gens ne se rendent plus compte qu’ils ont le droit de choisir, ce n’est pas une fatalité de baisser son froc devant les enfumeurs qui ont eu tout le loisir de prouver et qui nous ont prouvé qu’ils étaient bien des enfumeurs. Dès lors, il n’est plus nécessaire de prendre des gants avec l’Europe, il faut la quitter et la faire sombrer, casser cette structure, là vous pouvez y aller. Personnellement je serais assez partisan d’envoyer la légion étrangère tant l’infamie est à son comble... mais bon, Poutine rigolerait, il nous ferait la morale... en disant que lui, il n’a pas envahi Kiev, on aurait l’air bête, on serait obligé de lui livrer nos terroristes, Fabius, Rompuy, etc...

            Evidemment, pour les solutions, on peut reprendre le langage qui correspond au bon esprit, il y a plein de bonnes surprises... Les conséquences de la théorie de l’intrication sont au delà de tout ce qu’on peut imaginer mais il faut un bon esprit pour ne pas se laisser piéger par les serpents qui font souffrir pour désorienter et manipuler les peuples. Les américains se sont fait avoir mais la chasse aux serpents pourrait commencer plus tôt qu’on ne le croit parce que beaucoup de voix s’élèvent outre atlantique.

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AnneL


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