Préemption, nationalisation provisoire, un deal militaro-industriel avec Rome ?
« Montebourg en rêvait, Le Maire l’a fait » c’est en substance ce que pas mal de commentateurs ont dit ou écrit ces derniers jours au sujet de l’avenir des chantiers de construction navale STX de St Nazaire en faisant référence aux menaces d'Arnaud Montebourg de nationalisation temporaire du site de Florange d'Arcelor-Mittal (pour mémoire : http://www.lepoint.fr/economie/florange-comprendre-le-bras-de-fer-mittal-montebourg-en-six-questions-26-11-2012-1533838_28.php).
Cette… préemption, pour ne pas se salir la bouche en prononçant nationalisation, provisoire il est vrai, d’abord n’en est pas une. Il y a utilisation d’un droit de préemption en amont d’un processus d’échange ou de vente. Or, dans le cas de STX, les chantiers de St Nazaire, au carnet de commandes bien rempli, un accord était déjà largement négocié sinon proche d’être finalisé (septembre) entre le groupe Fincantieri, l'ante-précédent gouvernement (dont le Montebourg de l’époque s’appelait…Emmanuel Macron, du moins jusqu’à la démission de ce dernier) et le gouvernement de bernard Cazeneuve, qui semblait vouloir convenir à la partie française compte tenu de garanties âprement arrachées. Notamment la conservation d’une majorité durant huit années, permettant à la France de conserver sur place l’intégralité de l’outil industriel et d’éviter tout "plan social" que pourrait annoncer la partie italienne. Ainsi, Le Figaro rappelait-il, il y a une semaine, " Selon un accord négocié par le précédent gouvernement français, le constructeur italien devait reprendre d'abord 48% du capital des chantiers de Saint-Nazaire et rester minoritaire pendant au moins huit ans, épaulé par l'investisseur italien Fondazione CR (Cassa di Risparmio) Trieste à hauteur d'environ 7%. "
Nationalisation : construction navale en pleine charge d’un côté, hauts-fourneaux éteints de l’autre.
La comparaison ne tient pas la route. En effet, Florange concernait une industrie déplacée, pas seulement sacrifiée sur l’autel du profit au sens brut du terme, mais sur la rentabilité d’un outil presque incongru au regard de certains critères industriels et économiques. La chaîne extraction d’un minerai – traitement du minerai – affinage sidérurgique – transport des produits finis était cassée et, aujourd’hui, compte-tenu des coûts des matières premières et des coûts de transport, c’est près des ports équipés que peuvent être rentables les hauts-fourneaux et les industries d’aval (c’est l’historique même du déplacement de la sidérurgie du bassin lorrain vers Dunkerque)… et pour un industriel, en tout cas le détenteur du capital, c’est dans des ports proches des lieux d’extraction d’un minerai à bon marché mais de qualité.
Alors… nationaliser une presque certaine extinction des hauts-fourneaux ?
Décrivant cela, je m’arrête à l’aspect "capitalistique" de la question. Florange et le bassin lorrain posent avec acuité la question des sidérurgistes et de leurs familles et c’est sur le plan humain que Monsieur Mittal (le propriétaire indien d’Arcelor, ex Usinor-Sacilor) a été obligé de prendre des engagements en même temps que le gouvernement tentait un recyclage de techniciens par la création d’un centre de recherche adossé au pôle d’excellence sidérurgique que Mittal a mis en place. Quid de la pérennité de cette solution sparadrap ? Au passage, relevons que le bilan de Hollande-Ayrault puis Hollande-Valls à Florange, malgré les réserves de la CGT et de FO, n’est pas mauvais compte-tenu de la réalité de la sidérurgie mondiale. On en trouvera des éléments à http://luipresident.blog.lemonde.fr/2016/10/17/florange-et-hollande-promesses-tenues-ou-brisees/
Mais ce bilan est nettement obscurci par la déshérence de la sous-traitance, plans de charge et emplois directement liés à l’activité industrielle de la sidérurgie.
Du côté de St Nazaire, on a affaire avec une industrie en pleine activité ; le carnet de commandes est saturé, il y a de l’emploi. "Nationaliser" St Nazaire n’est en rien un sauvetage comme Montebourg le proposait pour Florange. Proposer 50/50 est d’ailleurs surprenant car si l’on veut peser sur les décisions industrielles, voire les réorienter, et avoir une majorité contrôlant bien l’aspect social du fonctionnement des chantiers et protéger l’emploi, c’est à 51 % qu’il faut porter le capital de l’État.
Cela me rappelle des débats enflammés entre 1976 et 1981 dans le cadre de l’union de la gauche puis dans celui du programme du PS entre les législatives de 1978 et la présidentielle de 1981. Se limiter à 51 % soutenait Michel Rocard, ce qui suffisait au contrôle de l’orientation de l’activité financière des banques, notamment le soutien à l’activité économique (commerces, entreprises) et les facilités d’accession à l’emprunt immobilier pour les particuliers, comme de l’activité industrielle des secteurs nationalisés (chimie-pharmacie, pétrochimie, métallurgie…), et -avant tout- y peser en termes d’emplois. On le sait, ce n'est pas ce que J-P. Chevènement et le CERES défendaient et François Mitterrand (gouvernement Mauroy) n'a pas hésité à nationaliser comme prévu au programme.
Un deal militaro-industriel ?
Je ne vois pas l’intérêt de cette nouvelle orientation des négociations. Qui, déjà, abîme la parole de la France et peut faire peur à des investisseurs étrangers (ce dernier point était opposé il y a quatre ans à Montebourg…). Qui, surtout, dégrade les relations entre l’Italie et la France, un axe qu’avait, au contraire, pas mal privilégié François Hollande.
D’ailleurs, notre réserve frileuse, voire hostile, à Fincantieri, à l’investisseur italien a de quoi choquer nos voisins transalpins. Car… ils n’ont pas rechigné à voir des financiers et industriels français venir faire leur moisson chez eux. Plutôt que de passer cela en revue, j’ai trouvé un article qui fait le point à ce propos : http://www.capital.fr/entreprises-marches/ces-8-fleurons-que-l-italie-nous-a-laisses-racheter-1238745#utm_campaign=20170801&utm_medium=email&utm_source=nl-cap-soir-eco
ainsi que http://www.capital.fr/entreprises-marches/carrefour-rachetes-53-magasins-billa-en-italie-945007
Alors… il y a le deal que Bruno Le Maire va aller négocier à Rome. C’est vrai que dans ce domaine, les coopérations (elles-mêmes issues de longues et rudes négociations) ont surtout été tournées vers l’Allemagne et vers la Grande-Bretagne. Parmi les options mentionnées, il semble que ce soit au plan naval (tiens donc !) que Le Maire fera des propositions.
On en est là ce mardi alors que le ministre est arrivé à Rome.
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